Rédigé par 9 h 07 min CDs & DVDs, Critiques

Entre ciel et terre (Hollandse Fragmenten – Diskantores, Berentsen – Muso)

Hollandse Fragmenten (Les Fragments Hollandais)
Musique polyphonique néerlandaise du Moyen-Age

Martinus Fabri – Eer ende lof
Anonyme – Adieu vous di
Codex Faenza, Indescort (orgue solo)
Martinus Fabri – Een cleyn parabel
Salve Regina (a capella)
Anonyme – Och lief gesel
Anonyme – Ist mi bescheert
Anonyme – Au debot de no rue
Codex Faenza – Kyrie cunctipotens (avec orgue)
Anonyme – Gloria
Hubertus de Salinis – Psallat Chorus / Eximie Pater
Hubertus de Salinis – Gloria jubilacio
Deo gracias (plain-chant)
Anonyme – O crux gloriosa (orgue solo)
Anonyme – En ties en latin en romans
Anonyme – Renouveler mi feist
Groningen Tabulature – Empris domoyrs (orgue solo)
Oswald von Wolkenstein – Fröleichen so well wir & Martinus Fabri – N’ay je cause
Groningen Tabulature – Asperance (orgue solo)
Anonyme  – Ho ho ho

Ensemble Diskantores
Oscar Verhaar & Andrew Hallock, contre-ténors
Benjamin Jago Larham & Niels Berentsen, ténors
Jacques Meegens, orgue
Niels Berentsen, direction artistique

Enr. en mai et novembre 2017, Muso, 2021, 67’40

 

La bien jolie image qui orne le disque n’est guère médiévale. Mais son sens de la perspective, sa ligne d’horizon trop haute qui coupe à moitié la ligne de terre, la symétrie du reflet dans la rivière, les tonalités gris-bleu s’accordent parfaitement à l’admirable réalisation de Niels Berentsen et de son ensemble Diskantores

Fragments. Le Littré nous en dit qu’il se dit au sens figuré de “Ce qui est resté d’un livre, d’un poëme perdu.” ou encore “Morceau d’un livre, d’un ouvrage qui n’est point encore terminé ou qui n’a pu l’être. (…) Morceau détaché qui a l’air d’un fragment d’ouvrage, et qui cependant n’a jamais été destiné à entrer dans un ouvrage. Publier des fragments. Fragments historiques. (…)”. En effet, peu de musique religieuse et profane néerlandaise du Moyen-Age nous est parvenu. Les compositions sauvées des ravages du temps ou des démembrements de manuscrits sont souvent lacunaires. C’est ainsi à un voyage de fragments en fragments, alternant chansons et motets liturgiques, avec l’adjonction ça et là de compositions plus connues du Codex Faenza que Diskantores invite l’auditeur, en un parcours tonal très construit et où l’homogénéité des voix  et des climats, apporte une belle unité à ce florilège, scandé par les solennelles interventions au grand orgue de Jacques Meegens, à l’éloquence puissante.

Diskantores a respecté les pratiques liturgiques médiévales, en regroupant uniquement quatre voix d’hommes et en choisissant 2 dessus et 2 ténors (SSTT), sans basse. L’équilibre transparent des pupitres puisque composés uniquement de voix de dessus et de ténors, la douce prévalence des deux contre-ténors Oscar Verhaar et Andrew Hallock, superbement stables y compris dans les aigus (nous avons cru entendre des sopranos à première écoute), tirent la palette sonores vers une verticalité lumineuse et sereine. Le contrepoint est admirable de lisibilité, la pulsion, si difficile à déterminer et maintenir en musique ancienne, réussit à conserver une vision structurée et polyphonique, sans pour autant hacher la mélodie qu’une prise de son chaleureuse et très légèrement réverbérée maintient dans un halo intimiste. Certes, les pièces profanes sont traitées avec sérieux et musicalité (et l’on y trouvera de l’amour courtois en français, plus courtois qu’amoureux), et le choix d’une interprétation a capella sans les textures variées des instruments médiévaux renforce encore cette concentration digne et investie. La précision des articulations et de la diction (moins aboutie en vieux français d’ailleurs), la poésie évanescente qui envahit peu à peu l’auditeur face à cette vision un peu rêveuse et lointaine, la subtilité des inflexions qui nécessite souvent une écoute répétée, font de ces petits trésors de musique polyphonique néerlandaise de petits trésors tout court, plein de l’espoir des et du soleil blanchi des contes d’hiver.

 

Amandine Blanchet

Prise de son : légèrement réverbérée, très cohérente (en dépit de deux lieux différents de captation et de la difficulté d’étalonner le grand orgue), globale et équilibrée.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 5 mars 2021
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