Rédigé par 19 h 11 min Gastronomie, Vagabondages

Elixir de longue vie de la Grande Chartreuse : le secret du Duc d’Estrées (1605)

© Kevin O Mara sous licence Creative Commons

A l’occasion des fêtes de Noël, nous poursuivons notre rubrique des alcools baroques avec l’Elixir de la Grande Chartreuse (et non pas les habituelles chartreuses vertes, jeunes, VEP, ou du 9ème centenaire…). Si, si l’elixir, cette petite bouteille pittoresque de 10 cl, titrant à 69 degrés (autrefois 71 mais une directive européenne est venue semer son trouble inutile), contenu dans son coffret de bois la protégeant de la lumière…  1605. Selon la tradition, cette année-là, le Duc d’Estrée confie aux moines herboristes de la Chartreuse de Vauvert à Paris (au sud de l’actuel jardin du Luxembourg, démolie à compter de 1796) un manuscrit contenant la mystérieuse composition d’un « Élixir de longue vie ». En réalité, la famille d’Estrée originaire du Boulonnais, et à l’écu « fretté d’argent et de sable au chef d’or chargé de trois merlettes de sable » doit sa fortune à la belle Gabrielle, maîtresse d’Henri IV mais le titre de duc d’Estrées ne fut créé qu’en 1648 par lettres de Louis XIV, enregistrées par le Parlement de Paris en 1663 (et ressuscité en 1763 en faveur de la famille Le Tellier).

Chartreuse de Paris, gravure allemande d’après une gravure de Merian (1655) – Source Wikimedia Commons

Mais revenons à notre boisson verte dont la recette sera stabilisée par l’apothicaire de la Grande Chartreuse près de Grenoble, le frère Jérôme Maubec en 1764. Ce sera l’« élixir Végétal de la Grande Chartreuse », un cordial médicinal composé d’alcool de raison, sucre, eau, miel et de très nombreuses substances végétales (130 plantes, fleurs, écorces, racines et épices). Son élaboration nécessite plusieurs semaines et trois étapes : distillation, macération et extraction. Environ 80 000 bouteilles d’Elixir sont produites aujourd’hui chaque année. A l’époque, l’Elixir était seulement diffusé localement sur les marchés locaux de Grenoble et Chambery, descendant à dos d’âne du monastère, il fut même prescrit pendant la crise de choléra de 1832. Hélas les Chartreux sont persécutés sous la Révolution et dispersés en 1793, mais la recette est emportée par un des pères et une copie est conservée par le moine autorisé à garder le monastère et le secret est conservé. La déclinaison de l’élixir en digestif est ancienne mais la dénomination de la fameuse Chartreuse verte ne date que de 1840 (55 degrés), en même temps qu’apparaît la Chartreuse jaune plus moelleuse (40 degrés, coloration due au safran) mais qui s’écarte résolument de l’élixir original. Retour aux sources, plus récemment, une version dite « 1605 » de la Chartreuse vise à renouer avec le bouquet plus tonique de l’élixir (quoique titrant comme la Verte à 55 degrés). Anecdote savoureuse : aucun brevet n’a été déposé, et la recette exacte de la chartreuse n’est connue que de 3 moines qui ne connaissent chacun que deux tiers de la recette finale. Secret bien gardé, comme les nombreuses et piètres contrefaçons du XIXème, le prouvent. Enfin, un romancier loufoque a même imaginé dans son roman Paris-en-Fantasy : la légende du Saint-Crââne, que l’élixir était… rien moins que le saint Graal et que la version commercialisée est altérée et ne contient pas les principes de jouvence… [M.B.]

Étiquettes : , , Dernière modification: 7 décembre 2021
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