Rédigé par 13 h 40 min Concerts, Critiques • Un commentaire

“Écoutons le cœur de Rameau” — Claude Debussy

La France était à l’honneur. Initialement, René Martin, maître d’œuvre du festival, avait voulu rendre hommage à l’Espagne, cette Espagne d’Albéniz, de Falla et de Granados… Elle avait trop peu à offrir pour remplir cinq jours de festival, et la France est venue à son secours — car Albéniz comme Falla sont venus à Paris.

La Folle Journée de Nantes

19e édition : L’heure exquise
du 30 au 3 février 2013

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[clear]La France était à l’honneur. Initialement, René Martin, maître d’œuvre du festival, avait voulu rendre hommage à l’Espagne, cette Espagne d’Albéniz, de Falla et de Granados… Elle avait trop peu à offrir pour remplir cinq jours de festival, et la France est venue à son secours — car Albéniz comme Falla sont venus à Paris. Ce dernier y a passé assez longtemps pour en être durablement influencé — quiconque a déjà écouté les Nuits dans les jardins d’Espagne ne peut l’ignorer. La France, aussi, avait dans la période immédiatement précédente, la part belle à l’inspiration ibérique. Son opéra le plus mondialement célèbre n’est-il pas Carmen ? Et l’España de Chabrier, n’est-elle pas aussi bien connue ? Ainsi s’est dessinée une période et une aire géographique qui s’est élargie jusqu’à la musique des années 1950. Ce n’est pas la moindre audace que d’avoir permis aux festivaliers, pour la plupart peu familier avec la “musique contemporaine”, d’approcher les sonates pour piano de Boulez et son Marteau sans maître ou Les Mystères de l’instant de Dutilleux.

Nous ne pouvons que les en féliciter. L’ensemble Utopik, particulièrement, a donné deux concerts du et sur Le Marteau sans maître sur, car l’œuvre s’y trouvait excellemment, bien que rapidement (format court des concerts oblige) expliquée par son chef, Michel Bourcier, qui, passant du recueil de René Char à la pièce de Pierre Boulez, a su, nous le croyons, donner quelques clefs pour approcher le Marteau. Le public a réservé à cette présentation et à l’exécution qui a suivie — laquelle nous a parue, du haut de notre jugement non spécialiste, sensible et fine — un accueil chaleureux, et l’on peut souhaiter que de telles expériences de concerts avec présentation soient renouvelées pour la vingtième édition, qui sera consacrée à la musique en Amérique au XXe siècle : musique des compositeurs américains, musique des immigrés de guerres et de révolutions (Schönberg, Bartók, Prokofiev…), musique commandée par des orchestres américains — l’occasion, à nouveau, de regorger de pédagogie pour faire découvrir des répertoires point évident à des publics qui ne les connaissent pas.

Et puis de l’autre côté de la chronologie, les nobles inspirateurs étaient aussi représentés : Stradivaria et Ricercar sont venus jouer ce Rameau si cher à Debussy — “jamais voix plus française ne s’est fait entendre” —, Pierre Hantaï et Skip Sempé ont évoqué l’école française de clavecin.

N’ayez crainte, lecteur, la Muse Baroque est toujours baroque — et c’est de ces concerts qu’elle va vous entretenir ! Quant à Iddo Bar-Shaï, qui proposait un programme tout François Couperin au piano, nous ne sommes pas allés l’entendre, persuadés — qu’on nous traite de puriste si l’on veut — que jouer du Couperin et jouer du piano ne sont deux activités compatibles que tant qu’elles ne sont pas simultanées.

De Couperin et Rameau à Debussy et Ravel ?

Il nous a manqué, nous l’avons puisque le cœur nous le dit, ces passerelles entre la musique de l’Âge classique et celle de “L’Heure exquise”. Il nous paraît qu’il ne suffit pas de juxtaposer les concerts pour faire apparaître le lien entre Couperin et Ravel — il faudrait peut-être les programmer ensemble ! Voire, pourquoi pas, proposer un concert expliqué.

Notre Folle Journée personnelle a commencé par un Apprenti sorcier de Dukas très réussi par l’Orchestre Lamoureux dirigé par Fayçal Karoui. Cette pièce, on l’oublie souvent au profit de Fantasia, on l’oublie aussi parce que nous connaissons la musique ultérieure qui a tant puisé dans ces essais-là — la musique du cinéma en particulier lui doit beaucoup —, est merveilleusement orchestrée. À cet égard, elle ne souffre du rapprochement ni avec Rameau ni avec Debussy. Et puis, il manquait tout de même à cette fête l’un de ces “apprentis sorciers” français qui comme Rameau, Dukas, Debussy et Ravel ont exploré l’orchestre et les sons : nous voulons parler de Berlioz, qui fait un peu figure de cas unique dans l’histoire de la musique — comme Debussy et Rameau, il semble sans succession immédiate. À cet égard, n’aurait-il pas eu sa place à cette fête musicale ?

Au-delà de la Baroquerie chronologique, et puisque le mouvement du renouveau de la musique ancienne a permis de redécouvrir beaucoup d’œuvres, nous aimerions faire remarquer que la programme faisait une belle part à des compositeurs peu connus et peu joués, comme Jean Cras, Charles Kœchlin ou Théodore Dubois (pour n’en citer que trois). C’est un peu, si l’on veut, prolonger une partie de l’œuvre “baroqueuse” plus loin dans le temps…

Loïc Chahine

www.follejournee.fr

Vers nos folles journées à la Folle Journée :

Jeudi 30 janvier 2013 : Anonyme (d’après Rameau), Concert en Sextuor, Ensemble Stradivaria, dir. Daniel Cuiller
Vendredi 1er février 2013 : “L’Apothéose de Couperin et de Rameau”, Ricercar Consort, Céline Scheen (soprano), dir. et viole de gambe Philippe Pierlot
Samedi 2 février 2013 : De Louis Couperin à Jacques Duphly, Pierre Hantaï, clavecin

Dimanche 3 février 2013 :  De Chambonnières à Rameau, Skip Sempé, clavecin 

Étiquettes : , , , Dernière modification: 10 juin 2014
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