Rédigé par 17 h 41 min Concerts, Critiques

Baroque multivitaminé (Die Goldene Apfel – Private Musicke, Pitzl, von Bernuth – Potsdam, 20/06/2014)

Pour ces chaudes journées d’été au bords de la Spree ou du Havel, un juste rafraîchissement est impératif. Pour certains un peu de Römerquelle ou une bonne bière Rex & Pils, et si on se rabattait sur un bon jus d’orange ? En effet le somptueux Palais de l’Orangerie ce soir nous réservait une surprise inattendue.

FESTA TEATRALE

Die Goldene Apfel

(Extraits de Il Pomo d’Oro – Cesti/ Gli Amori d’Apollo e Dafne – Cavalli)

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

Rodrigo d’Oro – Marcos Fink – Baryton-basse
Isabella Cantinella – Emmanuella Galli – Mezzo-soprano
Aurilla Sturm – Marie-Sophie Pollak – Soprano
Conte Leandro del Torre – Fernando Guimaraes – Ténor
Giovanni Altezzo – Benno Schachtner – Contre-ténor
Magda Fame – Olga Pitarch – Soprano
Ninon von Ilmenau – Laura Luisa Garde – actrice
Monsieur de… – Peter Pruchniewitz – acteur
Gino Gomma – Thomas Dürrfeld – jongleur 

Ensemble Private Musicke
Dir. Pierre Pitzl 

Conception, mise-en-scène – Christoph von Bernuth
Dramaturgie : Micaela von Marcard 

Vendredi 20 juin 2014 – Orangerie Palais, dans le cadre du Musikfestspiele Potsdam Sanssouci

 

Pour ces chaudes journées d’été au bords de la Spree ou du Havel, un juste rafraîchissement est impératif. Pour certains un peu de Römerquelle ou une bonne bière Rex & Pils, et si on se rabattait sur un bon jus d’orange ? 

En effet le somptueux Palais de l’Orangerie ce soir nous réservait une surprise inattendue. Sous les verrières de l’orangerie vide, nous nous sommes attablés pour un cordial festin baroque.  Au palais l’orange de mise fondit, entre la fricassée de poularde fine et le vin blanc de Saxe, comme un nuage de saveurs intemporellement subtiles. Au milieu du repas, des personnages entrèrent, des acteurs, des chanteurs dont les visages ne sont pas méconnus à nos habitudes françaises (Fernando Guimaraes, Marcos Fink, Olga Pitarch).  Nous nous étonnions de comprendre l’allemand tellement le jeu des chanteurs-comédiens était convaincant grâce à la direction d’acteurs de Christoph von Bernuth tout en subtilité et naturel. Le maître de cérémonies Monsieur de XXX apparut avec ses brandebourgs et son tricorne plumé d’aigrettes noires, tout d’un tenant de l’étiquette de cette ère baroque qui nous est chère. Nous allions pénétrer dans le quotidien d’une troupe itinérante d’opéra. La renaissance de ces Febi Armonici qui ont donné tant de plaisir aux cours loin de leur Italie natale.

La suite se déroula dans l’atrium ouvert entre les deux orangeries, un petit aperçu d’une répétition de cette troupe, avec l’arrivée des grandes dames, les coups de cœur, les vengeances mesquines, les airs issus du divin et mystérieux Pomo d’Oro de Cesti. Et nous nous retrouvions comme des voyeurs dans une intimité humaine révolue. Le délice se poursuit dans un petit entremets de commedia dell’arte, sublime petit bijou de pantomime sur la mort déçue et moquée, mais memento mori tout de même !

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

Et l’heure nocturne sonna pour la représentation. La deuxième orangerie accueillit les Amours d’Apollon et Daphné,  sublime bijou de Cavalli qui est trop rarement donné. De bout en bout, ce condensé d’une partition kilométrique nous ravit dans le respect total de l’émotion, une respiration continue dans le drame, dans les passages de nourrice et dans la métamorphose finale, où l’excellente Emmanuella Galli se métamorphosa en laurier sous une délicate pluie de feuilles d’un vert éclatant.  La mort rattrapa le mythe et ramena à la réalité les convives.  Un réveil brutal à la mort sur scène de la Primadonna de la troupe. Déchirant adieu à la musique même, nous rappelant sans cesse l’éphémère fragilité de notre existence. 

Dans sa totalité cette production est une merveille d’organisation, de mise en scène et de dramaturgie. Le tandem Von Bernuth/Von Marcard nous raconte cette histoire avec une force inouïe. Que ce soit dans les instants légers ou dans la gravité du drame humain, le livret et les acteurs subtilement nous attachent à leur destinée et nous rappellent la notre.  Nous nous réveillons du rêve avec des émotions contrastées d’avoir assisté à une création totale.  L’équilibre parfait caractérise ce spectacle, c’est un bien bel hommage aux acteurs de l’art baroque et au souffle humain de ces siècles qui battirent leur fondations sur la passion.

Musicalement, Private Musicke et Pierre Pitzl jouent le jeu avec précision et une compréhension totale du style et du sentiment selon les situations mises en scène.  Côté voix nous avons été submergés d’émotion par le récit de la métamorphose de Daphné d’Emmanuella Galli. Elle a réuni dans sa voix et surtout dans son regard cette étrange transformation de l’état humain et charnel à la vie végétale et la mort. La palme du jeu est honorablement gagnée par l’excellente Olga Pitarch qui se révèle très très convaincante tant par le jeu que par la voix, nous espérons l’entendre bientôt dans des programmes similaires ou bien un prochain récital. Plus en retrait, Marie-Sophie Pollak demeure une belle interprète avec une voix agréable et précise.

Côté hommes, le ténor portugais Fernando Guimaraes poursuit son ascension du Parnasse avec une voix de plus en plus multicolore. Il ajoute à son interprétation la subtilité du jeu, du théâtre, sans une once d’exagération. Marcos Fink, toujours aussi parfait dans son incarnation de l’impresario avec des belles notes graves dans le Cavalli. Dans le rôle de la nourrice le contre-ténor Benno Schaschtner est désopilant. 

Le groupe proprement histrionique composé de Laura Luisa Garde, Peter Pruchniewitz et l’incroyable jongleur Thomas Dürrfeld, nous ravit par l’équilibre du jeu, les échanges réussis avec les chanteurs, et surtout leur trio lors de l’intermède pantomime. 

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

© Musikfestspiele Potsdam Sanssouci / Stefan Gloede

C’est avec l’image d’un baroque retrouvé que l’on parcourt en contrebas la route vers la ville endormie, les bois de Potsdam sont hantés de lucioles et d’étoiles, un réverbère ça et là rappelle que la présence de l’histoire demeure. Dire adieu à la douceur de vibre du XVIIIème pour retrouver le bruit gris des métros, des avenues pavées de gris est une bien pénible peine. Plutôt fermer les yeux et ressentir à nouveau la douce brise voilée de l’humide soupir des lacs, sous la lueur éclatante du soleil de Prusse.  Les aigles protègent le chant des oiseaux qui décorent le cœur de leur royaume. 

Pour nos lecteurs qui auraient un mois de juin 2015 à remplir de rêve et de contemplation, nous encourageons à découvrir le Musikfestispiele de Potsdam-Sanssouci, surtout quand le thème « Musique et jardin » nous révèlera La Purpura de la Rosa, premier opéra des Amériques (Pérou, 1700). En attendant en 2016 que la capitale du Brandenbourg salue Paris au cœur de ses domaines d’un vert éclatant.  

Pedro-Octavio Diaz

Vers le sommaire

Étiquettes : , , Dernière modification: 8 juin 2021
Fermer