Rédigé par 16 h 45 min Concerts, Critiques

Pétillant et bien troussé

Tandis qu’un vent froid de mars balayait la plaine d’Alsace, les spectateurs emplissaient peu à peu la petite salle bonbonnière du théâtre de Colmar, dont la jolie fresque multicolore du dôme tranche sur le blanc immaculé des stucs. Le Mariage secret a été un peu délaissé des programmations lyriques ces dernières années, et c’est bien dommage…

Cimarosa, Il Matrimonio Segreto

Orchestre Symphonique de Mulhouse, direction Patrick Davin

Théâtre de Colmar, 23 mars 2015

photo Matrimonio Segreto

© Opéra National du Rhin / Alain Kaiser

a1mariage_secret_onr_ph_alainkaiser_72221427206340

Domenico CIMAROSA (1749 – 1801)Il Matrimonio Segreto
Dramma giocosa per musica en deux actes, livret de Giovanni Bertati
Créé au Burgtheater de Vienne le 7 février 1792.

Nathanaël Tavernier (Signor Geronimo),
Rocio Pérez (Carolina),
Gaëlle Alix (Elisetta),
Lamia Beuque (Fidalma),
Peter Kirk (Paolino),
David Oller (Comte Robinson)

Mise en scène : Christophe Gayral
Décors : Camille Duchemin
Costumes : Cidalia Da Costa
Lumières : Christian Pinaud

Orchestre Symphonique de Mulhous
Continuo (pianoforte) : Amandine Duchênes
Direction Patrick Davin
Production de l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin

Représentation du 23 mars 2015 au Théâtre de Colmar

Tandis qu’un vent froid de mars balayait la plaine d’Alsace, les spectateurs emplissaient peu à peu la petite salle “bonbonnière” du théâtre de Colmar, dont la jolie fresque multicolore du dôme tranche sur le blanc immaculé des stucs. Le Mariage secret a été un peu délaissé des programmations lyriques ces dernières années, et c’est bien dommage : en marge des chefs d’œuvre de Mozart et Da Ponte, Cimarosa nous a composé de magnifiques et pétillants ensembles pour cette comédie burlesque, trait d’union entre le théâtre italien du XVIIIème siècle et les vaudevilles bourgeois du XIXème.

Pour la mise en scène Christophe Gayral avait choisi de nous plonger dans le petit monde reclus d’un atelier de plumasserie artisanal des années 1950, où officie un signor Geronimo sourd et écrasé par les ans… et l’ambition qu’il nourrit pour marier ses filles ! Hélas, le comte Robinson, promis à l’aînée Elisetta, tombera sous le charme de la cadette, la petite Carolina, déjà mariée secrètement à Paolino, le jeune associé de son père. A part les époux, personne n’est au courant : cette ambigüité permettra à l’intrigue de se développer, malgré les appels répétés de Carolina à un Paolino qui manque décidément de courage pour rendre public son engagement. Pour corser le tout, Fidalma, la sœur célibataire de Geronimo, a un faible pour Paolino… Sûr de lui et dédaigneux, le comte Robinson est assurémment le personnage le plus antipathique de l’intrigue. Face à ces hommes veules, prétentieux et inconsistants, les femmes mènent la danse avec rouerie : l’échec de la fuite finale des amants les forcera à révèler leur union secrète, et bien entendu tout sera pardonné ; pour faire bonne mesure le comte épousera finalement Elisetta, qui verra réalisé son rêve devenir Comtesse !

On notera l’habile décor du second acte, avec ses portes multiples et ses plateaux tournants aux extrémités, qui permettent de recréer tour à tour les allées et venues collectives et les scènes d’intérieur. Les portes suggèrent aussi les multiples issues possibles de l’intrigue, dont les enchevêtrements se succèdent à un rythme accéléré : les négociations entre Geronimo et Robinson au début de l’acte, le second acceptant de renoncer à la dot s’il peut épouser la sœur de la promise, l’inutile et désopilante tentative de Robinson pour se faire détester d’Elisetta, la séduction poussée de Fidalma auprès de Paolino..

Rocio Pérez incarne une Carolina physiquement séduisante (on comprend qu’elle attire les coeurs !), et vocalement très pétillante, en particulier dans les ensembles. Son timbre cristallin est à l’aise dans les aigus, qui demeurent toujours aisés et naturels, notamment lorsqu’elle tente de dissuader le comte au premier acte. Face à elle, l’Elisetta de Gaëlle Alix affiche avec obstination son envie d’une union aristocratique, qui va lui permettre d’échapper à cet univers bourgeois, quoi qu’il lui en coûte : le Comte est désargenté, et il n’a pas d’intérêt pour elle. Son timbre nacré annonce la future épouse bourgeoise et résignée. Sanglée dans son tailleur, Lamia Beuque (Fidalma) déploie des couleurs mates, qui soulignent le caractère sévère du personnage, et affecte un maintien de convenance bourgeoise dont elle se libère avec une hardiesse incontrôlée en présence de Paolino (contraste dont s’empare avec humour la mise en scène : la scène de séduction du second acte virerait quasiment au viol sans la providentielle arrivée de Carolina !).

a7mariage_secret_onr_ph_alainkaiser3

© Opéra National du Rhin / Alain Kaiser

Geronimo sans âge, vieilli et affublé de costumes grotesques (la blouse de l’atelier, la tenue de nuit au second acte), Nathanaël Tavernier traduit avec force et conviction le caractère bouffe du personnage. De son côté David Oller joue avec succès de son physique de séducteur méditerranéen pour camper un Robinson vaniteux et sûr de lui à son arrivée, paré d’un improbable costume chocolat aux larges revers. Il sait aussi faire preuve de faiblesse et d’humanité lorsqu’il explique en vain à son futur beau-père que la promise ne le satisfait pas, et qu’il n’a d’yeux que pour la cadette. Son numéro pour convaincre Elisetta qu’il est un monstre est absolument désopilant ; la projection est belle, et le timbre bien stable. Dans le rôle de Paolino, le jeune ténor Peter Kirk possède lui aussi le physique de l’emploi et ajoute à sa prestance son timbre chaleureux, à la belle aisance dans les aigus.

A la tête de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse hélas sans instruments d’époque (et les timbres s’en ressentent) Patrick Davin rend justice aux ensembles enlevés de cette brillante partition : on retiendra en particulier le final échevelé du premier acte, et la scène où Robinson tente de dissuader Elisetta de l’épouser, ainsi que les effets comiques appuyés de la scène entre Robinson et Geronimo au début du second acte. Les cordes font preuve d’une belle vivacité, et d’un moelleux sensuel, tandis que le pianoforte d’Amandine Duchênes apporte l’indispensable touche d’un Siècle des Lumières finissant.

Saluons encore une fois cette heureuse reprise de l’Opéra National du Rhin, en précisant que ce spectacle sera donné également à Strasbourg début juillet : que nos amis internautes de l’Est de la France se le disent !

Bruno MAURY

Étiquettes : , Dernière modification: 6 juin 2020
Fermer