Rédigé par 23 h 50 min CDs & DVDs, Critiques

Airs de Lyre ! (Sur les pas de Jean Le Flelle, Angélique Mauillon – Seulétoile)

Sur les pas de Jean Le Flelle
Itinéraire d’u
n harpiste entre Paris et Londres au XVIIème siècle.

René Mésangeau (15..-1638 ?)
Suite en do majeur
John Dowland (1563 ?-1626)

Sir John Langton’s Pavan
John Banister (1624 ?-1679) et anon.

Banister Tune, Sarabande, Courante
Jean Mercure (16.. ?-vers 1650)

Suite en la mineur
Thomas Tomkins (1572-1656)

Fancy, Toy for Mr Curch, Voluntary for Achdeacon Thornburgh
Jean Mercure (attribué à )

Almaygne Mercure
François Dufaut (16..-1680 ?)

Suite en ré mineur
Ennemond Gaultier (1575 ?-1651)

Suite en la mineur
Benjamin Cosyn (1580 ?-1653) et anon.

What if a day or a month or a yeare
A Paven
Sarabande
Pierre Dubut père (161. ?-167. ?) et fils (164. ?-1700 ?)

Suite en do majeur

Angélique Mauillon, harpe baroque triple de Simon Capp, 2014
1 CD, Seulétoile, 2002, 64′

L’apollonienne lyre a beau être l’apanage d’Orphée et de la lyrique Erato, il faut bien avouer que sa cousine la harpe a rarement les honneurs d’un récital entier, souvent reléguée comme instrument de rang ou d’accompagnement. En soliste, elle se fait encore plus rare. Pourtant elle ne manqua pas de serviteurs dévoués décidés à en révéler les charmes sonores, la variété des accents et l’expressivité foisonnante, l’instrument sachant osciller des tons les plus guillerets à une plus sombre mélancolie dans une belle palette de variations.

Il convient donc de saluer la belle initiative de la harpiste Angélique Mauillon, déjà bien connue pour ses collaborations avec le Concert d’Astrée, l’Ensemble Correspondance ou encore le Poème Harmonique, qui propose ici un programme entièrement dévolu à la harpe soliste, et centrée autour de la figure d’un lointain confrère, Jean Le Flelle, qui officia principalement à la cour d’Angleterre dans la première moitié du XVIIème siècle. Figure énigmatique à la biographie lacunaire, à la fois prétexte et émulation pour partir explorer et redécouvrir quelques belles pages composées pour la harpe baroque des deux côtés de la Manche en cette première moitié de Grand Siècle.

De Jean Le Flelle nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est qu’il profita sans doute d’une période de relations assez harmonieuses entre les couronnes de France et d’Angleterre. Henriette-Marie de France (1609-1669), sœur cadette de Louis XIII, fille de Henri IV et de Marie de Médicis avait en effet épousé Charles Ier Stuart. La Reine fit sans doute venir Jean Le Flelle dans sa suite et sa présence est attestée à la cour de Londres entre 1629 et 1641, où il fait partie de son entourage, Henriette Marie ayant reçu une instruction artistique conforme à son rang, complète des disciplines incluant la danse, le dessin et la musique. Une éducation qui, si elle rejoignait les goûts de son époux, purent choquer un certain puritanisme anglais appréciant encore mal qu’une reine puisse s’adonner aux plaisirs du divertissement au point de tenir des rôles sur scène. Sous la contrainte de la guerre civile, la Reine quitta Londres en 1644, revenant à Paris et ne pouvant entraver l’exécution de Charles Ier en 1649. Elle ne devait revoir Londres qu’en 1660 pour le couronnement de son fils, Charles II. L’entourage de la Reine à la cour est connu et mentionne en 1629 un John De Flelle, ainsi qu’un Mr Flaisle en 1640 qui semble bien être le même personnage. Quelques autres documents recherchés par Angélique Mauillon font état de Jean Le Flesle, John LeFlalle ou John LeFlesle. C’est à peu près tout pour les éléments biographiques d’un harpiste dont l’ascendance reste obscure, de même que les maîtres.

D’où l’envie fort séduisante de reconstituer ou du moins retracer ce qu’a pu être l’itinéraire et le paysage musical de cet obscur harpiste. Et à supposer que Jean Le Flelle fit ses classes dans les jeunes années de la future reine à la cour de Louis XIII il croisa sans doute René Mesangeau (vers 1568-1638, parfois aussi orthographié Mézangeau), luthiste renommé dont la Suite en Do Majeur ouvre le programme de cet enregistrement, et dont le raffinement de composition se révèle tout particulièrement dans une légère et gracieuse Allemande, ainsi quand une plus mélancolique Sarabande, discrète et intense que rend parfaitement gracile la harpe baroque à trois registres d’Angélique Mauillon, d’une poétique fluidité. La carrière de Mesangeau résonne avec celle d’Ennemond Gaultier que l’on retrouve un peu plus tard dans le programme, pour sa Suite en La Mineur. Si ce dernier est notamment célèbre pour son Tombeau à Mesangeau dont il fut le très probable élève, c’est une Allemande qui ouvre cette suite, Tombeau à l’Enclos, en hommage à Henri de l’Enclos, noble cultivé épris de culture et père de la célèbre épistolière Ninon de l’Enclos. Une suite où l’on retrouve aussi deux pièces caractéristiques de l’école de luth française avec la Courante, La Belle Homicide et une charmante Canarie. Ennemond Gaultier (ou Gautier), originaire des abords de Vienne (au sud de Lyon) et faisant partie de l’entourage de Marie de Médicis (ce qui lui donna l’occasion un temps d’enseigner le luth à Richelieu) eu l’occasion de travailler en Angleterre, notamment à l’occasion de la naissance du prince de Galles, futur Charles II, mais pâtit ensuite de la déchéance de sa protectrice, ne voyant ses compositions publiées que post-mortem par son cousin Denis Gaultier (vers 1672), avec qui ont le confond parfois. Une carrière évoluant des deux côtés de la Manche que connue aussi Jean Mercure, compositeur également dans le cercle de Mesangeau et Gaultier qui officia semble-t-il plusieurs années en Angleterre vers les années 1620, au service de Charles Ier, et dont il nous est ici donné l’occasion de découvrir une Suite en La Mineur à l’Allemande parfaitement assurée, offrant un réjouissant équilibre de composition, qui se retrouvera dans une Courante à l’allégresse subtilement retenue et une Sarabande pour le moins solennelle. Là encore, l’élégance perlée d’Angélique Mauillon, son sens de la pulsation, le doux équilibre qui se dégage de cette lecture lumineuse et contrastée emportent l’adhésion. 

Robert Bénard (1731-1794). Harpe, gravure pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert Volume IV, 1767. A priori une harpe à double registre – Source : Wikimédia Commons

 

Jean Le Flelle lors de son séjour outre-Manche eu sans doute l’occasion de croiser quelques compositeurs anglais de luth et peut-être John Dowland qui devait s’éteindre en 1626, après avoir notamment officié à la cour de Christian IV du Danemark et dont nous retrouvons là une pièce en son temps célèbre, le Sir John Langton’s Pavan, aux harmonieux arpèges. Mais avec John Dowland, c’est aussi un peu de la gloire anglaise du luth qui s’éteint, supplanté par le virginal qui fit rapidement l’objet de plusieurs recueils de pièces (dont le plus fameux reste le Fitzwilliam Virginal Book), instrument pour lequel composera Thomas Tomkins (1572-1656) dont le style posé de claviériste se retrouve parfaitement dans le Voluntary, for Mr Archdeacon Thornburgh, assurément l’une des pièces les plus originales de ce passionnant programme.

Rien n’indique formellement que Jean Le Flelle fit partie de l’entourage de la Reine quand elle retourna à Londres pour le couronnement de son fils au moment de la Restauration monarchique. Si tel a été le cas, peut être Jean Le Flelle rencontra-t-il John Banister (vers 1624-1679) dont quelques pièces qui lui sont attribuées sont ici exécutées ? Ce qui apparaît par contre plus certain c’est que Le Flelle, à son retour en France après son séjour anglais trouve un paysage musical où le luth est encore largement joué, à l’image des œuvres de François Dufaut dont nous goûterons les délices d’une Suite en Ré Mineur inventive, avec une Courante très imagée, quasi visuelle, et une gigue finale enlevée et profonde rendant un bel hommage à la palette chromatique de l’instrument. D’ailleurs, oserons-nous l’avouer, cette harpe triple, quoique plus brillante et moirée, plus aigue et métallique dans son timbre, rappelle tout de même furieusement le luth du fait de l’écriture de ce répertoire, et de ses cordes en boyau.

Le programme s’achève avec une Suite en Do Majeur sans doute composée par Pierre Dubut père, et son fils, le premier jouissant à l’époque d’une belle renommée de luthiste, jusqu’à être cité dans des ouvrages anglais. Mais ces compositions marquent également une césure où le luth s’éloigne peu à peu de la cour pour se retrancher dans la musique de salons, supplanté par l’opéra que Mazarin participe à faire venir d’Italie.

Au travers d’un itinéraire sur les pas du harpiste Jean Le Flelle, Angélique Mauillon nous invite à découvrir et reconsidérer tout un pan de la musique de cour du premier dix-septième siècle, qui entre France et Angleterre connaît un épanouissement à la saveur discrète et rêveuse, peu tapageuse, mais aux charmes réels pour ceux qui s’y aventureront.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

Étiquettes : , , , Dernière modification: 12 janvier 2023
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