Rédigé par 12 h 57 min Cinéma, Critiques, Littérature & Beaux-arts

Autopsie d’un massacre sur pilotis

Hélas, l’homme, quelques quatre années plus tard, s’avère être l’un des plus dangereux récidivistes du moment. Et son amour pour la musique baroque (et pour les frites surgelées) n’a d’égal que sa capacité à polluer nos écrans larges par une production qui frise encore une fois l’amateurisme adolescent le plus complet. La victime sera cette fois le Prêtre Roux, Antonio Vivaldi, catapulté Prince à Venise, et nous remercions au passage un vigilant membre de l’équipe du film pour avoir évité que ce long-supplice ne s’intitule Antonio Vivaldi, un doge à Venise…

 Antonio Vivaldi, un prince à Venise

 


Un film français et italien de Jean-Louis Guillermou avec Stefano Dionisi, Michel Serrault, Michel Galabru, Delphine Depardieu, Annette Schreiber, Katia Tchenko, Diane Fertikh, Christian Vadim
Genre : Biopic – Durée : 1H26 mn

[divide]En 2003, les spectateurs de salles obscures découvraient enfin la vérité sur la mort du grand Bach. Le Cantor de Leipzig, s’il n’avait pas succombé aux suites d’une calamiteuse opération oculaire, aurait sans nul doute été assassiné par la criminelle maladresse de Jean-Louis Guillermou, soi-disant réalisateur de cinéma.

Hélas, l’homme, quelques quatre années plus tard, s’avère être l’un des plus dangereux récidivistes du moment. Et son amour pour la musique baroque (et pour les frites surgelées) n’a d’égal que sa capacité à polluer nos écrans larges par une production qui frise encore une fois l’amateurisme adolescent le plus complet. La victime sera cette fois le Prêtre Roux, Antonio Vivaldi, catapulté « Prince à Venise », et nous remercions au passage un vigilant membre de l’équipe du film pour avoir évité que ce long-supplice ne s’intitule « Antonio Vivaldi, un doge à Venise »…

Par rapport à « Il était une fois Bach », le réalisateur bénéficie pourtant de l’admirable décor de la Sérénissime : l’eau dormante, les gondoles, la lumière d’Italie. Les reflets changeants et satinés de la pierre qui s’effrite, la douceur de l’après-midi vaporeux, les volutes de pierre qui s’enroulent à chaque piazetta pouvaient nourrir des espoirs insensés. Mais la caméra abuse de ce cadre sublime avec la voracité d’un touriste japonais, quitte à étouffer dans ses bras trop aimants tous les anachronismes du monde. Côté cadrage et esthétique, la vidéo du voyage de noces de Tante Huguette a dû servir de source d’inspiration : l’œil instable de la caméra n’hésite pas à couper la tête des acteurs lorsqu’ils parlent, à rattraper au vol un plan bâclé, à donner l’impression d’assister au tri journalier des rush avant montage. La lumière est brute, digne d’un téléfilm de mauvaise facture qui ignorerait l’emploi de réflecteurs.

Outre la jolie blonde, l’intérêt de cette scène réside dans l’hommage au catalogue Habitat grâce à la magnifique plante verte (à droite, nous ne manquerions pas autant de respect au sujet de la jeune fille) et aux… euh… oui… enfin… torchères ???

On retrouvera ainsi la griffe particulière du « cinéaste » à travers une direction d’acteurs inexistante, un texte récité à la manière d’une fable de La Fontaine sur l’estrade vermoulue d’une classe de CE2 (si l’on oublie Michel Serrault et Galabru qui cabotinent dans leur coin), et des costumes loués à la boutique de carnaval la plus proche. Après Meurtre dans un jardin anglais, et le bal final de Ridicule, il fallait oser poser sur le crâne des participants de telle touffes de polyester blanchies à la chaux et prétendre à l’art ô combien difficile de la perruque. Et entre le regretté Michel Serrault qui pique des colères de pacotille en se demandant s’il ne ferait pas mieux de quitter cette gondole, et les antennes TV qui parsèment l’arrière-plan, ce Prince à Venise ne vous laissera pas indemnes.

Excellent trucage, la pique du violoncelle n’est pas visible sur cette photo, même si le hautboïste à l’arrière plan et son instrument bourré de clefs métalliques constitue un bon échantillon du film.

L’intrigue est fort bien dissimulée. Dans une approche « nouvelle vague », Guillermou a réussi à brouiller les pistes, enchaînant les scènes sans scénario apparent. On croyait que la nature avait horreur du vide, mais le réalisateur ne craint pas ces superstitions d’un autre âge et brave toutes les conventions, foulant au pied l’académisme théâtral d’un Amadeus, la rigueur calviniste d’une Chronique d’Anna Magdalena Bach, l’émotion grandiose de Tous les Matins du Monde, offrant à la nomenklatura des Cahiers du Cinéma un pied de nez désormais légendaire.

Une boum costumée ? Quelle étrange manière de porter une cape sur la veste sans justaucorps… Et cette architecture vénitienne typique d’Ile-de-France ! Ne parlons pas même de l’espèce de fiacre XIXème derrière.

Car jamais dans vos cauchemards les plus atroces, auriez-vous pu imaginer semblable déconfiture, pareil mépris pour la vérité historique, ignorance pour la musique de Vivaldi (massacrée par un orchestre qui nous ferait presque regretter les rodomontades d’un André Rieu), indifférence pour la beauté de la lagune, outrage à la profession d’acteur, humiliation pour la victime consentante qui a craché au bacinet dans un réflexe masochiste incontrôlé. Alors, pourquoi bouder ce plaisir, quand, pour la modique somme d’un ticket de cinéma, une telle crise de fou-rire est à portée de main ? 

                                                                                                                                                    Viet-Linh NGUYEN 

Étiquettes : Dernière modification: 18 juillet 2014
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