Tutta Sola
Bach, Matteis, Vilsmayr, Westhoff, Tartini
Johann Sebastian BACH (1685-1750)
Toccata and fugue in D minor, BWV 565
Transcribed by Chad Kelly in A minor
Johann Joseph VILMAYR (1663-1722)
Artificiosus concentus pro camera
Nicola MATTEIS JR ; (vers 1690-1737)
Fantasia in C minor, con discretione
Pedro Lopes NOGUEIRA (vers 1720)
Movements from Nogueira manuscript
Anonymous
Movements from klagenfurt manuscript (vers 1680)
Johann Paul von WESTHOFF (1656-1705)
Suite for solo violin without bass in A major
John WALSCH (vers 1666-1736)
Select preludes and vollentarys for the violin (preludes d’Archangelo Corelli, Francesco Gasparini, Tomaso Antonio Vitali, Ambrogio Lonati & Henry Purcell)
Giuseppe Tartini (1692-1770)
30 violin sonatas : Piccola sonata 17 in D major, B.D2
Rachel Podger, violon Pesarinius (Gênes, 1739)
1 CD digipack, enr. 2022, Channel Classics, 67′
Nous avions laissé Rachel Podger sur une intéressante relecture de deux des symphonies majeures de Joseph Haydn, la Mercury (n°43, 1771) et La Passione (n°49, 1768) (Tafelmusik, 2024). Cette interprétation revigorante, respectueuse du contexte de création de ces deux œuvres qui nous a donné envie de nous pencher sur un enregistrement un peu plus ancien de la violoniste anglaise, Tutta Sola (2022) dans lequel la violoniste explore les œuvres de quelques précurseurs ou contemporains de Jean-Sébastien Bach ayant composé pour violon seul, sans accompagnement de basse continue.
Si depuis une vingtaine d’années de nombreux violonistes ont exploré ces pages, Rachel Podger apporte sa pierre à l’édifice, par bien des aspects babélien et chancelant, composé des études et querelles sur la paternité de la Toccata et Fugue de Jean-Sébastien Bach (BWV 565). Œuvre de jeunesse pour orgue largement influencée par le Stylus Phantatiscus, œuvre composée par un autre compositeur, ou composition initiale pour violon ? Sans avoir la prétention de trancher le nœud gordien de querelles musicologiques, l’artiste livre une transcription du célèbre morceau dans une transcription de Chad Kelly, claviériste et metteur en scène œuvrant principalement au Royaume-Uni et en Australie. Cette transcription transforme l’œuvre, qui apparaît alors étonnamment débarrassée de bariolages, sans tomber dans une simplification qui en ferait perdre la saveur. Bien au contraire, ainsi épurée, Bach conserve son efficacité mélodique et la Toccata séduit par sa simplicité vive, fraîche, tout en sachant verser vers des aspects plus virtuoses et tendus, comme la démonstration déjà, du très large spectre émotionnel que l’instrument peut embrasser. La Fugue, plus conséquente, plus souple, plus aérienne, mais au son également plus grainé alterne avec des moments tendus sur lesquels l’archet de Rachel Podger, ferme et franc, rend palpable toute la diversité de la pièce.
Nombre des pièces écrites pour violon seul ne l’ont pas été dans un souci de virtuosité, ni même sans doute dans un but premier de joliesse de l’écriture mélodique, mais sont avant tout des pièces techniques, dont la qualité principale doit être de permettre l’amélioration technique du musicien par l’exercice du placement des doigts et de l’archet. C’est le cas de nombreuses oeuvres de cette enregistrement dont la rareté et la difficulté d’exécution, avérée, ne suffit pas tout à fait à passer outre un intérêt musical souvent assez modéré. C’est le cas notamment de la suite de courtes pièces publiées par John Walsh (vers 1666-1736), suite de préludes issus des Preludes and Vollentarys for the violin (1705) et portant chacun le nom de leur compositeur. Sont ainsi présents Arcangelo Corelli, Gasparini, Vitali, Lonati et Purcell dans une suite de très courtes pièces, souvent moins d’une minute, trop brèves pour réellement retenir l’attention et s’apparentant plus souvent à un exercice de style qu’à une œuvre musicale jouissant d’une pleine maturité.
C’est également le cas des courtes pièces de Pedro Lopes Nogueira, compositeur portugais actifs vers 1720 dont les trois études présentées ont plus un intérêt historique sur les doigtés adoptés à cette époque qu’une saveur musicale accomplie. C’est le cas également, et avec la même pointe de regret, pour les œuvres présentées de Johann Joseph Vilsmayr (1663-1722), compositeur autrichien, aîné de Jean-Sébastien Bach dont les seules œuvres connues, issues de l’Artificiosus concentus pro camera (1715), contenant six partitas possiblement écrites pour violon solo (la question n’est pas tranchée) et dont la suite de pièces inscrites au programme, constituée de courtes danses (gigue, menuet, sarabande…). Elles relèvent là aussi de la démonstration d’appropriation par l’instrument de rythmiques usuelles dans la musique de cette période qu’elles ne flamboient par leur intensité musicale. Tantôt champêtres, sautillantes, dansantes, enjouées ou légères, voici des pièces agréables, mais un peu évanescentes.
Alors, pour trouver davantage de consistance, nous nous tournerons vers des valeurs plus sûres : Nicola Matteis Jr (vers 1690-1737) dont la Fantasia en do mineur, con discretione, profonde, mélancolique, sentimentale, complexe dans sa forme, variée dans ses affects, sublime toute l’expressivité dont est capable le violon tout en évoquant des formes, des sentiments exprimés par des compositeurs bien plus contemporains. Oui, cette composition de Nicola Matteis prend parfois des accents que ne renierait pas Mendelssohn.
Ce voyage en solitaire ne pouvait pas faire l’impasse sur Tartini (1692-1770) dont nous est présentée la Piccola sonata 17 in D major, issue de ses trentes Sonates pour violon. Une œuvre où se retrouve le goût de l’ornementation propre au compositeur, une fougue de de jeune promu de cavalerie, comme dans cet Allegro assai, très structuré et dont s’empare avec virtuosité Rachel Podger, sabrant des attaques acérées, précises, dans un parfait rendu d’une œuvre mettant parfaitement en avant la dextérité musicale de son instrument.
Autre contrée, autre style avec les suites pour violon seul sans basse de Johann Paul von Westhoff (1656-1705), dont les compositions allient savamment expressivité et virtuosité, passant d’un Prélude à la vivacité virtuose à une allemande intériorisée, plus lancinante et mélancolique toute aussi expressive, avant que sa gigue, très typique du genre ne vienne terminer de nous convaincre que le dresdois est bien l’un des maîtres les plus accomplis des premiers temps du violon solo.
Si avec ce panel des compositeurs pour violon seul Rachel Podger nous emporte avec assurance, maîtrise et séduction à la découverte de pages anciennes pour l’instrument, l’enthousiasme est toutefois tempéré par le choix de certaines œuvres, trop techniques et confidentielles, quand d’autres au contraire révèlent toute la majesté conférée à l’instrument par ses premiers serviteurs.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement clair et équilibré.
Étiquettes : Jean-Sébastien Bach, Matteis, Muse : argent, Nogueira Pedro Lopes, Pierre-Damien Houville, Podger Rachel, Tartini, Vilsmayr, Walsh John, Westhoff von Dernière modification: 10 octobre 2025