Johann MATTHESON (1681-1764)
Der liebreihe und Geduldige David (Hambourg, 1723)
L’aimant et patient David
Oratorio pour solistes, chœur et orchestre
Christian Hilz – Basse
Nicki Kennedy – Soprano
Ursula Eittinger – Alto
Raimonds Spogis – Basse
Max Ciolek – Tenor
Chœur de la Kölner Akademie
Die Kölner Akademie
Direction Michael Alexander Willens
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En 1705, durant une courte période, le compositeur et diplomate hambourgeois Johann Mattheson se trouvait à Amsterdam. Il reçut à cette occasion la lettre d’un de ses proches amis resté à Hambourg. La missive le priait de revenir en toute hâte dans le port hanséatique car “le moment vient où rien ne peut se faire à l’opéra en votre absence.” L’auteur de ce pli empressé n’est autre que Georg Friedrich Händel, ami fraternel de Mattheson et collègue de fosse au Gänsmarktoper de Hambourg. S’il est vrai que Händel est un génie, sa musique est indissociable de celle de Mattheson, c’est lui et Reinhard Keiser qui ont poli le style dramatique du jeune compositeur. L’année Händel s’achève doucement et dans les tsunamis de célébrations, de concerts et de parutions discographiques, nul hommage n’est rendu à la mémoire de ceux qui aidèrent le maître londonien à se construire.
Las, c’est justement pour cette fin d’année 2009 que l’enthousiaste label CPO rend à la vie un des nombreux oratorii de Johann Mattheson, Der liebreiche und Geduldige David, en français, L’aimant et patient David. Inspiré de l’Ancien Testament et en particulier du Livre des Rois, cette œuvre est sise en Judée sous le règne de David et lors de la révolte de son fils aimé Absalom. C’est une parabole sur le sort des justes face à l’ingratitude.
Cependant, loin du préjugé que l’on peut avoir sur la musique religieuse de certains maîtres allemands, Johann Mattheson déploie dans cet oratorio une palette dramatique sensationnelle. Nous pouvons entendre à la fois des chœurs très recueillis au contrepoint développé, signe distinctif de la sonorité germanique, et par ailleurs des airs du plus délicieux style italien qui nous rappellent quelques pages de Caldara ou Bononcini. Comme le voulait la tradition de “goûts réunis” de l’opéra de Hambourg, Mattheson réussit comme Telemann et plus tard Haendel, à pratiquer une synthèse intéressante et novatrice des modi en vogue au début du XVIIIème siècle. Sa carrière de diplomate et son érudition ont sans doute conditionné positivement ses choix harmoniques multiples et même ses trouvailles les plus abouties. Ainsi, en tête de plusieurs airs ravissants, il conviendrait de placer l’air de David Lass Ihn Fluchen, aux accents descriptifs et au staccato puissant et éloquent. Nous saluons aussi le lamento Ach Absalom, où toute la douleur se concentre dans la ligne vocale au dépouillement désarmant et à l’effet aussi puissant que le Lamento della ninfa de Claudio Monteverdi.
Côté artistes, saluons d’emblée la très belle voix de Nicki Kennedy dans le rôle de la Meditatio. Sa virtuosité et son énergie se déploient dans Der loder der Tugend rappelant l’écriture de Händel et de Telemann, contemporains et amis de Mattheson. Par ailleurs, dans l’air O Seelge sund, au délicieux solo de violon, la soprano est touchante et presque hiératique. Autrement, l’alto clair et coloré de Ursula Eittinger fait des merveilles sans forcer dans les registres, elle démontre sa maitrise dans l’air So geht es dir bluthund.
Cependant, alors que nous attendions la basse annoncée pour le rôle de David, Christian Hilz sonne plus comme un ténor barytonant avec des possibilités dans les graves. En dépit de cela, sa prestation ne manque aucunement de précision et de beauté. L’interprétation s’avère résolue – en dépit de soucis dans la ligne et les vocalises – passionnante dans Lass Ihn Fluchen et débordante de douleur dans Ach Absalom, deux grands moments. Par ailleurs, Raimonds Spogis et Max Ciolek, mis à part un duo honnête, Gott Ist es der für alle menschen wacht, éprouvent hélas souvent des difficultés avec ce répertoire.
Les chœurs de la Kölner Akademie connaissent l’entrain et le recueillement, et la cohérence que demande ce type d’œuvre. Les plus belles prestations figurent dans le Ihr Helden Auf zur Schlacht et le chœur final. La maitrise des codes et la palette pléthorique qu’ils développent sont dignes d’éloges.
Malgré quelques problèmes de précision et de cohésion au début de l’oratorio, la Kölner Akademie brillante et dramatique, s’investit dans l’intrigue et soutient les solistes avec dynamisme, notamment le violon dans O Seelge sund et le douloureux théorbe dans Ach Absalom. Michael Alexander Willens dirige avec panache son orchestre et rend à Mattheson un hommage à la hauteur des merveilles de sa partition.[divide]
Il semble évident, à l’écoute de la musique vocale de Mattheson, que l’univers Haendel ne cesse de s’étendre et qu’il doit beaucoup aux génies qui se penchèrent sur le berceau de son talent débutant. Le courage entreprenant du label CPO qui a déterré plusieurs trésors de la musique hambourgeoise, devrait nous convaincre d’écouter les compositeurs du nord. Pour le moment redécouvrons encore avec un ravissement certain les pages sublimes de Johann Mattheson.
Pedro-Octavio Diaz
Technique : bon enregistrement, pas de remarques particulières.
Étiquettes : CPO, Muse : argent, musique religieuse, Pedro-Octavio Diaz Dernière modification: 9 novembre 2020