Rédigé par 11 h 36 min Actualités, Editos

Un Sapin à Versailles

J’avais songé pour l’éditorial de Noël à une prose leste accompagnée d’illustrations appétissantes. Le bandeau de Noël et cette pin-up censée remplacer le frontispice habituel reflètent ce choix. Pourtant, lors du dernier déjeuner de rédaction, des voix se sont faites entendre (vive la démocratie baroque !), selon lesquelles la Muse Baroque ne devait pas se transformer en un lieu de débauche et de stupre où, alanguis sur de confortables sofas, les jeunes rédacteurs et rédactrices échangeraient des sourires entendus…


Eléments de contexte

J’avais songé pour l’éditorial de Noël à une prose leste accompagnée d’illustrations appétissantes. Le bandeau de Noël et cette pin-up censée remplacer le frontispice habituel reflètent ce choix. Pourtant, lors du dernier déjeuner de rédaction, des voix se sont faites entendre (vive la démocratie baroque !), selon lesquelles la Muse Baroque ne devait pas se transformer en un lieu de débauche et de stupre où, alanguis sur de confortables sofas, les jeunes rédacteurs et rédactrices échangeraient des sourires entendus ; en écoutant les airs de ce coquin de Charpentier tels “Ils faut rire et chanter” H. 484 et surtout “Auprès du feu l’on fait l’amour” H 446. L’austérité du Grand Roi céderait peu à peu à la licence de la Régence, aux soupers fins parisiens envahis par les danseuses de l’Opéra (alors plus célèbres pour leur petite vertu que pour leur talent).

Il était donc temps de réagir, et par un coup d’éclat et de semonce, de recadrer cet éditorial trop festif par un lifting dit “Mme de Maintenon”. Exit les jolies Muses, dont les courbes sont remplacées par celles, sépia, de ce gros buis taillé bien en chair (ci-dessous). Exit les plaisanteries légères, l’heure est à Newton et à la gravité.

– “Et si on invitait le Père Bretonneau pour parler de la naissance de Jésus et des différentes œuvres baroques sur la nativité  ?” se demande la ravissante Sophie M. en faisant la moue.

– “Euh, la dernière fois que j’en ai entendu parler, il enseignait au Collège Louis-le-Grand, en 1688” répond mon fidèle assistant L.C. en écrasant sa cigarette sur un fac-similé de l’Astrée d’Honoré d’Urfé.

– “Zut, il a dû être muté depuis alors…” répond la jolie brune en jouant avec une mèche folle.

– “Et si on parlait du sapin de Noël ?” rétorque Sébastien, toujours plongé dans son Jardinage Magazine à la rubrique ‘sécateurs et outils traditionnels’.

– “Mais c’est totalement idiot ! Personne ne va s’intéresser à ca ! Et où est le rapport avec la musique baroque ?” remarque très judicieusement l’auguste rédacteur en chef que je suis de manière un peu sèche.

– “Tu n’as jamais été dans les Alpes, la nuit, on entend les sapins fredonner, lorsque le vent glisse dans leurs branches. On dirait un murmure, unrecitar cantando monteverdien, un lamento d’A(d)riana, un air de désespoir haendélien.”

Seb’ s’agite comme un épouvantail, devient écarlate. Dans son excitation, il renverse un verre de gin tonic sur la blonde Isabelle qui le gifle. Jérôme, l’ami d’Isabelle – qui patientait avec flegme dans un coin que la discussion musicale se termine pour pouvoir emmener sa donzelle au cinéma – tente de calmer le jeu et reçoit le direct droit de représailles de Seb’ dans la mâchoire. Bien sûr, il riposte violemment, d’autant plus qu’il n’a jamais aimé la musique baroque. Les autres rédacteurs, le crayon en l’air, sont stupéfaits de ce déchaînement de violence incontrôlée : certains se plongent dans leurs notes (tactique du sous-marin), d’autres restent la bouche ouverte comme un ténor sans voix. Alexandre demande s’il faut appeler la police ou l’asile, puis se terre sous la table pour retrouver ses lunettes. Sophie pousse un cri et s’enfuit avec Isabelle pour s’enfermer en lieu sûr. La situation est ingérable, les casques bleus impuissants, les blindés de réserve refusés par le Haut commandement. Il faut clôturer la séance, d’urgence.

– “Mesdemoiselles, Messieurs, chers confrères et amis, je déclare la réunion de travail close. Le thème de l’éditorial sera donc le sapin de Noël, comme convenu à l’unanimité”.

                                                                                                                                                                    V.L.N.

 

Topiaire versaillais © Muse Baroque 2006

Dans la nuit de Versailles, les topiaires et les fontaines se sont endormis auprès des statues de marbre. Même au sein du monde végétal, les privilèges existent. Autrefois, les orangers avaient eu l’honneur de la Grande Galerie, et de pots en argent. Les nécessités de la guerre avaient cependant contraint Louis Le Grand à se défaire de son luxueux mobilier…

Il fait froid, en ce Noël 1738 dans ce grand château inchauffable, et les dames en souffrent particulièrement, avec les généreux décolletés de leurs robes à la française. Le vin de champagne apporte un médiocre réconfort, de même que les monumentales cheminées. Le marbre griotte, léché par les flammes, rougeoie et cette lumière tremblotante anime les voûtes peintes du Grand Appartement, caresse les dorures, illumine les bijoux. De temps à autre, les garçons bleus se précipitent pour enlever la cire qui coule des lustres, candélabres et autres girandoles. Un murmure incessant emplit l’air. Les rires, parfois forcés, tentent de chasser la froidure, des halos de buée se forment parfois à la sortie de l’incarnat des lèvres. La foule se réchauffe de ses bons mots, et de promiscuité dans les immenses pièces du Roi-Soleil.

Ce Noël-ci apporte toutefois un peu de nouveauté. Les courtisans, resplendissants de broderies, se pressent autour d’une pyramide de verdure surdécorée. Une idée de la Reine, cette timide Marie Leszynska, venue de Pologne, murmure t-on. Des chandelles souples courent le long des branches. L’on plaisante et l’on boit autour du nouveau totem. Cela ferait un bien beau déguisement lors du prochain bal. Et il a encore toutes ses feuilles ! Des aiguilles plutôt. Comme vous êtes piquant, vicomte !

L’Arbre contemple sa cour, et se souvient de sa forêt natale. Des cimes enneigées et silencieuses. Toute cette agitation et ce babillage l’agacent, ainsi que l’attirail ridicule qu’on lui a imposé. Il voudrait rejoindre le jardin, le calme, le grand air. Faire fi des marbres colorés, des boiseries, des trompe-l’œil ornant les murs. Il se sent seul. Et en ce Noël 1738 dans ce grand château inchauffable où il fait froid, pour la première fois, un sapin a été introduit.

Sur ces considérations végétales, la Muse Baroque vous invite à contempler les pin-ups de Noël, à choisir des cadeaux du Parnasse, et vous souhaite un

TRES JOYEUX NOEL !!!

ATTENTION : L’abus de musique baroque nuit à la santé des invités

                                                                                                                Viet-Linh NGUYEN

Étiquettes : Dernière modification: 20 juillet 2014
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