Sébastien (1610-1677) & Charles LA CAMUS (?), Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704), Robert de VISEE (1658-1725)…
Airs de différens autheurs donnés à une Dame
Thomas Van Essen (baryton), Emmanuelle Guigues (dessus et basse de violes), Manuel de Grange (luth et théorbe).
Ensemble les Meslanges, dir. Thomas Van Essen.
58’, Hortus, 2009. [clear]
Le point de départ de ce programme, déjà donné en concert par l’ensemble Les Meslanges, notamment au Festival Musiques à la Chabotterie, pourrait être tout à fait intéressant : tenter de restituer en musique l’ambiance des salons des courtisanes et précieuses du dix-septième siècle. Malheureusement, et en dépit d’un livret qui a suscité notre intérêt et éveillé notre curiosité, l’enregistrement ne survit guère aux (ambitieuses) espérances qu’il engendre, notamment en raison de certaines incohérences au niveau de la prononciation restituée, de faiblesses dans les couleurs instrumentales et d’une tonalité trop uniformément languissante et plaintive. Pour autant, l’interprétation est loin d’être médiocre, mais peine à convaincre dans son ensemble.
Soyons justes (car il nous coûte autant de partager notre déception face à un disque qu’il nous est un plaisir de nous réjouir de la qualité d’un autre), la voix de baryton de Thomas Van Essen n’est point désagréable : assez souple, ample, avec un beau soutien, une belle assise et de belles harmoniques qui résonnent. Certains passages en voix de tête (plus ou moins obligés par la reprise en voix de taille d’airs écrits pour haute-contre), comme dans le Ecoutez (le récit de ma douleur secrète) des Tristes déserts de Charpentier se font avec habileté, et légèreté, tandis que la voix reste claire, sans douleur. Et il y a quelques bons moments, comme L’Allemande Royalle de Robert de Visée, interprétée par Manuel de Grange au théorbe, où malgré un son métallique (qui semble caractériser toutes les pièces instrumentales de l’enregistrement), on note une vraie précision, une mesure tenue, et une certaine rondeur de son — ou comme les « tubes » de Charpentier, Tristes déserts et les deux premiers Airs sur les Stances du Cid où la transposition de tessiture ne choque pas, et où l’on sent le chanteur à l’aise, se plaçant dans une vraie profondeur pathétique et émouvante, et avançant sur une ligne bien tenue.
Toutefois, malgré ces qualités disséminées, nous avons du mal à nous laisser gagner. Les causes de cette réticence commencent par la déclamation proprement dite (sans mentionner la lecture, en français moderne, d’extraits de lettres de la Marquise de Sévigné, qui détonne dans tout le disque). Car bien sûr, chanter des airs du dix-septième siècle en prononciation de l’époque, en français restitué, est éminemment louable – voire nécessaire au goût de votre serviteur – et nous sommes redevables à Thomas Van Essen d’avoir fait cette démarche, dans les pas d’un Eugène Green ou d’un Benjamin Lazar. Mais, tout en avouant que le français restitué demeure une science inexacte et controversée, les principes appliqués laissent à désirer et l’on relève quelques failles de taille qui viennent tout ternir. C’est ainsi le cas des diphtongues, qui ne sont jamais diphtonguées : les -an, -en ou les -in, -ain…, restent toujours des voyelles ouvertes, et ainsi on peut entendre parler de La-agueur, d’atté-étes é-prévues, que l’on cré-és… Tout reste donc excessivement ouvert, et dans le texte, et dans la voix. De même, les finales, trop labiales, ne semblent pas toujours pleinement assumées, et parfois des -ess, -aa-ntt sont dispensés si rapidement, que non seulement on peine à être certain de les avoir entendus, mais que toute la ligne musicale et textuelle se retrouve réduite à néant car lui manque d’être tenue jusques au bout.
Par ailleurs, les textes ont souvent tendance à être « psychologisés », à tomber dans une plainte excessive, ce qui prive la musique et le texte du pouvoir émotif dont ils sont suffisamment chargés par eux-mêmes pour que point ne soit besoin de nous assener une interprétation qui en devient redondante. Jean-Paul Fouchécourt avait su trouver le juste milieu entre discrétion, sensibilité et théâtralisation de ces petits airs ciselés. Ici, une accentuation poussive confère à la voix l’aspect d’une montgolfière qui se gonflerait et se dégonflerait régulièrement et artificiellement tout au long des pièces.
Enfin, on déplorera un manque d’unité entre la vision du chef et de son ensemble. Alors que le continuo attentif entame agréablement un air dit sérieux avec une légère suavité mesurée et tendre, il n’est pas rare d’entendre une voix désespérée, ce qui nuit à l’établissement d’un véritable climat.
Ainsi donc, il ne nous reste plus qu’à espérer que la dame à qui ont été donnés ces airs (puisqu’elle recevait, comme nous le rappelle le livret, assise dans son lit) était suffisamment éveillée au moment de leur exécution, pour ne pas se trouver souffrante lors du Grand Coucher.
Charles Di Meglio
Technique : prise de son assez métallique, notamment pour les pièces instrumentales, qui confère au théorbe et au dessus de viole une sonorité étrange et inhabituelle pour des cordes en boyau (à tel point que l’on en vient à se demander si les cordes sont véritablement en boyau…)
Site officiel de l’Ensemble Les Meslanges
Étiquettes : Charles Di Meglio, Hortus, Marc-Antoine Charpentier, Muse : 2, récital Dernière modification: 11 juillet 2014