LE DIABLE ROUGE
Pièce d’Antoine RAULT
Claude RICH : Mazarin, Geneviève CASILE : Anne d’Autriche, Bernard MALAKA : Colbert, Denis BERNER : Bernouin, Adrien MELIN : Louis XIV, Alexandra ANSIDEI : Marie Mancini
Mise en scène : Christophe LIDON assisté de Denis BERNER, Décor : Catherine BLUWAL, Costumes : Claire BELLOC, Lumières : Marie-Hélène PINON, Son : Michel WINOGRADOFF
30 octobre 2008, Théâtre du Montparnasse, Paris
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Il se lève lourdement, grogne, malmène son monde avec une légèreté malicieuse, réclame sa bassine et ses parfums. A 79 ans, Claude Rich jubile visiblement à se glisser dans la peau d’un génial moribond, vêtu d’écarlate. Car ce Diable Rouge, prélat venu d’Italie, Premier ministre mal-aimé de son vivant (les Mazarinades de La Fronde l’illustrent bien), perdu dans l’ombre de l’implacable Richelieu dans notre mémoire collective, n’attendait que cet hommage à son habileté manœuvrière, ses machinations diplomatiques et son hypocrisie joueuse.
Antoine Rault situe l’intrigue dans les dernières années de la Régence d’Anne d’Autriche, entre 1659 et 1661, dans l’intimité de deux couples : celui formé par la Reine-mère et le Cardinal, et les deux jeunes amants Louis XIV et la nièce de Mazarin Marie Mancini. Pour les besoins de la scène, les événements sont considérablement resserrés. Les ressorts en sont simples : Mazarin et la Reine-Mère écarteront la jeune maîtresse du Roi et pousseront ce dernier à épouser l’Infante Marie-Thérèse, gage de paix et de stabilité pour l’Europe. Antoine Rault a écrit sa pièce dans une langue moderne quoiqu’élégante (euh… et élégante), aux tournures spirituelles, directes et simples. On n’y trouvera donc pas le trait d’époque, ou la délicieuse complexité de ces longues phrases, aussi équilibrées qu’interminables, qui font à la fois l’irritation et la joie de nos lecteurs. Disons-le avec franchise : si cette pièce est un réel succès, c’est moins par la qualité intrinsèque du texte, enlevé mais sans originalité, que grâce aux performances de deux monstres de scène : Claude Rich irrésistible de traîtrise, et Geneviève Casile drapée dans une dignité sévère et désabusée.
D’un côté, un vieux politicien, physiquement sur la déclin, espiègle et moqueur, que Claude Rich capture parfaitement de sa morgue légère. C’est avec nonchalance, le ton doucereux et le sourire mona-liséen aux lèvres (« une petite friandise, Madame ? ») que le Ministre ourde ses complots, tisse une toile où le jeu et la dissimulation deviennent d’un angélisme bénin. On retiendra ses tirades spirituelles avec le droit et ennuyeux Colbert sur les caisses vides de l’Etat et les impôts, – tellement d’actualité – et la préconisation de taxer la fraction entre les pauvres qui n’ont rien et les riches qui ont tout, c’est-à-dire la classe qui a peur d’être pauvre et aspire à devenir plus riche… De même, l’entrevue entre Mazarin et Marie Mancini, où Claude Rich retourne son opposante par ses mielleux discours sur la famille, est d’autant plus savoureuse que, la jeune fille sortie, le ministre ordonne d’un ton égal son exil forcé. L’acteur est parfaitement à son aise dans la peau de ce personnage léger, secret, qui transforme la politique en passe-temps de luxe.
De l’autre (côté), notre Isabelle de France des Rois Maudits, qui n’a rien perdu de son impériale prestance. Geneviève Casile, le timbre cuivrée et sombre, avec cette manière froide et traînante de finir ses phrases, donne la réplique au Ministre trop charmeur. C’est une Reine austère, dévouée à l’Etat, insatisfaite dans sa vie d’épouse et jalouse des amours de son fils qu’incarne la comédienne, droite et fière tel qu’il sied à une Habsbourg. Le jeu est subtil, le personnage complexe et renfermé. Les échanges entre Claude Rich et Geneviève Casile ont d’autant plus de saveur que ces grands acteurs se donnent la réplique avec ce détachement théâtral de l’ancienne école, laissant éclore les mots, soignant les liaisons, déclamant leurs paroles historiques avec la majestueuse pompe des puissants habitués à voir un aréopage de courtisans ou d’admirateurs les noter scrupuleusement.
Face à ces deux grands, Louis XIV fait pâle figure. Personnage falot à la diction d’adolescent, au jeu d’une désarmante platitude, le Roi-Soleil brille par son absence, y compris sur scène. Jouant la crise d’adolescence, l’autorité de l’enfant gâté, les niaiseries d’amant de collège, l’acteur dépeint un monarque de carton-pâte qui peine à s’affirmer, à émouvoir ou à faire sourire. Alexandra Ansidei pâtit des mêmes défauts, à savoir un jeu uniforme et peu assuré, une manière peu convaincante de délivrer les lignes, à la manière d’un Britannicus racinien en toge égaré dans un hall d’aéroport. La scène où les deux amoureux courent sur scène en gloussant, répétant quinze fois « Que je t’aime ! m’aimes-tu ? Est-ce que tu m’aimes ? Je t’aime tant ! Je t’épouserai ! Quoi ? Je suis le Roi, je fais ce que je veux. » (transcription fidèle à l’esprit et non la lettre, mais dont la maigre invention de l’auteur de la pièce n’a ici d’égale que celle de l’interprétation) confine à la caricature. Les autres rôles, plus ténus, sont servis avec brio. Bernard Malaka dépeint un Colbert pince-sans-rire terriblement haut fonctionnaire, Denis Berner le serviteur et confident du Ministre, fidèle et dévoué.
La mise en scène de Christophe Lidon, sobre et classique, permet aux acteurs de s’exprimer avec liberté dans le beau décor de sol en marbre réfléchi sur un plafond de miroir de Catherine Bluwal où le mobilier est minimal (chaise, bureau, paravent). En revanche, les costumes de Claire Belloc se sont avérés d’une indigence molle : historiquement incorrects, d’une laideur banale virant au ridicule pour Louis XIV, mariant des couleurs telles le velours brun et mauve ou le vert électrique, ces oripeaux hésitent entre la stylisation et le costume d’époque pour finalement ne ressembler à un navrant pas grand chose…
En conclusion, l’Enfer de ce Diable Rouge est celui dans lequel on brûle avec délice, et l’on aurait même souhaité que toute cette pièce se transforme en un huis-clos unique entre un Italien recouvert d’écarlate, et une fière Autrichienne. A voir sans faute, pour Claude Rich et Geneviève Casile.
Katarina Privlova