Rédigé par 20 h 06 min CDs & DVDs, Critiques

Crépuscule racé sur la lagune (Tartini, Vertigo, Plantier, Luis – Muso)

Pour le 250ème anniversaire de son trépas, le Duo Tartini – récidiviste du compositeur auquel on doit un splendide et très recommandé Continuo Addio! (Muso) d’une souple poésie et un Cantabile a suonabile très inspiré (AgOgique), a soigneusement sélectionné cinq sonates d’un manuscrit conservé à Paris à la BnF, dont quatre furent composées dans les années 1765-66 et qui lorgnent encore vers le style de composition très libre des Biber, Schmelzer, Bonporti et autres Figures du violon…

Guiseppe Tartini (1692 – 1770)
Vertigo, Les dernières sonates pour violon
 
Sonate pour violon et violoncelle en la mineur Brainard A8
Sonate pour violon et violoncelle en la majeur (« composta dal Medesimo sopra lo stile che suona il Prette dalla Citarra Portoghese» Brainard A4
Sonate pour violon et violoncelle en ré majeur Brainard D19
Sonate pour violon et violoncelle en ré mineur Brainard D5
Sonate pour violon et violoncelle en ré majeur Brainard D9
 
Duo Tartini
David Plantier, violon Giovanni Battista Guadagnini (1766)
Annabelle Luis, violoncelle Nicolas Augustin Chappuy (1777)
1 CD, Muso, enregistré du 8 au 11 septembre 2019 à l’Eglise Saint-Remi de Franc-Warret
(Belgique), 79’45.
 
« Only one is a wanderer; two together are always going somewhere. » (Madeleine Elster / Judy Barton dans Sueurs Froides)

Vertigo. Bien évidemment, l’on pense immédiatement à Hitchcock, au maître du suspense, À des faux-semblants où l’on croise et recroise Judy et Madeleine ; où finalement la rousse vulgaire se mue en blonde de papier glacé. De Tartini les mélomanes ont retenu le fameux Trille du Diable et la réputation d’un virtuose du violon d’un violon expressif et torturé aux accords contrastés. Mais qui connaît réellement son corpus monumental de 130 sonates ?

Pour le 250ème anniversaire de son trépas, le Duo Tartini – récidiviste du compositeur auquel on doit un splendide et très recommandé Continuo Addio! (Muso) d’une souple poésie, et un Cantabile a suonabile très inspiré (AgOgique) – a soigneusement sélectionné cinq sonates inédites d’un manuscrit conservé à Paris à la BnF, dont quatre furent composées dans les années 1765-66 et lorgnent encore vers le style archaïque de composition dit fantasticus très libre des Biber, Schmelzer, Buxtehude ou Bonporti… Mais étrange forme que celle-ci, qui se passe de l’instrument harmonique pour la basse continue, comme s’il manquait un orgue positif, un clavecin, voire un pianoforte. Point de galanterie ici encore (heureusement dira t-on avec une once de malveillance) mais une superbe liberté d’écriture et de ton.

Bien qu’elle soit en milieu de CD, l’on commencera chronologiquement notre écoute par l’intruse parmi les « ultimes sonates » : la D19, œuvre de jeunesse en ré majeur. Ce n’est pas forcément la plus intéressante : pièce gracile, délicate, souriante et lumineuse à laquelle le violon de David Plantier confère la légèreté d’une jeune fille en fleur. On admire le grain fin de ce violon du célèbre Guadagnini de 1766 (au passage Pablo Valetti ou Julia Fisher sans même mentionner Arthur Grumiaux ont caressé de leur archet de semblables instruments). Un peu comme dans un film argentique le violoniste laisse subsister un brin de grain et d’aspérités et les sonorités sont enveloppées dans un bouquet soyeux d’une assertivité souriante au relâchement presque dandy. Tartini semble se laisser guider par une inspiration prolixe, livre une ligne mélodique sinueuse mais charmante. Succède un Allegro aux montagnes russes un brin ironiques, aux accents à la fois virtuoses et joueurs. On regrette que la prise de son soit relativement déséquilibrée avec le violon trop mis en avant mais un peu lointain, et le beau violoncelle d’Annabelle Luis bourdonnant et relégué dans un sfumato d’arrière-plan par la captation. On aurait aussi parfois aimé que David Plantier s’y révèle moins flegmatique : l’Andante par exemple hésite entre le plaisir hédoniste et musicalité de la note. 

Mais assez parlé de cette sonate somme toute mineure, qui s’avère finalement dispensable. La Sonate pour violon et violoncelle en la majeur A4 dénote une écriture autrement plus originale et intéressante, celle du Tartini de la maturité : son Allegro optimiste très théâtral, sa très belle Andante sont autant de bijoux où justement les défauts que l’on soulevait tombent d’un seul coup. Car David Plantier ici sculpte les respirations, intellectualise le discours, le rend abstrait et rêveur, glisse sa soudaine mélancolie entre deux doubles croches avec une déconcertante facilité. Idem pour le violoncelle d’Annabelle Luis qui gagne en gravité et en présence dans une entente en demi-teinte un peu crépusculaire. L’Andante avec la cadence de David Plantier est absolument magnifique et justifie à lui l’acquisition du disque. 

« C’est remarquable, c’est beau, c’est même très beau » se dit-on, oreille à l’affût, au fur et à mesure que nous poursuivons le voyage :  immergeons-nous dans le Larghetto hivernal de la Sonate en ré mineur D5, un mouvement triste et puissant, où la nuit est percée d’un cri de souffrance, un râle ouaté, celui du blessé qui agonise. On en délaisse la fin de la sonate plus convenue.

Enfin, le récital se conclut par la Brainard D9 dotée d’un cantabile noble, élégant un peu précieux. Après le sublime de la D19 et la D5, ce langage presque maniéré voire un peu narcissique n’émeut guère, et ce menuet à 6 variations poudrées de petit marquis n’arrange guère les choses, malgré la persuasion de notre duo. Allons bon, on pourrait marquer un peu plus les temps, sautiller un peu plus, mais on se laisse fléchir une fois encore par l’élégance pure de la ligne et la précision des attaques.

En définitive, si nous affichons personnellement une préférence pour certains des opus antérieurs du Duo, plus spontanés et émerveillés, cette nouvelle addition aux pièces inédites, fruit d’un travail de recherche et d’une passion tartinienne dévorante des artistes, comporte des moments de grâce et complètera toute discothèque violonistique qui se respecte.

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : belle texture du violon mais capté de (trop) loin, et un violoncelle hélas très en retrait.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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