Rédigé par 7 h 38 min CDs & DVDs, Critiques

Vide et apesanteur (Rival Queens, Kermès, Genaux, Cappella Ganetta – Sony)

J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer (Racine, Brittanicus). Le canevas dramatique autour de la rivalité – allant jusqu’à en venir aux mains – entres les légendaires Faustina Borodini et Francesca Cuzzoni aurait dû déboucher sur un triomphe. Ce disque est un coup de semonce. Celui d’un rendez-vous partiellement manqué, d’une étreinte trop brève : non un récital d’opera seria n’est pas qu’une succession de coups de glotte et de da capos surdécorés.

Rival Queens

[TG name=”Liste des morceaux”]

Giuseppe Arena
Come potesti, oh dio ! (La clemenza di Tito)

Giovanni Battista Bononcini
Spera che questo cor (Astianatte)

Johann Adolf Hasse
Se mai più sarò geloso (Cleofide)

Geminiano Giacomelli
Villanel la nube estiva (Scipione in Cartagine nuova)

Domenico Natale Sarro
Al valor di Borea armato (Lucio Vero)

Johann Adolf Hasse
Va’ tra le selve ircane (Artaserse)

Leonardo Vinci
L’onda chiara che dal fonte (Ifigenia in Tauride)

Nicola Antonio Porpora
Nobil onda (Adelaide)

Attilio Ariosti
Vorreste, o mie pupille (Lucio Vero)

Nicola Antonio Porpora
In amoroso petto (Arianna in Naxo)

Giovanni Battista Bononcini
Svenalo, traditor ! (Astianatte)

Johann Adolf Hasse
Impallidisce in campo (Issipile)

Leonardo Leo
Benché l’augel s’asconda (Ciro riconosciuto)

Antonio Pollarolo
Padre amoroso (Lucio Papirio dittatore)

Johann Adolf Hasse
Tu vuoi ch’io viva, o cara (Artaserse)

 [/TG] 

rival_queensCappella Gabetta
Direction Andres Gabetta

80′, Sony, enregistré au château d’Elmau, du 16 au 19 janvier 2014.

 

 

 

 

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“J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer” (Racine, Brittanicus)

C’est l’histoire d’une critique qui ne voulait pas paraître. Tapie dans l’ombre, frémissante, elle hésitait entre la pudeur et la déception, le renoncement du silence ou la honte de l’expression. Pourquoi tant de confusion ? Parce que nous attendions de pied ferme cette parution dont 13 des 15 titres composés entre 1720 à 1739 sont des raretés en première mondiale, et que le résultat est intéressant mais inégal. Et le canevas dramatique autour de la rivalité – allant jusqu’à en venir aux mains – entres les légendaires Faustina Borodini et Francesca Cuzzoni aurait dû déboucher sur un triomphe, et non une victoire à la Pyrrhus. Pourtant, Sony a sorti les atours des grands jours avec la grande Simone Kermès, aux aigus lunaires que nous admirons tant chez Haendel, et une Vivica Genaux au mezzo plein, corsée et furieuse. Deux tempéraments, deux timbres bien distincts, pour incarner leurs devancières, dont finalement on ne sait pas grand chose, si ce n’est leurs styles d’interprétation différents, et des sources contradictoires sur la brillance, la virtuosité et le pathos de chacune. D’ailleurs elles chantèrent parfois exactement le même répertoire. Ajoutons dès à présent que malheureusement les deux artistes ne sont réunies que pour trois duos, dont le remarquable Tu vuoi ch’io viva, o cara de l’Artaserse de Hasse qui conclut le programme.

rival queens

© Musée de la Handel House

 

Alors pourquoi une relative déception en dépit d’une Capella Gabetta énergique et nerveuse (manquant de grave et de couleurs cependant) ? Pourquoi alors que les chanteuses se démènent cette impression d’uniformité, d’ennui, de vacuité ? La faute avant tout au répertoire lui-même, d’un style pré-galant roboratif échevelé et excitant. La faute à la construction du récital, qui se contente d’enfiler les perles sans autre subtilité de clair-obscur, et qui ôte les moments contrastés de récitatifs ou d’airs élégiaques au profit de cette course effrénée. Et quand Cecilia Bartoli savait soupirer en beauté, Genaux et Kermès sont forcées (?) l’épée dans les reins à une succession de tempi trop vifs qu’Andrès Gabetta impose (Spera che chiosto cor perd son élégance et sa ligne). On aimerait un peu de respiration, un peu plus de présence, un peu plus de portrait (car un air est un art de miniaturiste). Le soprano noble et altier de Simone Kermès, quand on lui en laisse l’occasion sait se déployer, faire valoir un timbre d’acier et de velours. Le Villanel la nube estiva de Geminiani, superbe de poésie nostalgique, flottant dans l’éther bleuté, laisse entrevoir ce qu’aurait été ce duel, si l’arbitre avait été plus judicieux dans le choix des armes. Vivica Genaux quant à elle bénéficie des sinuosités lancinantes du Padre amoroso de Pollarolo. Hélas, l’émission serrée, l’application trop retenue, l’orchestre manquant de corps, ne permette pas à la mezzo de montrer son savoir-faire. Il faut enfin parmi les réussites citer le très doux duo du Vorreste, o mie pupille d’Ariosti, à l’écriture certes traditionnelle, mais au lyrisme et à l’épanchement émouvants.

Ce disque est un coup de semonce. Celui d’un rendez-vous partiellement manqué, d’une étreinte trop brève : non un récital d’opera seria n’est pas qu’une succession de coups de glotte et de da capos surdécorés. Et si ce programme indubitablement doit se révéler excitant en concert, avec costumes et gants de boxes (et ABBA en bis rien de moins), l’écoute de l’enregistrement nous laisse fasse à tant de fastes superficiels face à une sensation de vide, alors même que l’on sait bien que tout film spatial réussi vise le mystère et l’apesanteur.

Viet-Linh Nguyen 

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 11 décembre 2014
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