Rédigé par 8 h 13 min CDs & DVDs, Critiques

Conversation intime (Rameau, Pièces de Clavecin en concerts – Les Timbres – Flora, 2014)

De ces pièces de genre évoquant, un lieu, une personnage ou un caractère, selon un investissement d’une belle fraîcheur, Les Timbres en font une conversation intime, proche de la confidence avec la maîtrise d’une maturité déjà bien établie. Ils parcourent cette galerie de portraits à la fois familiers et étonnants…

Jean Philippe Rameau (1683-1764)

Pièces de Clavecin en concerts (Paris, 1741)timbres

Les Timbres :
Yoko Kawabuko, violon ;
Myriam Rignol, viole de gambe ;
Julien Wolfs clavecin.
69’ 34, Flora 2014.

Yoko Kawabuko joue un violon de Pierre Jacquier, dit Mathias, fait à Cucuron (France) d’après des instruments crémonais du XVIIIe siècle. Archet de Kees vans Hemert (Den Haag, 2004). Myriam Rignol joue une viole de gambe à 8 cordes de Tilmann Muthesius faite à Postdam en 2010, d’après un instrument de Benoist Fleury (Paris 1759) conservé à la Cité de la musique. Archet de Draig Ryder (Paris 2008). Julien Wolfs touche un clavecin fait par Jean-Luc Wolfs-Dachy à Lathuy (Belgique), d’après un instrument de Henru Hemsch (Paris 1751).

« Le succès des sonates qui ont paru depuis peu, en Pièces de Claveçin avec un Violon, m’a fait naître le dessein de suivre à peu près le même Plan dans les nouvelles Pièces de Claveçin que je me bazarde aujourd’hui de mettre au jour : j’en ai formé de petits Concerts entre Claveçin, un Violon ou Flute, & une Viole ou un 2e Violon ; le Quatuor y regne le plus souvent. » (Rameau, Avis aux Concertants). 

Il y eut des anniversaires plus sonores et tonitruants que ces 250 ans de la disparition de Jean-Philippe Rameau, ce génie absolu de la musique française au XVIIIe siècle, mais force est de constater que cette année 2014 lui aura enfin rendu l’hommage scénique et discographique qu’il mérite amplement.

La vilaine Querelle des Bouffons est fort heureusement enterrée et les sottises qu’un certain Jean-Jacques Rousseau a commises à l’égard de ce maître insurpassé de l’harmonie, gisent pour longtemps au fonds des oubliettes de l’histoire des arts et de la pensée. On se demande encore comment un pâle faiseur, dont l’art musical culmine avec le fade Devin de village ait pu mettre en difficulté toute la science et la finesse de Rameau, tant dans l’écriture instrumentale, pour clavier, que vocale. Il n’est que de comparer avec notre époque où certains édiles de grandes villes vouent aux gémonies la musique savante et son apprentissage, taxés d’élitisme, soit le plus infamant des qualificatifs, au profit d’assourdissants tintamarres électriques, assortis de paroles aussi vulgaires qu’incompréhensibles…

Frontispice des pièces de clavecin en concert

Frontispice des pièces de clavecin en concert

Pour son premier disque, le jeune ensemble Les Timbres ne craint pas de s’affronter à l’un des recueils de musique de chambre les plus redoutables du répertoire.

Après ses Pièces de clavecin de 1706, suivies des Nouvelles suites de pièces de clavecin autour de 1728, Rameau s’est totalement consacré à l’opéra avec pas moins que Hippolyte & Aricie en 1733, Les Indes Galantes en 1735, Castor & Pollux en 1737, puis Les Fêtes d’Hébé et Dardanus en 1739, soit une suite inégalée de chef d’œuvres. Lorsque paraissent les sonates de l’opus 3 de Mondonville vers 1737, où pour la première fois, les pièces de clavecin sont enrichies d’un accompagnement au violon, on se doute que cela intéressa vivement le Rameau des opéras. Il s’empresse alors d’adjoindre au clavecin un violon assorti d’une viole de gambe, de façon à élargir encore ses possibilités. Ne reculant devant aucune difficulté, il prendra aussi la peine de composer des versions pour clavecin seul des quelques pièces où le les parties principales sont tenues par le violon ou la viole.

Ensemble Les Timbres

Ensemble Les Timbres

Le précurseur du trio à clavier

Les Timbres respectent à la lettre l’effectif préconisé dans le frontispice de l’édition de 1741, à la différence d’Hugo Reyne qui en fait une adaptation en symphonies (Musiques à la Chabotterie) ou de Christophe Rousset (Harmonia Mundi) et Florence Malgoire (Ricercar) qui tentent de trouver un moyen terme entre la chambre et l’orchestre avec l’adaptation pour sextuor anonyme de 1768. Les jeunes instrumentistes expliquent que cette nouvelle façon d’écrire pour le clavier avec un ou plusieurs instruments connaîtra un grand succès par la suite et donnera naissance au trio à clavier de l’époque classique. Ils considèrent cet ouvrage à la fois comme le dernier livre de pièces de clavecin de Rameau et comme les premiers trios à clavier, préfigurant Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert.

De ces pièces de genre évoquant, un lieu, une personnage ou un caractère, selon un investissement d’une belle fraîcheur, Les Timbres en font une conversation intime, proche de la confidence avec la maîtrise d’une maturité déjà bien établie. Ils parcourent cette galerie de portraits à la fois familiers et étonnants avec grand naturel comme une plaisante et curieuse promenade, rendant la musique de Rameau aussi élégante que caractérisée. Avec une cohésion totale du trio, on apprécie leur liberté de parole où violon et viole fusionnent parfois tandis que le clavecin donne le cap sans pesanteur.

Précisons que la viole de Myriam Rignol, copie d’un magnifique instrument conservé au musée de la musique, possède huit cordes, ce qui résout un certain nombres de difficultés d’exécution de ces pièces en simplifiant le registre aigu.

Ajoutons que comme souvent chez le (petit) label Flora, la présentation en digipack est particulièrement soignée avec d’élégantes illustrations et un livret bilingue français-anglais fort instructif, qui reproduit en outre la page de frontispice de l’édition de 1741.

Ce premier essai fort réussi nous donne une magnifique leçon de musique de chambre.

Le prochain opus des Timbres abordera de plus hautes époques avec des sonates italiennes du premier baroque, sous le doux nom de la Suave Melodia, que nous attendons avec impatience.

Évariste de Monségou

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 7 juillet 2020
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