Belle Virginie
Musique pour la Nouvelle France
Le Concert de l’Hostel-Dieu :
Paulin Bündgen (alto), Hugo Peraldo (ténor), Antoine Saint-Espes, Alexandre Chaffanjon (barytons), Simon Gallot (basse), Etienne Galletier (guitare et théorbe), Luc Gaugler (dessus et basse de violes, violone), Henri-Charles Caget (percussions), Franck-Emmanuel Comte (clavecin et orgue),
Frères de Sac :
Christophe Sacchettini (flûtes, cornemuse, bombarde, psaltérion, cajon), Jean-Loup Sacchettini (accordéon diatonique),
Direction Franck-Emmanuel Comte
50’, Ed. Ambronay, 2009.
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Non, la Virginie n’a jamais été française, et ce disque ne chante pas les louanges de l’état aujourd’hui américain baptisé en l’honneur de la reine Elisabeth première — la Virginie du titre étant simplement une belle à laquelle un marin fait ses adieux dans une des pistes de l’album. Car ce disque est une sorte de recueil d’une douzaine de chansons populaires, recueillies au Québec, chansons de marins pour la plupart, évoquant les départs, les naufrages, sentant les embruns et le tabac. Les textes et musiques proviennent de différentes compilations établies par des collecteurs de mélodies populaires du Nouveau monde, dans les premières décennies de notre siècle — mais qui reprennent des mélodies si anciennes qu’elles étaient sans doute importées de France en même temps que tous les arrivages de Français fuyant leur pays depuis le dix-septième siècle.
Notre habitude ayant admis que par musique baroque nous entendions généralement musique dite savante et écrite, ce n’est donc pas de musique baroque que nous régale ce disque. Et si l’absence de repères précis et abscons, toujours légèrement utiles pour une critique froide et posée, ne facilite pas la tâche de votre humble serviteur (nouveau-mondain pour quelque temps encore), il faut bien dire que ce disque est néanmoins un régal.
Avant tout un régal d’énergie, car « ça » fourmille tout le temps, ça grouille, et « ça » ne se relâche jamais — de La Drave, la première chanson, très vive et entraînante, aux Filles à dix deniers, la dernière, où le fond instrumental, derrière des paroles se répétant sans cesse (il s’agit d’une chanson de rameurs), s’invente toujours, chaque partie rentrant progressivement, puis s’enchevêtrant, pour culminer en une sorte de bouquet final explosif et joyeux.
Le voyage passe également par des chansons bien plus tristes et pathétiques, comme Le Chercheur d’or — ponctué d’un entêtant continuo à la viole et aux voix basses de l’ensemble, rejointes par une cornemuse qui portera au loin une espèce de plainte résolue — sombre et ample, ou Belle Virginie, que le théorbe d’Etienne Galletier vient ponctuer avec son grand jeu de puissants coups percussifs avant d’attaquer des arpèges légers et chantants, de la même simplicité déchirante et extrêmement touchante.
Et l’alto Paulin Bündgen, interprète de cette dernière chanson, n’est pas tout à fait innocent dans la réussite de cet album. Sa voix est ouverte, résonne bien dans la tête, tout en s’assurant d’un ineffable soutien qui lui permet de n’être jamais nasillarde ou aigrelette. Au contraire, on goûte un timbre très doux, léger, calme, aérien. Un timbre surtout suave et très chaleureux. Une voix qui nous enveloppe dès le départ et qu’on réentend toujours avec un plaisir plus grand encore, car nous en sommes toujours bien agréablement surpris.
Les autres voix sont tout aussi rondes et délicates, les personnalités différentes et intéressantes — comme celle d’Hugo Peraldo qui, dans Le Galant qui voit sa mie en enfer, introduit dans ce qui semblait au départ une espèce de jazz inquiétant une note sombre et plaintive, ou dans Le Chercheur d’or nous émeut grandement. Elles parviennent, dans les chœurs, à former un ensemble cohérent, riche et ample, mais il faut bien l’avouer, c’est celle de Monsieur Bündgen qui nous a bien plus happés et séduits.
Malgré une légère perte de repères un peu déroutante au départ, cet enregistrement, né d’un spectacle créé par Le Concert de l’Hostel Dieu, sait très vite nous conquérir, et nous entraîner avec force et grand plaisir vers les abîmes marins de l’Atlantique, vers le Saint-Laurent et ses ports.
Charles Di Meglio
Technique : enregistrement inhabituel pour nous critiques baroques, car il semble s’être fait piste par piste, comme pour la chanson pop, d’où une ampleur étonnante.
Étiquettes : Ambronay éditions, Charles Di Meglio, Comte Franck-Emmanuel, Le Concert de l'Hostel Dieu, Muse : argent, récital Dernière modification: 11 juillet 2014