Rédigé par 16 h 50 min Actualités, Editos

Paul Veyne le baroque, honnête homme malgré lui

Nous ne savons pas ce que Paul Veyne (MXMXXX – MMXXII) pensait des tragédies lyriques et des comédies-ballets. Mais nous voulions rendre hommage à cet esprit libre voire frondeur, franc-tireur de la Rue d’Ulm et du Collège de France que le burlesque d’un Scarron et les contrastes d’un Marlowe auraient enchantés. Sorti de sa retraite pour commettre un ultime opuscule sur Palmyre martyrisée, l’érudit historien n’avait rien perdu de sa plume. Il fut libre, libre-penseur, libre-électron, parfois à rebours. Comme notre humble Muse, il pensait que les humanités doivent coudoyer leur grande sœur de la Littérature, et non s’abîmer dans des marais jargonneux, en frissonnant dans la froidure de mornes économètres. Ce qu’il aimait explorer dans ce monde antique, cet « Empire greco-romain », ce n’était pas les diamètres des chapiteaux capitolins et la majesté du Sénat, mais l’étrangeté de l’envers, l’intimité troublante, les frémissements des passions, le sang sous les toges, l’alliance du sable poudreux et du marbre veiné. Ses ouvrages majeurs Le Pain et le Cirque, Sexe et Pouvoir à Rome, ou Quand notre monde est devenu chrétien, ont sondé les tréfonds de l’âme humaine d’une société à la fois familière et lointaine. Était-ce la malformation congénitale qui l’affligea dès la naissance ? Paul Veyne s’interrogea inlassablement, de manière pluridisciplinaire et provocatrice au rapport des citoyens à l’autorité, au sacré, à la chair. Il disséqua les zones grises, les ombres inavouées, les transitions douloureuses. Il savait aussi admirer le beau, déambuler dans les allées de son Musée imaginaire.  Alors qu’il traverse l’Acheron et qu’il adresse sans doute un ultime clin d’œil au nautonier en lui demandant comment il entend mener sa barque, saluons bas un grand baroque, et un honnête homme malgré lui.

 

 

Viet-Linh NGUYEN

Étiquettes : Dernière modification: 31 octobre 2022
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