Certes, Paris n’est pas Rome, la ville aux 2000 fontaines, et notre grande Fontaine Bouchardon, coincée dans une rue malgré son ambition ne rivalisera jamais avec celle de Trévi ou des Quatre Fleuves. Hélas. Pourtant, contrairement à la croyance d’un Paris aux fontaines datant principalement du Second Empire, trop méconnues, subsistent un certain nombre de fontaines et fontanelles (on pardonnera l’italianisme, validé par le Littré), égarées au détours des rues et carrefour de la capitale. Souvent déplacées ou martyrisées, ces survivantes attendent l’aumône d’un salut et l’hommage d’un regard…
Une imposante fontaine néoclassique
Située à l’angle des rues des Haudriettes et du Chaume (actuelle rue des Archives), cette fontaine se retrouve étrangement plantée sur un angle, cernées de hauts immeubles, adossée au vide. Le mascaron à tête de lion semble minuscule, et crachotte parfois un filet tuberculeux.
Cette fontaine est la troisième du lieu. Dès 1569, Nicolas I Luillier (c. 1525-1582) seigneur de Boullencourt et de Saint-Mesmin, président en la Chambre des comptes de Paris, Prévôt des Marchands, possède une demeure sise au 2 rue de Braque dont le jardin s’étend jusqu’à la rue des Haudriettes. Il obtient de la municipalité une concession d’eau, dérivée des fontaines publiques alimentées par l’aqueduc de Belleville. En contrepartie, il prend à sa charge l’édification d’une fontaine publique pour les riverains. Celle-ci sera rebâtie vers 1636-38 (fontaine Neuve) et remplacée par l’actuelle.
Au milieu du XVIIIème, sous l’égide des prévôts des marchands Armand-Jérôme Bignon (1711-1772) puis Jean-Baptiste-François de la Michodière (1720-1797), une installation plus grandiose est souhaitée. Financée par le Prince de Rohan, réalisée entre 1764 et 1765, sur les dessins de Pierre-Louis Moreau-Desproux (1727-1794), petit-fils par alliance de Jean Beausire, maître des Bâtiments de la Ville. Elle dégage la sérénité mâle et puissante d’un style néoclassique Louis XV à l’antique, d’une compacité massive, un peu trapue. De forme trapézoïdale, elle est encadrée de deux faux pilastres en pans coupés soutenant un dôme arrondi peu visible. Le fronton triangulaire s’appuie sur deux consoles au décor fermes et des guirlandes sculptées. La nymphe en bas-relief de marbre, œuvre de Pierre Mignot (1715-1770),talentueux élève de Vassé et Lemoyne, apporte une touche gracieuse et fragile à cet édicule massif. Son modèle en plâtre fut présenté au Salon de 1765.
Au fil des siècles
Restaurée en 1836, la fontaine est désormais alimentée par le canal de l’Ourcq suite aux travaux napoléoniens. Elle est inscrite aux Monuments historiques le 24 mars 1925 et se trouve déplacée lors des projets urbanistiques des années 30. En 1933, elle est alors démontée puis déplacée en retrait de la rue et ne s’adosse plus à un bâtiment. Finalement, la percée transversale des nouveaux tronçons de rue sera abandonnée, et la malheureuse fontaine se retrouve sur le trottoir, encombrant souvenir déséquilibré dont le maigre filet d’eau paraît presque incongru devant cette minéralité triomphante. Une fontaine bien touchante d’imperfection…
Où la trouver ?
La fontaine est située sur la place Patrice-Chéreau, au niveau du n°1 rue des Haudriettes, au carrefour de la rue des Archives, de la rue des Haudriettes et de la rue des Quatre-Fils, dans le 3ème arrondissement de Paris. [M.B.]