Rédigé par 13 h 26 min CDs & DVDs, Critiques

Monde flottant (Demachy, Pièces de viole, Savall – Astrée / Naïve)

Sieur DEMACHY ou de MACHY (sd)
Pièces de violle,
En musique et en Tablature, différentes les unes des autres, et sur plusieurs Tons. Elles contiennent deux Liures, et sont les premieres qui jusques à present ayent paru au jour. A Paris (1685)

Suite en Ré mineur
Suite en sol mineur
Suite en sol majeur

Jordi Savall, basse de viole à 7 cordes facteur anonyme français, fin du XVIIème siècle

Enr. décembre 1976, 1 CD Auvidis Astrée, 1988 reed. Naïve 2000

L’avalanche continue de parutions baroques nous submerge toujours et nous ravit parfois. Alors, lors des soirées hivernales, confortablement lovés sous un plaid écossais, il y a quelque chose de réconfortant, autant qu’un grog, à aller ressortir de nos étagères un vieil enregistrement mythique, insurpassable, délaissé depuis trop longtemps, remisé au cénacle des “références” par tant de jeunes talents, oubliant par là-même que ce vieil oncle tutélaire fut lui aussi jeune, et qu’il bringuebalait à l’arrière de la deux-chevaux de Michel Bernstein, sur les chemins buissonniers des Yvelines, pour s’en aller trouver l’inspiration en la petite église romane de Saint Lambert des Bois seule rescapée après la destruction de l’abbaye de Port Royal des Champs. Nous sommes en 76, bien avant l’engouement de Tous les Matins du Monde, et le Sieur Demachy est un inconnu. Il le demeure d’ailleurs jusqu’aujourd’hui, car on sait bien peu de choses de cet élève de Nicolas Hotman, installé à Paris où il publie en 1685 un fameux recueil de pièces de viole : “Pièces de violle, en musique et en tablature”. On y trouve pour la première fois, un an avant le Premier Livre de Marais, huit suites de danses, pour moitié en tablatures et pour moitié en partitions. On retrouve Savall en état de grâce, un Savall à l’archet intense et rêveur, qui rappelle très fortement celui du premier volume des Concerts à deux violes égales de M. de Sainte-Colombe. La profondeur du propos, les infinies nuances, le flottement léger et poétique d’un sfumato entrecoupé par des graves résonnants, tout ici sonne et résonne des tréfonds de l’âme. C’est un enregistrement sensible et personnel, une confidence, un aveu. C’est aussi un mystère. Il s’achève sur une discrète Chaconne qui s’évanouit plutôt qu’elle ne conclut. Un disque fantôme, peu démonstratif, juste magnifique dans son errance sonore. D’autres se sont frottés à De Machy, avec succès Jonathan Dunford (Adda, complètement épuisé), Toshko Shishido (Assai) ou encore l’imaginatif Paolo Pandolfo (Glossa). Mais aucun ne parvient à surpasser les frémissements de cette âme nue.

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : Thomas Gallia en la chapelle magique. Tout est dit. Une prise de son aérée, proche sans bruits parasites, mais avec tout juste ce qu’il faut de réverbération, de rondeur, de chaleur. Un modèle.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 12 février 2024
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