Rédigé par 8 h 37 min Patrimoine, Vagabondages

Mais où est donc passée la cheminée de Louis XIV à Versailles ?

De temps à autre, nous nous posons des questions étranges. « Pourquoi les cordes sont-elles en boyau? », « Pourquoi personne n’a pensé à mettre une pique à une viole de gambe? », « Pourquoi j’écoute Glenn Gould et que j’aime ça ?, « Est-ce qu’une perruque in-folio étouffe la perception du son ? »

“Qu’importe que la cheminée soit de travers, si la fumée est droite.” (proverbe turc)

La chambre du Roi, état actuel – Cliché Muse Baroque, 2020

De temps à autre, nous nous posons des questions étranges. « Pourquoi les cordes sont-elles en boyau? », « Pourquoi personne n’a pensé à mettre une pique à une viole de gambe? », « Pourquoi j’écoute Glenn Gould et que j’aime ça ?, « Est-ce qu’une perruque in-folio étouffe la perception du son ? »

Le 10 juillet 1701 dans le cadre de ses travaux et de la migration de sa chambre dans l’axe central du Château alors occupé par son Cabinet, Louis XIV passe commande d’une « nouvelle cheminée de marbre (…) très richement ornée avec dessus de menuiserie renfermant des glaces jusques en haut et de faire trumeau semblable dans la partie opposée entre les pilastres ». Cette cheminée était posée sur le mur Nord de la Chambre du côté de l’actuel Cabinet du Conseil. Il s’agit là du premier exemple de cheminée dite « à la royale », surmontée d’un large trumeau de glace (avec des panneaux plus larges que dans la Grande Galerie grâce aux progrès de la Manufacture de Saint-Gobain). En face, un autre trumeau de glace et une table adossée.  Cet aménagement disparaîtra en 1761, lors du changement de la cheminée par les deux exemplaires actuellement encore en place.

Fig. 1 : Relevé de la cheminée de la chambre du Roi et de ses détails, A. et J. Marie, Mansart à Versailles, Imprimerie Nationale, 1976, Paris, p. 295 (cliché MB). 

Mais à quoi ressemblait cette cheminée de Louis XIV ?
Selon la notice correspondante de la Base Verspera, la fig. 1 est une « élévation cotée et légendée avec différents dessins de détails : profil de l’entablement, cadre du miroir, cannelure du pilastre, postes de la cheminée, profil du jambage, mascaron. Selon Gallet-Guerne et Baulez « Relevé de l’état des lieux sous Louis XIV ». État correspondant à l’installation en juin 1761 de deux nouvelles cheminées en marbre bleu turquin, toujours en place aujourd’hui. On y lit : « Cheminée de la / Chambre du Roy » et diverses légendes des détails : « profil de / l’entablement » ; « Cadre du miroir » ; « profil du / jambage / de la cheminée » ; « Cannelure / du pilastre » ; « postes de la cheminée » ; « mascaron de la cheminée » ; « pilastre Entable/ment et Cadre doré / Cheminée de marbre / Blanc, ornemens / de Cuivre doré » ».

La modernité du style de la fin du Siècle de Louis XIV – qu’on découvre ahuris en contemplant l’Aile de Trianon-sous-Bois, en avance d’un demi-siècle sur son temps – rend toutefois ce feuillet mystérieux : Alfred & Jeanne Marie pensaient dans leur docte Mansart à Versailles que le relevé représentait l’état antérieur à juin 1761, c’est-à-dire la cheminée de Louis XIV que nous évoquons. Idem dans le monumental (mais peu illustré) catalogue dressé par Danielle Gallet-Guerne avec la collaboration de Christian Baulez (Paris, Archives nationales, 1983) des Dessins d’architecture de la Direction générale des Bâtiments du Roi. A l’inverse, certains y voient un projet des cheminées actuelles, au profil très proche ou ont même émis l’hypothèse hybride que la page de droite figurerait l’élévation des cheminées actuelles, et la page de gauche l’état Louis XIV.

Hélas, la fameuse cheminée de Louis XIV, au profil très épuré, n’est représentée à notre connaissance que sur deux jolis et rares dessins conservés à Stockholm, qui représentent l’aménagement vers 1701-1702 (fig. 2 et 3). Ils permettent de se rendre compte de la disposition d’alors, et du style de la cheminée. Malheureusement, les dessins sont trop imprécis pour que davantage de détails soient visibles, si ce n’est quelques rehauts d’aquarelle confirmant la présence d’appliques de bronze.

Fig. 2 : Chambre de Louis XIV, vers 1701, dessin conservé au Musée national de Suède – Licence CC BY-SA Foto: Linn Ahlgren / Nationalmuseum

Le dédoublement de 1761
Le 26 janvier 1758, Louis XV (qui pourtant ne dort pas réellement là puisque depuis 1738 il a fait installer sa vraie chambre dans ses Petits appartements, à la place du Cabinet de Billard de Louis XIV), décide de faire ajouter un poêle à sa chambre de parade. Horreur, car si ces derniers prodiguent une douce chaleur, bien plus agréable que les cheminées monumentales, un tuyau de métal doit les relier aux cheminées, et le dispositif n’est guère majestueux. Ces « cheminées de fer », « cheminées à la prussienne », ou encore plus tard à compter de 1778 l’apparition de l’horrible « modérateur de M. Franklin » (disposant comme aujourd’hui d’un régulateur d’air) sont la hantise des Bâtiments du Roi, sans compter les « cheminées postiches » avec des tuyaux sauvages sortant directement à travers murs et fenêtres et défigurant les façades. En 1761, le contrôleur des Dehors dénombrait 54 de ces cheminées postiches au Grand Commun, 25 ou 25 à la Petite Ecurie (cf. W. Ritchey Newton, Derrière la façade, Perrin, 2008, p.115).

Fig. 3 : Chambre de Louis XIV, vers 1701, dessin conservé au Musée national de Suède – Licence CC BY-SA Foto: Cecilia Heisser / Nationalmuseum

Donc on ne s’étonnera guère que le royal désir fasse le déplaisir de son Administration, qui parvint à commuer son souhait de poêle en l’ajout d’une 2nde cheminée deux jours plus tard. Là encore, les Bâtiments font traîner les choses avec la force d’inertie et du bureaucratie dont nous avons hérité, mais finissent par s’exécuter et livrent 2 cheminées en juin 1761, en marbre bleu turquin, ne parvenant pas à trouver une veine du même marbre que l’originale « unique pour la beauté de son marbre, proche de la brèche violette ». Ils font déposer la cheminée Louis XIV qui sera réutilisée ailleurs. C’est là que l’on perd sa trace…

L’une des deux cheminées actuelles, d’après une vieille carte postale – Cliché MB

Si l’un de nos lecteurs parvient à retrouver où a été remontée la cheminée de brèche violette Louis XIV, nous lui offrons un abonnement gratuit d’un an à la Muse Baroque (ce qui est déshonnête puisque tout l’accès au site est illimitée et gratuit pour tous). 

 

Viet-Linh Nguyen

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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