Rédigé par 17 h 44 min Concerts, Critiques

Louis le Triomphant (Lefilliâtre, van Elsacker, Orkester Nord, Wåhlberg, Les Invalides, 15 février 2022)

© Muse Baroque, 2022

“Louis XIV, chef de guerre”
Christian Geist (1650-1711), Quis hostis in coelis
Jacob Cats (1577-1660), Samen- spraeck geestelijcken buyden
David Petersen (1651-1737), Speelstucken, Sonate n°4
Gustaf Düben (1628-1690), Surrexit pastor bonus
Henry Purcell (1659-1691), Sound the trumpet – Sinfonia from the Judgement of PârisWhen monarchs unite, fear no danger to ensue, extr. de Didon & Enée
Christian Geist, Domine in virtute laetabitatur Rex
Vincenzo Albrici (1631-1687), Fader Wär som est i himmelom
Jacob Cats, Gesang voor een krijgsman op schiltwagt staende
Jan Batist Verrijt (1600-1650), O Mediatrix Domina
Dietrich Buxtehude (1637-1707), Quid sunt plagae istae, extr. des Membra Jesu Nostri

Ensemble vocal Vox Nidrosiensis :
Claire Lefilliâtre et Margreet Rietveld, sopranos
Frøyis Kopperud, alto
Jan van Elsacker, ténor
Håvard Stensvold, basse

Orkester Nord
Martin Wåhlberg, direction

Cathédrale Saint-Louis des Invalides, dans la cadre de la saison musicale des Invalides et sous le haut patronage de l’Ambassadeur de Norvège en France, 15 février 2022.

Hélas le concert des Batailles Baroques, où nous aurions pu retrouver Hugo Reyne et les élèves du département de musique ancienne du Conservatoire de Paris avait été annulé pour cause de Covid, ce qui fait que le succès des armes françaises sous la Guerre de Hollande sera paradoxalement évoqué par un programme très bien structuré par Martin Wahlberg, mais qui se concentre sur nos ennemis de la Triple Alliance, en la nef même de Saint-Louis des Invalides où pendent de glorieux étendards (datant principalement des guerres coloniales du XIXème, les précédents et notamment ceux de Notre-Dame ayant été brûlés en mars 1814 pour ne pas tomber aux mains des coalisés). On regrettera que l’installation du tombeau de Napoléon puis du baldaquins gras de Visconti puis de la verrière de 1873 aient définitivement brisé la superbe continuité de l’ Eglise du Dôme. En effet, initialement, Saint-Louis des Invalides, l’actuelle “église des soldats” n’avait été conçue à l’origine que comme  l’énorme chœur destinés aux pensionnaires, de l’église du Dôme, à la manière de ce qui se faisait dans un monastère, avec une audace du jeune Hardouin Mansart, puisque d’habitude ce type d’agencement est emboité ou perpendiculaire (comme au Val-de-Grâce) et non aligné. L’historien de l’architecture Bertrand Jestaz tenta de dresser des parallèles avec les plans de San Lorenzo à Florence ou Santa Maria della Salute à Venise, avant de les écarter et de conclure à une inspiration pragmatique de Mansart, améliorant un projet de Bruant en supprimant le transept prévu et en utilisant la nef comme chœur.

Mais revenons à nos “bruits de guerre” et à la Triple Alliance dite de la Haye pour la distinguer de celle de la Première Guerre Mondiale. Suite à la Guerre de Dévolution, profitant de la défiance de l’Angleterre et de la Suède face aux visées expansionnistes de Louis XIV, les Provinces-Unies concluent une alliance le 23 janvier 1668. Mais cette Triple Alliance ne va pas durer du fait de l’habileté diplomatique française. Avant même le déclenchement de la Guerre de Hollande, moyennant un hara-kiri financier (3 millions de livres par an) Henriette d’Angleterre négocie l’aide de son frère Charles II d’Angleterre par les traités de Douvres et de Londres (1670). En novembre 1671, Pomponne obtient la neutralité de l’empereur Léopold Ier de Suède. C’en est fait de la Triple Alliance. Le 28 mars 1672, Charles II déclare la guerre aux Provinces-Unies. Le 6 avril, c’est au tour de Louis XIV. Le reste appartient à l’Histoire : la guerre opposa la France et ses alliés (Angleterre, Münster, Liège, Bavière, Suède) à la Quadruple-Alliance rassemblant Provinces-Unies, Saint-Empire, Brandebourg et Espagne. La place nous manque pour en décrire les épisodes, du glorieux passage du Rhin du 12 juin 1672 (voir le superbe bas-relief de Desjardins conservé au Louvre) jusqu’à la Paix de Nimègue (1678) consacrant l’hégémonie française.

C’est donc une bien étrange idée que de bâtir ce programme autour de cette Triple Alliance mort-née, et qui ne représenta rien pendant le conflit. C’estmusicalement une chance, car Martin Wåhlberg nous permet ainsi la découverte de compositeurs suédois et néerlandais inconnus, et l’on reviendra sur quelques belles (re)-découvertes de cette soirée. Avouons que l’acoustique du lieu, de même que notre placement, peuvent conduire à nuancer certaines de nos remarques : nous étions à l’avant de la nef, à gauche, près des violons, des 2 sopranes et des trompettistes de Vox Nidrosiensis dont on admira le duo d’archiluths. Les alto, ténor et basse étaient de l’autre côté du chef, à droite, ce qui a conduit à artificiellement séparer les pupitres du chœur et à moins bien entendre ces chanteurs. Jan van Elsacker tentera d’ailleurs de combler cet écart, en se déplaçant vers les deux sopranos lorsqu’il avait à dialoguer avec elles. Ceci étant dit, venons-en à ce Louis XIV, chef de guerre, où la musique française et le victorieux monarque brillaient par leur absence.

L’orgue à l’origine commandé au facteur Alexandre Thierry, buffet de Germain Pilon, notez sur les tribunes au-dessus des bas-côtés latéraux les voûtes en anse de panier © Muse Baroque, 2022

Martin Wåhlberg a concocté un voyage musical allégorique, puisant de motet en motet ” de l’affirmation de la puissance royale de la Triple Alliance à son déclin”, panachant œuvres en latin, en néerlandais, en suédois et en anglais. Malheureusement, hors l’universel latin, aucune traduction des textes chantés n’est partagée avec les auditeurs, ce qui s’avère frustrant quand on voit le soin que plusieurs artistes attachent à la déclamation et aux affects. Si les compositeurs assemblés sont peu connus de nos tropiques (hors Purcell et Buxtehude), leur style est relativement homogène, proche de Kuhnau ou Buxtehude, parfois de Biber.

Le concert débute par un roboratif Quis hostis in coelis, d’une lourdeur pataude, impression qu’accroît les interventions peu subtiles d’une paire de trompettes baroques (musicologiquement douteuses car au tube percés pour aider à la justesse des deux instrumentistes) et des percussions intrusives qui séviront pendant tout le concert (timbales, tambourins, tambours, grelots…). D’une toute autre trempe est le remarquable Dialogue entre le Christ et l’Eglise de Jacob Cats, récit sensible et sensuel entre Jan van Elsacker, concentré poétique et à l’humanité chaleureuse, et Margreet Rietveld qui compense un timbre parfois un peu sombre et une projection moyenne par un phrasé naturel et noble. Malheureusement, le contenu de l’intense et guttural échange nous a complètement échappé, néerlandais oblige. La Sonate n°4 de Petersen, avec ses chromatismes audacieux, ses ruptures imprévisibles, sa liberté d’écriture très typique du stylus fantasticus à la Biber ou Schmelzer, permet aux deux violonistes de s’épanouir dans les entrelacs italianisants, malgré quelques soucis d’intonation. L’on passera pudiquement sur les extraits inutiles de Purcell  : un Sound the Trumpet où le duo de sopranos ne parvient guère à éclipser les contre-ténors normalement requis, des extraits de Didon & Enée trop célèbres et trop soudainement extraits de leur contexte et dénaturés par un tambourin et un clavecin superficiellement bavards. L’on oubliera également bien vite le banal Domine in virtute tua laebitatur Rex de Geist, où la direction trop égale du chef d’une robustesse assertive est couplée à des entrées fuguées chorales imprécises, pour saluer la moelleuse homogénéité du Fader War som est i himmelom d’Albrici, et célébrer encore davantage le Gesang vor een krijgsman de Cats, compositeur décidément à découvrir. Jan van Elsacker, théâtral et entier, nous conte de son ténor si humain à la voix d’Evangéliste bacchien les déboires de cette sentinelle.  Les deux pièces finales sont tout aussi émouvantes : un O Mediatrix Domina de Verrijt au duo de sopranos fervent et troublant, où Claire Lefilliâtre fait valoir ses aigus dynamiques lunaires irrésistibles, s’emmêlant avec grâce avec la voix plus charnue mais plus plate de Margreet Rietveld, et un extrait des Membra Jesu Nostri de Buxtehude recueilli et tendre. Voilà un concert aux œuvres rares, inégal et intéressant, dont on aurait aimé qu’il se poursuive tant le dernier tiers était doucement évocateur. Mais que voulez-vous, il faut bien tôt ou tard signer la paix, et laisser place à quelque tonitruant Te Deum.

 

Viet-Linh NGUYEN

 

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Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 21 février 2022
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