Rédigé par 23 h 38 min CDs & DVDs, Critiques • Un commentaire

L’Inconnu Dilettante (Del Cinque, Sonates pour trois violoncelles, Minasi – Arcana)

Ermenegildo Del Cinque (1701-1773)
Sonates pour trois violoncelles
Sonate n°6 en Ré mineur pour 3 violoncelles
Sonate n°17 en Sol mineur pour 3 violoncelles
Sonate n° 15 en Ut mineur pour 3 violoncelles
Sonate en Mi mineur pour 2 violoncelles
Sonate n°5 en Ré majeur pour 3 violoncelles
Sonate n°9 en Si mineur pour 3 violoncelles
Sonate en Ré mineur pour 2 violoncelles
Sonate n°11 en Mi bémol majeur pour 3 violoncelles

Ludovico Minasi, premier violoncelle et direction
Cristina Vidoni, second violoncelle
Teodoro Bau, troisième violoncelle
Simone Vallerontonda, archiluth et guitare baroque
Andrea Buccarella, clavecin

Arcana, 2022, 63′

Le violoncelliste Ludivico Minasi, repéré comme soliste de Il Pomo d’Oro, s’entoure de quelques comparses non moins dépourvus de talent pour faire revivre le répertoire d’Ermenigildo Del Cinque (1701-1773). L’idée est audacieuse, tant le nom de ce dernier s’avère discret et sa discographie inexistante, et le résultat s’avère pour le moins savoureux. L’obscur romain du crépuscule de la musique baroque a pour le violoncelle développé une telle passion que l’instrument fut le principal inspirateur de ses compositions, développant pour ce dernier toute une palette de variations, parfois futiles et faciles, à d’autres occasions aussi souples que complexes, toujours d’une harmonie agréable et séduisante.

Car s’il est une qualité première de cet enregistrement, c’est de ne jamais se départir d’un plaisir d’écoute qui ravira les amateurs de violoncelle et ceux d’une musique romaine sachant trouver un équilibre structuré en se déjouant des emportements de style (laissons cela à quelques exubérants vénitiens) ou fleurtant avec l’emprunt appuyé aux thèmes de la musique populaire (galanteries prisées des napolitains). Retiré sur son Aventin, Del Cinque trace son sillon, pose les bornes d’une musique qu’il chérie et maîtrise, semblant peu se soucier des modes ou des nécessités pécuniaires et de renommées qui pousseraient à multiplier les compositions en répondant aux commandes les plus variées.

Œuvrant pour le violoncelle, Del Cinque en multiplie les entrelacements, composant facilement pour deux instruments et, ce qui est plus rare, pour trois violoncelles, comme c’est le cas dans six des huit sonates composant cet enregistrement. Ludivico Minasi, accompagné de Cristina Vidoni (second violoncelle) et de Teodoro Bau (troisième violoncelle) restituent avec brio, allant et légèreté les partitions de Del Cinque, offrant des attaques marquées et un sens ténu du relief entre les instruments, comme pour en souligner la structure mélodique. Les instruments, des luthiers Francesco Verzi (Perugia, 1708), Peter Wamsley (England, 1747) ou du plus contemporain Eriberto Attili (Roma, 2009) s’allient et s’accordent dans des résonnances boisées et des vibrations chaleureuses et grainées sous les archets des violoncellistes.

Del Cinque développe de belles lignes mélodiques, claires, parfois un peu étirées, à l’exemple de cet Andantino posato de sa 6è sonate pour trois violoncelles, immédiatement suivi par un Allegretto sachant être léger ou en se montrant impétueux, voire tempétueux dans certains de ces accents. Et si le Largo émeut d’un allongement de notes soulignant la mélancolie de la composition, le Vivace, même con brio, apparaît d’un coup plus classique, presque mozartien. Une sonate comme un résumé des compositions de Del Cinque, qui s’avère toujours appliqué.

L’art de l’interprétation posée et respectueuse de Ludivico Minasi et de son ensemble, auquel il nous faut aussi mentionner les contributions de Simone Vallerontonda (archiluth et guitare baroque) et de Andrea Buccarella (au clavecin) se retrouve encore dans l’Adagio affettuoso empreint d’une solennité mélancolique de la sonate numéro 17 (pour trois violoncelles) auquel répond une fois encore un Vivace e vibrato tonique, sautillant, aux attaques franches et précises de la part des interprètes. 

Peut-être pourra-t-on objecter que Ermenegildo Del Cinque, en habile serviteur de son instrument reste dans un certain classicisme, ou du moins que certains de ses effets confinent à la répétition. Ce serait à la fois juste et un peu dur, et oublier que la musique est avant tout affaire de plaisir, un plaisir qui n’est que plus grand quand il confine à la badinerie, à l’exemple de ce Spiritoso moderato de la sonate n° 15 pour trois violoncelles, aussi savoureux que spirituel.

Monsieur l’Abbé Del Cinque, qui habite en face de Montecitorio, un homme de grande érudition ; c’est un compositeur de musique excellente, mais assez difficile ; il joue du violoncelle à merveille et possède un maîtrise de la musique digne d’un compositeur professionnel. Mais l’abbé est un gentilhomme, et un dilettante. Dessin réalisé par moi, cav. Ghezzi, le 10 octobre 1737 ; il vient à mon académie tous les lundis.

Bibliothèque apostolique vaticane

Si Del Cinque trouve son originalité dans sa propension à magnifier l’alliance de trois violoncelles, triptyque peu usité dans la musique de ses contemporains, il ne s’avère pas moins talentueux quand il s’agit de se soumettre à la forme plus classique de la sonate pour deux instruments, à l’exemple de cette sonate en Mi mineur au largo introductif d’une très belle pureté mélodique, ouvrant sur un allegro tendu, virevoltant, n’hésitant pas à changer de trame mélodique en cours de mouvement.

L’interprétation de Ludivico Minasi s’avère propice à cette (re)découverte de l’œuvre de Del Cinque, et l’idée même de le sortir du purgatoire des compositeurs dans lequel il était relégué s’avère une audace dont nous ne pouvons que remercier le violoncelliste. Les archives sont peu disertes sur le compositeur et ce n’est que par la légende d’une caricature conservée au sein de la bibliothèque vaticane que nous apprenons que ce dernier est Abbé, gentilhomme et qualifié de dilettante. Heureux qualificatif que ce « dilettante », exprimant non l’amateurisme au sens du manque de talent, mais simplement le fait que notre personnage, bien né, n’avait pas besoin de vivre de sa musique. D’où surement cette propension à servir le violoncelle, même si nous connaissons de lui quelques œuvres de musique sacrée. Noble (il fut chevalier de l’ordre du Saint Esprit) et érudit (il fut également membre de l’Accademia de’ll Arcadia), il semble avoir mené une vie assez frugale, notamment au service de sa passion, et composa pas moins d’une centaine de sonates pour violoncelle, intégrées aux archives du Conservatoire de Santa Cecilia à Rome et au Conservatoire Royal de Bruxelles. Son inventaire après décès mentionne d’autres œuvres pour violoncelle, plus éparses.

Del Cinque compose aussi à un moment où le violoncelle évolue énormément, passant parfois de quatre à cinq cordes, tout comme évolue la tenue de l’archet, passant du dessous au-dessus, technique que semble s’approprier Del Cinque si l’on ne croit sa seule représentation imagée (supra). C’est donc à la redécouverte d’un compositeur se situant à la césure du baroque et du classique que nous invite avec cet enregistrement le violoncelliste Ludivico Minasi, une plongée salvatrice et plaisante dans ces sonates le plus souvent pour trois violoncelles, étonnantes de légèreté, de grâce et d’entrain.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
Fermer