Leclair, Scylla & Glaucus
Opéra Royal de Versailles, 4 novembre 2014
Jean-Marie Leclair (1697-1764)
Scylla & Glaucus
Emöke Barath, Scylla
Anders J. Dahin, Glaucus
Caroline Mutel, Circé
Virginie Pochon, Dorine, Vénus, une Bergère, une Sicilienne
Marie Lenormand, L’amour, Témire
Frédéric Caton, Chef des Peuple, Licas, Hécate
Chœur et Orchestre Les Nouveaux Caractères,
dir. Sébastien d’Hérin
Concert du 4 Novembre 2014 à l’Opéra Royal de Versailles
Scylla & Glaucus, seul œuvre scénique connue du maître de l’école française du violon fut représentée pour la première fois à l’Académie Royale de Musique de Paris le 4 Octobre 1746. A cheval entre l’Ancien Régime et les Lumières toutes naissantes, mais déjà bien établies, ce fut une œuvre résolument tournée vers l’avenir et comportant déjà certaines des idées que les Lumières porteront six ans plus tard et après : mélodies simplifiées, harmonies plus abordables, utilisation plus abondante de traits virtuoses d’orchestre, présence saillante des violons. Mais avant même sa création, son obsolescence était d’ores et déjà programmée par sa construction très conservatrice de ce qui avait pu se faire auparavant : livret alambiqué à l’intrigue fort semblable à celle du livret que Quinault avait écrit pour Atys soixante-dix ans auparavant,… et surtout, utilisation d’un prologue qui n’avait déjà plus sa place dans les productions de l’époque, Rameau l’ayant éradiqué de ses compositions l’année précédente. Pont entre l’Ancien et le Moderne, finalement plus carré et moins harmonique que Rameau comme le rappelle Gardiner, encore fidèle à la structure lullyste, Scylla & Glaucus est de ces oeuvres qui ne laissent personne indifférent.
Et tout comme à l’époque, c’est un succès en demi-teinte que nous avons observé ce soir.
En effet, l’orchestre des Nouveaux caractères dirigé par Sébastien d’Hérin, mis à part un léger raté dans une intervention de la musette et une disposition scénique qui ne permettait pas au claveciniste de se faire entendre au delà des premiers rangs, s’est révélé tout à fait à son aise : des cordes d’une justesse remarquable, et aux attaques sans concession, deux traversos qui n’avaient l’air de n’en être qu’un seul tant leur son était pur et juste, les hautbois étant quant à eux d’une rondeur et d’une douceur admirable.
De même, le chœur des Nouveaux Caractères n’était pas en reste lui non plus, peu fourni (seulement une vingtaine de choristes) et pourtant si présent qu’on pouvait comprendre chacune des syllabes prononcées. Un chœur splendide tant sur un plan collectif qu’unitaire car chacun et chacune des solistes du chœur lors de leurs trop rares interventions se sont démarqués sans aucune exception par leurs indéniables qualités musicales.
Pourquoi en demi-teinte, alors ? C’est au cœur même de l’entité la plus essentielle de l’œuvre que le bât blesse : il est à noter que chez les solistes, aucun n’arrive à tirer son épingle du jeu. A commencer par les rôles-titre. La soprane Hongroise Emöke Barath incarne une Scylla au timbre, disons-le, séduisant mais sans aucun texte, et plus la chanteuse monte dans les aigus, plus le texte prend la forme d’un inextricable « yaourt ». Anders J. Dahis, lui ne fait pas mieux, généralement trop bas, il présente l’agaçante habitude de nasaliser à l’extrême chacune des voyelles de son texte. Circé quand à elle campée par Caroline Mutel, présente elle aussi des faiblesses prosodiques évidentes. De plus, votre serviteur, féru avant tout de musique française, n’a pas pu s’empêcher d’esquisser une moue désapprobatrice au vu de la soprane se gargarisant de cadences et d’octaviations qui auraient eu tout à fait leur place dans un opéra de Haendel, Porpora ou Vivaldi, mais qui chez Leclair n’avaient pas le mérite du bon goût.
Chez les rôles féminins secondaires, au-delà du problème de casting évident que représente un Amour incarné par la mezzo-soprane Marie Lenormand, à la voix large et profonde face à la Vénus de la soprane légère Virginie Pochon, on retrouve toujours et encore des manquements dans la diction, et il est regrettable de voir le public contraint de suivre l’intégralité d’une tragédie mise en musique avec le livret sur les genoux. Sur le plan du texte, seul se démarquait le baryton Frédéric Caton qui malheureusement n’arrivait pas à passer l’orchestre et souffrait d’un manque de présence dès les premières loges de la corbeille.
Au final, et en dépit de l’excellence de l’orchestre et du choeur, et de la direction élégante de Sébastien d’Hérin, on déplorera le soin insuffisant apporté à la diction et à la prosodie, si cruciaux à la pleine réussite d’une tragédie lyrique, et si le primat de la musique était bien présent, le livret de l’obscur Monsieur d’Albaret est bien resté dans l’ombre.
François d’Irançy
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