Antoine Boesset & Jacques de Belleville
Le Ballet des Fées des Forêts de Saint-Germain
Le Shlemil Théâtre,
Les Pages & les Symphonistes du CMBV, dir. Olivier Schneebeli
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Récits vocaux d’Antoine BOESSET (1587-1643)
Entrée instrumentales attribuables à Jacques de MONTMORENCY DE BELLEVILLE (mort après 1637)
Musiques additionnelles de Louis CONTANTIN (1585-1657), Michael PRAETORIUS (1571-1621), Robert II BALLARD (1575-1649)
Les Fées des Forests de S. Germain,
Ballet Dansé par Sa Majesté – Salle du Louvre, le 11e jour de février 1625
Jean-François Novelli – taille
Les Pages et les Symphonistes du Centre de Musique baroque de Versailles
Dir. Olivier Schneebeli
Troupe et acrobates du Schlemil Théâtre
Dir Cécile Roussat et Julien Lubek
Direction musicale : Olivier Schneebeli
Ecriture et mise en scène : Cécile Roussat et Julien Lubek
Scénographie : Cécile Roussat, Julien Lubek et Élodie Monet
Réalisation des décors et accessoires : Antoine Milian
Costumes : Sylvie Skinazi
Lumières : Julien Lubek et Grégory Hagège
Maquillage : Georgia Neveu
Mardi 15 Janvier 2013 – 20h – Cité de la Musique, Paris
Les visiteurs du Musée du Louvre sont souvent des flâneurs impénitents ou des consommateurs pressés. Entre les hordes célères qui défaillent pour le sourire de Joconde et qui repartent aussitôt en tournant le dos à tant de merveilles pour le prix d’un tour des Champs Elysées ou d’un café au Starbucks, et ces autres qui se perdent dans les couloirs en quête du nouveau, des émotions fortes, le plus grand Musée du monde excelle dans les plaisirs.
Mais parmi tous ces consommateurs de culture, ces photomaniaques et calliphages, il est rare de croiser certains qui goûtent au plaisir de marcher sur les pas de l’Histoire de France. En effet sous les pâles verrières de la Grande Galerie défila naguère le cortège nuptial de Napoléon Ier et Marie-Louise de Habsbourg. Et dans les salles dévolues aux antiquités égyptiennes, sous les dorures et les lambris noircis par le temps, eurent lieu des entrevues et des magnifiques bals des rois Valois dont la trace élégante reste encore dans le Palais assoupi sous le poids muséal. Et c’est dans ces chambres juste dans l’aile Sud de la Cour Carrée que le jeune Louis XIII avait ses appartements, que le portrait de ce roi dit « le Juste » domine encore malgré l’obscurité de la pièce et l’éclat solaire de son fils. Sous les yeux du fils d’Henri IV surnage dans la vitrine la petite nageuse égyptienne à tout jamais métamorphosée en cuillère à fard. Le visiteur distrait serait surpris de se retrouver dans ces salles quasiment 400 ans en arrière. Sortant du parquet et du marbre, des alcôves et des dorures, remontant les escaliers et sautillant devant les caryatides des êtres magiques, tordus de couleurs et de grimaces, ces Fées qui hantèrent le Louvre en 1625 pour le Ballet des Fées de la forêt de Saint-Germain.
Le ballet de cour, ancêtre direct de l’opéra en France est un acte politique. Dansé par des hauts personnages s’apparente aux danses tribales qui voient une sorte de rite de puissance le fait que le souverain domine symboliquement en se produisant sur scène. Une sorte de représentation de l’univers et son ordre cosmique par le mouvement. Louis XIII et au même temps que lui, son cardinal ministre Armand du Plessis de Richelieu se produisit en tant que musicien et en tant que danseur. Cette tradition s’est perpétrée jusqu’au règne de Louis XV. [clear]
[clear]Rappelons à l’occasion que Louis XIII fut un compositeur de talent et notamment l’auteur du Ballet de la Merlaison, Richelieu a mis aussi en musique une partie du Ballet de la Prospérité des Armes de France. Deux générations après, c’est le Régent Philippe II d’Orléans qui compose deux opéras dont Penthée sous la houlette du grand Marc-Antoine Charpentier et Charles-Hubert Gervais. L’esprit créatif des Bourbons ne s’est pas simplement cantonné aux affaires d’Etat et à la splendeur qui l’entoure.
Mais ce soir ces fées de Saint-Germain traversant les méandres de la Seine, des Yvelines giboyeuses se retrouvèrent par un sort de neige à la Villette, dans la nef grise de la Cité de la Musique. Le décor vert était planté, un Arc de Triomphe simplifié, des pergolas des buissons taillés et bien que les Symphonistes furent séparés en deux groupes, Olivier Schneebeli était bien visible avec ses grands gestes d’imprécateur.
Tout d’abord ce fut des acrobates, des saltimbanques en tout genre, des contorsions, des jambes multicolores. Toute une foire de membres, de muscles, de masques et de couleurs. Le ballet s’est métamorphosé en cirque, et les fées de jadis en danseurs de corde et magiciens. Une belle prestidigitation des siècles.[clear]
[clear]Si le fantasme d’un ballet de cour recrée nous a porté vers l’idée d’un spectacle différent, il est vrai que le Schlemil Théâtre nous a offert une conception à la féerie contemporaine. En effet gravite dans cette troupe l’âme de leur maître, le mime Marceau. Un mélange d’esprit enfantin et de poésie rêveuse comme le soulignait notre confrère lors de la représentation versaillaise. Cependant, un ballet de cour, tout « féerique » qui soit, est un acte politique et malgré les efforts de nous montrer que la performance acrobatique et circassienne était compatible avec la musique de Boësset, l’intérêt de l’œuvre a parfois été réduit ou occulté. Car n’oublions surtout pas que ce ballet a été créé et dansé par le souverain en 1625, année charnière en pleine politique d’affermissement de l’Etat par Richelieu et quelques mois seulement de la révolte de Chalais qui a failli faire sombrer la monarchie dans la guerre civile. Il faut aussi ajouter que la rébellion de Marie de Médicis ne s’achèvera qu’en 1630 après la journée des Dupes. La volonté politique – et même polémique – du Ballet des Fées des Forêts de Saint Germain est ainsi révélatrice, comme le Ballet de la Nuit en 1650, de la volonté du souverain d’asseoir par les symboles son autorité. A une époque violente comme le XVIIème siècle, la noblesse ne se dominait plus par les armes, mais par l’image. Par exemple lors de la création en 1625 de ce ballet Louis XIII dansait un « Vaillant combattant » et son jeune frère Gaston dansait un « demi-fou », un an après lors de la révolte de Chalais, le duc d’Orléans montrera que ce personnage lui allait à merveille.[clear]
[clear]Trêve des retours historiques. Le Schlemil Théâtre nous a offert du plaisir fantasque mais non point une lecture indélébile. La déception fut à son comble avec la prestation de Jean-François Novelli que nous étions avides d’entendre dans ce répertoire tout à fait dans ses cordes. Hélas, malgré une présence scénique fantastique, le ténor a fait preuve d’une diction peu compréhensible et le texte des airs est souvent resté mystérieux. Aucun mot nous est revenu et le manque de lumière et de surtitres ne facilitaient pas la tâche. ALors que l’art de la prosodie est si cher à l’air de cour, on se demande bien pourquoi des librettistes se sont évertué à mettre un texte en forme si l’on ne perçoit que les vocalises. Il est essentiel pour ce genre de recréations que le texte soit bien restitué, c’est la colonne vertébrale d’un ouvrage dramatique, la musique en est le cœur.
Une note plus lumineuse fut l’entrain et la précision d’Olivier Schneebeli et ses Symphonistes du CMBV. Nous avons remarqué la beauté et la ressource intarissable d’ornements du continuo et une excellente phalange de luths et théorbes. Nous espérons que Olivier Schneebeli poursuivra cette exploration « Louis treiziène » pour nous faire découvrir enfin cet univers si particulier du Ballet de Cour.
A la fin tout était blanc, les fées avaient posé leurs clochettes de glace sur la ville. Comme un baume de lumière, les fées électriques se répandaient dans tout Paris. A la fin la féérie avait opéré sa magie, la nuit devint soudain un rêve d’hiver.
Pedro-Octavio Diaz
Étiquettes : Antoine Boesset Antoine, Cité de la musique, CMBV, Pedro-Octavio Diaz, Roussat, Schneebeli Olivier, Versailles Dernière modification: 18 juillet 2014