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La saviez-vous ? Le petit Suisse passe à table

© Muse Baroque, 2014

A Versailles, le mobilier de la Grande Galerie (celle aujourd’hui connue sous le nom de Galerie des Glaces) changea considérablement de siècle en siècle et même au long des règnes. En chantier jusqu’en novembre 1684, soit 2 ans et demi après l’emménagement définitif de la cour, elle vit d’abord la Grande Argenterie de Louis XIV, engloutie dans la fonte de 1690 et dont le souvenir hanta les contemporains. Mais de ce premier état de la galerie, il faut aussi imaginer outre le mobilier d’argent, les orangers (que l’on sort en été), les lustres (qu’on retirera aux règnes suivants), et des tables et vases de pierre dure. C’est en s’intéressant un peu à cet aspect que nous partageons avec nos lecteurs l’un de ces « petits riens », toujours touchant par sa quotidienneté : celui de la chute du Suisse. Le marquis de Louvois, en tant que Surintendant des Bâtiments (entre quelques ravages et dragonnades), écrivait au peintre et collectionneur Matthieu de la Teulière, directeur de l’Académie de France à Rome (1684-1699), pour lui mander des tables de marbre et d’albâtre en vue de meubler la galerie. Deux de ces dernières n’eurent guère de chance, l’une fut cassée en la montant, l’autre « mise en poussière par un suisse qui est tombé dessus en apportant un matelas » vers l’été 1686. Patatras.

Charles Parrocel, Mehemet-Effendi, ambassadeur de la Sublime Porte, entre aux Tuileries par le pont tournant pour se rendre à l’audience du roi, le 21 mars 1721. Paris, musée Carnavalet. (détail) Au premier plan à gauche, des officiers des gardes suisses en habits rouges galonnés d’argent et bas bleus, les soldats portaient également des parements de manche et la veste bleue.

Cela nous conduit à deux réflexions incidentes :

  • La première sur la Maison militaire du Roi. Rappelons que les Gardes Suisses, à distinguer de la compagnie plus ancienne et prestigieuse des Cent Suisses, accomplissaient les mêmes fonctions que les Gardes Françaises (dont l’uniforme était d’ailleurs le même mais avec les couleurs inversées). Ils montaient la garde auprès de Sa Majesté, comme lors de leur création le 12 mars 1616 où Bassompierre nous rapporte que le nouveau régiments vint à Tours « faire la garde devant son logis [du Roi] ».  Ils avaient double de solde par rapport aux Gardes Françaises, et la liberté de culte leur était garantie. L’on se demande tout de même ce que faisait ce Suisse ventripotent qui trimbalait son matelas dans la Grande Galerie,  quand on sait que la garde « du dedans du Louvre » était confié aux Cent Suisses, aux Gardes du Corps, aux Gardes de la Porte et à ceux de la Prévôté de l’Hôtel. A moins qu’il s’agissait en fait d’un Cent Suisse, qui effectivement rangeait sa paillasse tous les matins, et qu’on ne s’embarrassait pas de tant de précision militaire dans la correspondance du Marquis de Louvois.
  • La seconde sur le caractère du ministre, qui succéda, au grand dam du clan des Colbert, à la Surintendance des Bâtiments du Roi en 1683. On a souvent dépeint Louvois, secrétaire d’Etat à la Guerre, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures de France, comme un rustaud workaholic, manipulateur, brutal, intolérant. Le bombardement de Bruxelles ou le ravage du Palatinat en sont les preuves. Mais comme Jean-Claude Boyer l’a démontré dans son brillant article « Louvois surintendant des bâtiments : quelques réflexions » (1996), le ministre fut aussi un mécène et collectionneur, qui sous une apparente inculture crasse qu’il surjouait, avait un goût assez sûr et un penchant pour la tapisserie ou les peintures italiennes classiques. [M.B.]
Étiquettes : Dernière modification: 25 février 2023
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