Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Les Noces de Figaro (Le Nozze di Figaro)
Dramma giocoso en quatre actes, livret de Lorenzo da Ponte d’après Beaumarchais.
Pietro Spagnoli (le Comte), Annette Dasch (la Comtesse), Rosemary Joshua (Suzanne), Luca Pisaroni (Figaro), Angelika Kirchschlager (Chérubin), Sophie Pondjiclis (Marcelline), Alessandro Svab (Antonio), Antonion Abete (Bartolo), Enrico Facini (Don Basile), Pauline Courtin (Barberine), Serge Goubioud (Don Curzio)
Concerto Köln, Chœur du Théâtre des Champs Elysées
Direction René Jacobs
Mise en scène : Jean-Louis Martinoty, décors : Hans Schavernoch, costumes : Sylvie de Segonzac, éclairages : Jean Kalman, réalisation : Pierre Barré.
2 DVDs, 182 mn, Bel Air Classiques, enr. théâtre des Champs Elysées 2004
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On ne présente plus Les Noces de Figaro du divin Mozart, chef d’œuvre musical transcrit de la pièce à succès de Beaumarchais par Lorenzo da Ponte. René Jacobs, à la tête du Concerto Köln, en a dirigé un excellente version il y a quelques années au Théâtre des Champs-Elysées, que BelAir nous propose maintenant en DVD.
Produire Les Noces constitue une double gageure. Tout d’abord un défi musical, à la hauteur de cette œuvre qui a inspiré les plus grands interprètes « mozartiens », et plus récemment les baroques. Ensuite, le défi de la mise en scène : faut-il suivre scrupuleusement la convention, ou se lancer dans de hardies transpositions d’époque, au risque de dénaturer l’œuvre ? Sur ces deux points, l’enregistrement de Jacobs répond pleinement aux attentes d’un amateur exigeant.
Parlons tout d’abord de l’excellente mise en scène de Jean-Louis Martinoty, qui renouvelle la lecture de l’œuvre tout en conservant la familiarité qu’en ont les mélomanes. Son parti-pris repose sur le maintien de l’environnement XVIIIè : costumes d’époque, quelques rares meubles, comme le superbe clavecin de la chambre de la Comtesse sur lequel elle «accompagne » l‘air de Chérubin au deuxième acte…La scène est pour sa part rythmée de tableaux : natures mortes, trompe l’œil, Christ en croix du second acte, décor floral de la scène des marronniers du quatrième acte…Ceux-ci à la fois renforcent l’ancrage dans le siècle des Lumières, et en soulignent le décalage avec notre époque. Ce double parti de respect et de renouvellement de la convention s’illustre à travers quelques trouvailles : au premier acte, si le fauteuil traditionnel est bien présent, Chérubin se cache finalement…dans une malle d’osier !
La direction de René Jacobs nous plonge dès les premières mesures de l’ouverture dans l’atmosphère de cette folle journée. Le rythme est enlevé, presque rapide. Mais il sait s’adapter à tous les rebondissements du livret, sans jamais rompre le « continuo » qui traduit la force vitale de l’œuvre. Il s’attarde insensiblement pour laisser s’exprimer les sentiments et les états d’âme (notamment au début des deuxième et troisième actes, pour les airs du début du quatrième acte), ou pour restituer toute sa majesté à la marche nuptiale du troisième acte. Ce sentiment d’un orchestre qui fait corps avec le livret est renforcé par le jeu des chanteurs : tous jouent leur rôle autant qu’ils le chantent, qualité primordiale pour une captation vidéo.
A tout seigneur tout honneur, le Comte de Pietro Spagnoli donne toute sa mesure dans son unique et fameux air « Hai gia vinta la causa ! », de fureur d’abord contenue puis explosant (comme explose le verre de cristal qu’il a saisi au passage) dans le flamboyant final (« E giubilar mi fa ! »). Il y révèle une aisance dans l’ornementation que son timbre grave et posé ne nous laissait pas supposer. Spagnoli illustre avec aisance toute la palette des sentiments dans laquelle évolue Almaviva : sans cesse soupçonneux avec la Comtesse, triomphateur au final du second acte, séducteur avec Suzanne, interloqué au second acte comme au quatrième. Son humanité balance la pointe de morgue que recèle le personnage.
Annette Dasch campe pour sa part une Comtesse pleine de fraîcheur. Son air du deuxième acte » Porgi amor » respire plus la déception que la mélancolie. Au troisième acte, elle est vraiment anxieuse lorsqu’elle attend Suzanne ( » E Suzanna non vien… » ), et redevient une Rosine espiègle dans le duo avec Suzanne (« Cansonetta sull’aria »). Elle se révèle une vraie séductrice, à l’égal de Suzanne, dans la scène des marronniers. Son timbre clair, presque fragile, renouvelle avec beaucoup de conviction les comtesses plus mûres que l’on affectionnait dans le rôle ces dernières décennies.
Rosemary Joshua possède ce qu’il faut d’espièglerie pour le rôle de Suzanne. Elle a surtout un sens du legato qui fait merveille, et sait se jouer des ornementations. Tourbillonnante dans le « Venite, inginocchiatevi » du second acte, malheureuse lorsqu’elle doit mentir au Comte au début du troisième acte, complice avec la Comtesse et avec Chérubin, elle est étourdissante de rouerie et de séduction au quatrième acte (« Giunse afin il momento »), dans la scène de la brouette !
Le Figaro de Luca Pisaroni, au timbre grave et rond, évolue avec aisance entre airs et récitatifs. Rageur dans le « Se vuol ballare », moqueur au plus haut point dans le final du premier acte (« Non piu andrai » ), menteur contre toute vraisemblance dans le final du second acte, il ouvre avec brio la scène des marronniers (« Tutto e disposto…Aprite un po’ quegl’occhi ») en découvrant les affres de la jalousie…
Chérubin d’érotisme diffus dans son habit rose, Angelika Kirchschlager offre une relecture convaincante du « Non so piu » du premier acte, dont le rythme fou s’achève en un moment d’extase intemporelle. Au deuxième acte, elle se joue avec aisance du célèbre « Voi che sapete », délicatement accompagnée par l’orchestre.
Sophie Pondjiclis nous offre une excellente Marcelline. Sanglée dans sa robe provinciale à rayures rouge éclatant, elle est tour à tour provocatrice dans le duo avec Suzanne (« Via resti servita ») au premier acte, et généreuse au troisième lorsqu’elle retrouve en Figaro son fils. Mais c’est évidemment lors de son air du quatrième acte « Il capro et la capretta », appel à la solidarité féminine qui s’achève en air de bravoure, qu’elle donne toute sa mesure.
Les autres rôles sont à la mesure. Enrico Facini nous livre de manière poignante la personnalité véritable de Don Basile à travers son unique air du quatrième acte » (« In qugl’anni, in cui val poco »), sans jamais forcer son timbre. La Barberine de Pauline Courtin nous ravit dans sa cavatine du quatrième acte « L’ho perduta…me meschina », ornée avec goût. Antonio Abete montre son talent de basse comique dans l’air de Bartolo du premier acte « La vendetta, oh la vendetta ! ». Serge Goubioud s’aquitte fort honnêtement de son court rôle de Don Curzio, et Alessandro Svab est un Antonio vindicatif et bourru à souhait.
Tous les chanteurs possèdent un physique crédible pour leur personnage, ce qui ajoute le plaisir de l’oeil à celui de l’oreille. Les costumes d’époque sont reproduits avec soin, et mettent en valeur les personnages : le Comte majestueux dans son habit rouge, Suzanne et la Comtesse dans des tenues rafinées et délicates contredites par la robe provinciale et surannée de Marcelline…
Le Concerto Köln, comme on l’a déjà dit, « colle » parfaitement aux inflexions et au jeu des chanteurs. On peut toutefois regretter sa présence un peu trop insistante au cours du septuor du second acte (final). Les autres ensembles sont beaucoup plus équilibrés de ce point de vue. Les chœurs du Théâtre des Champs Elysées sont à la hauteur des interprètes. La gageure est tenue : Jacobs réinvente ce chef d’œuvre tant de fois interprété en réjouissant nos yeux et nos oreilles.
Bruno Maury
Technique : live de bonne qualité. Pas de remarques particulières.