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Juvéniles pastorales (Delalande, Le Ballet de la Jeunesse, L’Amour fléchit par la Constance ǀ Armengaud, CRR, Chantres du CMBV – Théâtre Montansier, Versailles, 28 novembre 2025)

© CMBV / Morgane Vie

Michel-Richard DELALANDE ou de LALANDE (1657-1726)

“Pastorales pour le Roi Soleil”

Le Ballet de la Jeunesse (Prologue, 1686)
L’Amour fléchi par la Constance (1697)

Solistes : Manon Sekfali-Bonnier (Climène), Louise de Ricolfis (Philis / Palès), Colin Isoir (Tircis), Martin Barigault (Daphnis), Flavien Lecomte (Mercure),
étudiants des CRR de Paris, de Créteil et du CNSMDP

Chœurs des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
Etudiants des départements de musique ancienne des CRR de Paris, de Versailles Grand Parc, de Boulogne-Billancourt et du Pôle supérieur de Paris – Boulogne Billancourt.

Fabien Armengaud, direction musicale
Julia de Gasquet, mise en espace
Thomas Leconte, recherche et édition (partitions éditées par le CMBV)

Théâtre Montansier, Versailles, 28 novembre 2025.

Faire renaître ! C’est ce à quoi s’atèle et s’attache depuis presque quarante ans le Centre de Musique Baroque de Versailles, fondé en 1987 sous l’égide de Vincent Berthier de Lioncourt et Philippe Beaussant. Quatre décennies de recherches, d’exploration des fonds oubliés, d’exhumation et de reconstitution des parties perdues, d’édition des partitions et des notices musicologiques, auxquelles s’ajoutent le non moins essentiel travail de formation des chanteurs et musiciens à une interprétation historiquement informée des pièces ainsi remises en lumières. Et si le CMBV est régulièrement mentionné dans ces pages, soulignons une fois encore le rôle essentiel de l’institution dans le foisonnement et la vitalité d’une musique baroque qui sous sa bienveillante férule ne cesse de nous offrir de nouvelles découvertes.

© CMBV / Anne-Elise Grosbois

Et c’était encore le cas avec ces rares Pastorales pour le Roi Soleil, courtes œuvres lyriques composées à la toute fin du dix-septième siècle par Michel-Richard de Lalande (1657-1726) dont l’année 2026 marquera le tricentenaire du décès. Un Lalande essentiellement connu pour ses motets, petits et grands, et ses Leçons de Ténèbres, mais bien moins pour ses pièces lyriques pourtant caractéristiques de la musique de cour des premières années d’installation de la cour à Versailles. Si le CMBV n’en est pas à sa première exploration de l’œuvre du compositeur – que l’on se remémore au besoin les programmes des Journées Michel-Richard de Lalande de 1990 et 2001 – c’est avec un plaisir non feint que nous accueillons cette recréation du Ballet de la Jeunesse (1686) (de son Prologue seul pour être tout à fait exact) ainsi que de L’Amour fléchi par la Constance (1697) dont le titre même, évocateur, aux allures d’aphorisme moral, contient en son sein la narration des chemins sinueux des sentiments.

Le théâtre Montansier de Versailles servit de décor au concert. Bien que postérieur à ces œuvres (il fut inauguré en 1777), incarne dans nos mémoires la persistance de l’esprit de cour et de sa création artistique dans notre actuel XXIème siècle[1]. Fabien Armengaud, directeur artistique des chantres du CMBV a réuni outre cette formation, des étudiants venus des conservatoires à rayonnements régional de tout l’ouest de l’Ile de France, pour une récréation ayant vocation aussi bien à faire réentendre les œuvres oubliées de Michel-Richard de Lalande que de servir de tremplin à l’expression et à l’apprentissage artistique des jeunes chanteurs et musiciens, le tout dans une mise en espace de Julia de Gasquet, sobre mais savamment pensé, utilisant aussi judicieusement la lumière qu’un décor de chariots de costumes de scène s’avérant à la fois malléable et pertinent, jamais redondant avec le propos.

Ces deux œuvres furent composées pour la cour où Delalande officiait à la Chapelle Royale. Après une formation initiale parisienne, à Saint-Germain l’Auxerrois, remarqué dès sa vingtaine, Lalande devint maître de clavecin des deux filles légitimées que Louis XIV eu avec Madame de Montespan, à savoir Louise-Françoise et Françoise-Marie de France. Fonctions subalternes mais rémunérées faisant entrer le jeune compositeur à la cour. Au printemps 1683, après l’effacement de Pierre Robert et Henry Du Mont, Michel-Richard de Lalande se voit confier l’unedes quartiers de Sous-maître de la Chapelle Royale (il obtint un second quartier en 1693, le troisième en 1704, et réunira tous les quartiers en 1714 !). Cumulant les charges, il succéde dans les faits à Lully en qualité de compositeur de premier plan après le décès de ce dernier en 1687 : en 1689 il est nommé surintendant de la musique de la Chambre, avec son élève André Cardinal Destouches. En 1690, il est compositeur de la Chambre.

© CMBV / Morgane Vie

L’heure est aux divertissements élégants, aux rythmes soupesés et raffinés, aux livrets qui pour être courtois n’éludent en rien la confrontation des sentiments, les revers du cœur, les inconstances du désir. L’allégorie des personnages, le plus souvent bergers arcadiens reflète les aspirations et les tourments des jeunes nobles de cour qui ne seront pas plus bergers qu’ils ne verront l’Arcadie. Un raffinement musical un peu codifié par les marqueurs de la musique de cour qui n’empêche pas Lalande d’imprimer son propre style à la musique de Versailles, une ampleur chorale se retrouvant dans les deux œuvres exhumées ce soir, mais aussi une synergie orchestrale, particulièrement dans quelques envolées des cordes sur L’Amour fléchit par la Constance, rappelant au passage que si de Lalande suivit une formation initiale au clavier (clavecin, puis orgue), il fut initialement violoniste avant de principalement se consacrer à la composition. La légèreté chez Lalande n’empêche pas l’éclat, l’envolée et la ferveur du chœur rappellera à bien des moments celle exprimée dans ses motets, au nombre de soixante-seize, matrice de son art de la composition qui irrigue ses nombreuses pièces profanes.

Ces pastorales expriment la symbolique d’un souverain bienfaiteur, pourvoyant à l’équilibre du monde, y compris par l’éclairage et la tempérance des sentiments individuels. L’harmonie découle de l’action du souverain qui aiguille la fougue de la jeunesse, dans un âge d’or se conjuguant au présent, la récente installation de la cour, une très relative période d’accalmie diplomatique servant de contexte idyllique avant une entrée dans un début de dix-huitième siècle comme un long crépuscule de règne. Louis XIV, au moins au moment de la composition du Ballet de la Jeunesse (1686) est maître du temps et architecte des desseins des nobles et courtisans composant sa cour.

© CMBV / Morgane Vie

Mais si les deux œuvres appartiennent bien à un même compositeur, et qu’une filiation évidente est perceptible entre les deux compositions, L’Amour fléchit par la Constance se caractérise tout de même par plus de complexité et de raffinement, que ce soit dans son instrumentalisation ou dans la souplesse et l’élégance de ses passages choraux, les deux partitions méritant que l’on s’attarde sur le contexte particulier de leur élaboration.

© CMBV / Morgane Vie

La composition du Ballet de la Jeunesse (1686) intervient dans un contexte quelque peu troublé à la cour, à la fois par la célèbre fistule royale dont les avatars ponctueront l’année 1786 et par le retard pris, notamment pour cause de maladie, dans la préparation de l’Armide de Lully, avec l’habituel Quinault au livret. Et comme la mode est au ballet et que la cour savoure le succès récent du Temple de la Paix (de Lully et Quinault déjà), c’est à Lalande qu’est confié la mission d’agrémenter d’une nouvelle œuvre les frimas de l’hiver, la partition étant donnée pour la première fois le 28 janvier 1686 avant d’être plusieurs fois reprise. Une œuvre qui s’inscrit à la fois dans la continuité du genre, et notamment du Triomphe de l’Amour (Lully, Quinault, 1681) tout en se distinguant par quelques changements structurels, dont un prologue fortement allongé, constituant la pièce de l’œuvre donnée ce soir, et symboliques, la figure centrale du Roi étant remplacée par celle de jeunes nobles, comme un élan vital donné à la jeunesse, dans une cour idéalisée où le Roi, plus en retrait, dispense ses sagesses. Dancourt (1661-1725), auteur en ces temps à la mode et ravissant de ses pièces villageoises légères et pleine d’humour (Le Chevalier à la mode, 1687) prend en charge le livret. Ce long prologue se révèle charmant, de par son écriture enlevée et de beaux passages de chœurs, dont on peut cependant regretter qu’il n’offre point aux chanteurs quelques airs à même de révéler leur talent naissant.

© CMBV / Morgane Vie

L’Amour fléchit par la Constance, composé onze ans plus tard, sans doute à l’occasion du mariage de Louis de France (1682-1712) avec Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), le couple[2] qui donnera Louis XV au royaume. Si le livret reste anonyme, bien que parfois attribué à Antoine Houdar de La Motte, il inscrit l’action dans un décor éminemment naturaliste, oiseaux et ruisseaux irriguant la partition, dont l’essentielle de l’action se déroule dans une forêt. Tout n’y est que jeunesse, éveil, tendresse et promesse d’un avenir radieux. Tircis aime Philis d’un amour inébranlable, fidèle et sincère qui saura émouvoir et conquérir la belle, réservant au passage quelques beaux arias comme autant de moments propices à l’expression pour les jeunes solistes, que ce soit le Tant qu’a duré la nuit de Tircis (Colin Isoir) ou le Doux calme de la solitude tout en délicatesse fragile et juvénile de Climène, rendue sensible par la voix de Manon Sekfali-Bonnier, sur cette œuvre, qui pour être concise n’en demeure pas moins dense et très bien structurée.

Elégance, tendresse et innocence hantent ces deux pastorales de Michel-Richard de Lalande, odes à la jeunesse et souffle d’espérance dans une Arcadie royale où le souverain pourvoit au grand ordonnancement du monde. Fabien Armengaud et ses étudiants remettent en lumières ces deux courtes œuvres typiques de la musique de cour de la fin du Grand Siècle avec talent, comme un prélude à quelques embarquements pour Cythère. Si les voix comme les instruments sont parfois encore un peu verts, si certains départs sont perfectibles, certains enchaînements un peu maladroits, l’enthousiasme général, la verdeur de ces bois, la fraîcheur de ses bosquets, l’innocence lumineuse des artistes emportent l’adhésion.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

 

[1] Les cinéphiles se souviendront aussi qu’il servit au sens propre de théâtre aux savoureux et perfides dialogues de plusieurs scènes des Liaisons Dangereuses, dans la version de Stephen Frears (1989), dans son décor d’avant restauration, et à la scène finale de La Jeune Fille et la Mort de Roman Polanski (1995). Dans son aspect actuel, plus conforme à celui d’origine, eut lieu un glaçant échange de regards entre Sigourney Weaver et Ben Kingsley, moment de vérité, aveu silencieux sur fond de Schubert.

[2] Les deux époux décèdent à six jours d’intervalle, en 1712, dans l’épidémie de rougeole touchant le royaume.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 8 décembre 2025
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