Madame de Sévigné.
Un film de Isabelle de Brocard
Scénario de Isabelle Brocard et Yves Thomas
Musique originale de Florencia Di Concilio
Costumes : Anaïs Romand
Durée : 92 minutes
Sortie nationale le 28 février 2024
avec
Karin Viard : Marie de Rabutin-Chantal, Marquise de Sévigné
Ana Girardot : Françoise de Sévigné, Comtesse de Grignan
Cédric Kahn : Monsieur de Grignan
Noémie Lvovsky : Madame de La Fayette
Robin Renucci : Monsieur de La Rochefoucauld
Cyrille Mairesse : La petite personne
Antoine Prud’homme de la Boussinière : Charles de Sévigné, fils de Madame
Alain Libolt : Le cardinal de Retz
Laurent Grevill : Bussy-Rabutin
Sava Lolov : Monsieur de Pomponne
Benjamin Wangermee : Louis XIV
« Un lion de haut parentage,
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur;
La refuser n’était pas sûr;
Même un refus eût fait possible,
Qu’on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin ;
Car outre qu’en toute matière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D’amoureux à longue crinière,
Le père donc, ouvertement
N’osant renvoyer notre amant,
Lui dit « Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu’à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu’on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes. »Jean de La Fontaine, Le Lion amoureux (extrait)
Ce dernier « abusait de la permission qu’ont les hommes d’être laids ». Voici en une citation souvent donnée et trop détournée[1] qui dit tout de la finesse de plume de Marie de Rabutin-Chantal, de son esprit à la fois éclairé et caustique, de son humour et de sa tournure d’esprit, mais également d’une rancœur un peu hautaine et distanciée sur la gent masculine, tout homme devenant essentialisé d’un jugement assez définitif. Ajoutez à cela le constat lucide sur une société dans laquelle factuellement les hommes détenaient sur les femmes bien des privilèges, et vous obtiendrez en quelques mots toute la richesse et la complexité de la Marquise de Sévigné, chantre du genre épistolaire dans la littérature française du dix-septième siècle.
L’écrivaine à la plume aussi libre qu’inventive n’avait jamais eu les honneurs d’un long-métrage et tout au plus dans une filmographie assez anorexique pouvons-nous relever que le personnage vient s’immiscer dans quelques films notables, de manière malicieuse. Remémorons-nous à ce titre la trop oubliée Jeanne Boitel (1904-1987) dans le Si Versailles m’était conté… de Sacha Guitry (1954). C’est donc tout à l’honneur d’Isabelle Brocard de relever le défi d’une mise en lumière cinématographique de l’écrivaine, d’autant que longtemps classique des études littéraires, la lecture des lettres de la Marquise (trois volumes de Pléiade tout de même) tend à se raréfier.
Françoise de Sévigné, tentant d’échapper à sa mère en se cachant dans les bosquets © Julien Panie
On comprend ce qui a intéressé la réalisatrice dans le portrait qu’elle fait de l’épistolière. La détermination d’une femme indépendante envers et contre tous, opiniâtre dans sa volonté de voir sa fille émancipée, dans une société du Grand Siècle corsetée où les femmes, qui plus est les jeunes filles, ne sont encore trop souvent que l’objet de tractations moralement assez contestables de la part de messieurs s’en servant d’amusement ou de moyen de perpétuation de leurs quartiers de noblesse. C’est avant tout la relation mère-fille, dans toute sa complexité, qui intéresse la réalisatrice, la Marquise de Sévigné paraissant ne vouloir vivre que pour voir sa fille libre du joug des hommes, indépendante intellectuellement et financièrement.
C’est pourtant l’image d’une Marquise de Sévigné antipathique en tous points que nous retenons au final, tant l’écrivaine à la noblesse quelque peu déchue s’avère étouffante dans une relation à sa fille mue par l’omnipotent contrôle de la mère sur les agissements et la volonté de sa fille, cherchant à contrôler sa vie dans une optique qui se veut émancipatrice mais n’est au final que narcissique et égoïste. L’éducation des enfants est un parcours forcément semé d’embuches et dans la narration des tourments que peuvent causer les chemins divergents pris par sa filiation, on peut préférer American Pastoral de Philip Roth (1997), grand roman contemporain sur ce thème. Karin Viard, qui campe la Marquise de Sévigné, endosse le rôle avec ce qu’il faut de détermination butée et d’autorité sèche pour trouver sa place dans un monde dominé par les hommes, même si nous ne pouvons nous empêcher de penser au petit supplément de noblesse qu’ont en leur temps su insuffler une Dominique Blanc (Madame de Maintenon dans L’Allée du Roi de Nina Companeez au mi-temps des années 90, et plus récemment au théâtre la Marquise de Merteuil), ou Hannah Schygulla, inoubliable Comtesse Sophie de la Borde dans La Nuit de Varennes d’Ettore Scola (1982).
La Marquise est de toutes les scènes ou presque, toisant les moindres décisions de sa fille, comme dans cette scène d’une subtilité contestable où ne la trouvant plus à ses côtés, elle se met à la chercher dans le dédale des bosquets de la fête royale, pour la retrouver comprimée entre le gazon et le corps du jeune Louis XIV, ce dernier ayant la main déjà fort haut sur la cuisse de la jeune femme. Une scène faisant visiblement référence au Ballet des Arts de 1663, où la toute jeune Françoise de Sévigné, âgée de 16 ans, danse la première entrée aux côtés du Roi. De là à dire qu’elle échappa à une tentative de viol et en fut sauvée par sa mère… Notons d’ailleurs que Françoise de Sévigné, bien qu’objet des éloges les plus flatteurs par Jean de la Fontaine, n’était pas seule dans l’entourage royal à ce moment, Françoise de Rochechouart de Mortemart (future Madame de Montespan), issue d’une famille qui ne manquait pas d’esprit, était de la fête, de même que la jeune Louise de La Vallière. Et l’on sait plus sûrement ce qu’il en fut des faveurs royales envers ces deux dernières.
« ...si tu ne vas pas à ta mère, ta mère ira à toi ! » © Julien Panie
Bref, ayant sermonné sa Majesté comme une maman courroucée débarquant dans une soirée lycéenne, notre Marquise se trouve quelque peu mise au banc de la cour et dans l’obligation de pourvoir à la destinée contrariée de sa fille (jouée par Ana Girardot, d’une beauté aux traits saillants bien éloignés des portraits d’époque de Françoise, notamment celui de Pierre Mignard, mais qui convainc d’une détermination sereine, apte à se mouvoir dans les turpitudes de son monde, tout en gérant l’omniprésence de sa mère), quitte à s’asseoir un peu (beaucoup) sur ses principes.
Suivant ou non les conseils plus ou moins avisés de son entourage (Madame de La Fayette, que Noémie Lvovsky parvient à faire vivre en quelques courtes scènes, le Cardinal de Retz, entremetteur plus froid), elle se résout à faire épouser à sa fille le pâlot Comte de Grignan, dont la noblesse n’a plus que l’éclat de la Splendeur des Amberson, tout en disant à sa fille que « le mariage n’oblige en rien », ou quelques scènes plus tard, après la naissance d’un garçon, à ce dernier, nourrisson « maintenant qu’il a un héritier, votre papa n’aura plus besoin de coucher avec ma fille ».
Madame de Sévigné, peu subtile dans les propos qu’on lui prête, confond ouvertement féminisme et rancœur, indépendance et renoncement, n’existant que par et pour le regard qu’elle ne veut plus que les hommes portent sur elle. Ne pouvant supporter que sa fille lui échappe, et laisse un gouffre dans son existence, elle la rejoint bien vite dans son château de Grignan, pour quelques scènes non exemptes de poncifs. Tourner sur les lieux réels, à savoir le château de Grignan (sud du département de la Drôme), est en soit une bonne idée, mais pourquoi alors se contenter de plans aussi fugaces des belles façades Renaissance de l’édifice dans lesquels ce dernier est à peine reconnaissable ? Le seul plan un peu général nous présente les terrasses du château, plongées dans la cymbalisation assourdissante des cigales, ce qui semble une obligation pour toute scène de cinéma se situant à une latitude au sud de Montélimar et cela quelle que soit la saison. L’écrivaine y arrive en juillet 1672, ce qui peut légitimer le concert de cigales, mais soulignons que la Marquise de Sévigné dans sa correspondance n’a pas tout le temps apprécié le décor, mentionnant dans sa correspondance au sujet de Grignan « Nous avons cent fois plus de froid ici qu’à Paris ; nous sommes exposés à tous les vents : c’est le vent du midi, c’est la bise, c’est le diable, c’est à qui nous insultera ; ils se battent entre eux pour avoir l’honneur de nous renfermer dans nos chambres ; toutes nos rivières sont prises ; le Rhône, ce Rhône si furieux, n’y résiste pas. » Et bien entendu, les nobliaux locaux sont pourvus d’une langue aux accentuations provençales jamais entendues au nord d’Avignon. À cela s’ajoute que les scènes censées se dérouler aux alentours du château sont le plus souvent tournées dans des décors escarpés (principalement dans le défilé de l’Oule, plus à l’Est dans le département), laissant croire que le château se situe en montagne, ou du moins dans une zone de fort relief, ce qui est pourtant loin d’être le cas.
Le sourire un brin crispé de Madame de Grignan devant l’affection gênante de sa mère © Julien Panie
A force de centrer son propos sur la relation mère-fille, le film délaisse complètement et semble-t-il très volontairement de nombreux autres aspects présents dans l’œuvre de Madame de Sévigné, à commencer par sa vie de salonnière et sa fréquentation des figures intellectuelles majeures de son époque. Mme de La Fayette, esquissée, le Cardinal de Retz, réduit à deux scènes, lui qui pourtant exerça une influence réelle sur la destinée des deux femmes. Quant à Robin Renucci, qui joue Monsieur de la Rochefoucauld, son rôle se cantonne à une quasi apparition, ou comme celle de Monsieur de Pomponne, d’une fugacité qui tranche avec les nombreuses mentions dont il est l’objet dans les lettres de Sévigné.
Ce milieu intellectuel, tout juste effleuré, laisse forcement le spectateur sur sa faim et nous aurions aimé qu’Isabelle Brocard s’empare du sujet et dissèque les liens et interrelations entre ces figures, dont les écrits contiennent tellement de références en miroir et brossent un portrait intime du dix-septième siècle. D’autant que l’on sent chez la réalisatrice une appétence sincère et non feinte pour son époque, qu’elle s’applique à recréer de belle manière, judicieuse dans le choix de ses costumes (citons sa costumière Anaïs Romand), dans le choix de ses intérieurs qui ne souffrent pas d’anachronismes au contraire de nombreux films d’époque (voir notre compte-rendu de la première partie des Trois Mousquetaires), nimbant l’ensemble dans une lumière discrète, offrant une véritable ligne claire de l’image, là où tant de films abusent d’effets de bougies, et cela même si l’on regrette que la réalisatrice use par de trop nombreuses fois de plans rapprochés sur ses personnages, accentuant la sensation d’emprise et d’étouffement, là où des plans plus larges auraient sublimés la richesse de ses décors.
La Marquise de Sévigné mourra à Grignan en 1696, lors de son troisième séjour au château, un séjour entamé presque deux ans auparavant, auprès d’une fille chérie, dont elle n’aura jamais su se détacher. Cette passion filiale, dévorante peut être vue comme l’apanage d’une femme libre. C’est le choix entrepris par Isabelle Brocard qui avec ce film sincère peine toutefois à honorer l’écrivaine derrière la harpie que fut la mère.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Contrairement à ce qui est souvent présenté, Madame de Sévigné n’adresse pas le compliment à son gendre, Monsieur de Grignan, mais attribue la phrase à Gabriel de Guilleragues (1628-1685), Ambassadeur de France dans l’Empire Ottoman, qui aurait ainsi qualifié Paul Pellisson-Fontanier (1624-1693), homme de lettres, Académicien, et en autres fonctions successivement secrétaire de Nicolas Fouquet et historiographe de Louis XIV avant Racine et Boileau. (Lettre de Madame de Sévigné à Madame de Grignan, janvier 1674).
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