« La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien. » (Baudelaire)
Tout récemment, une amie et attachée de presse nous confia, entre deux verres : « il est beau, mais le haut ne va pas ». Elle ne parlait pas de l’artiste que nous venions d’entendre et de sa silhouette apollinienne, mais bien de notre magazine, et de sa mise en page. Nous avons remisé un temps ce commentaire dans les plus sombres oubliettes, accaparés à ranger, trier, soupeser les nombreux trésors discographiques chaque jour charriés par un postier épuisé. Et puis, principe d’Archimède oblige, la chute des corps ne dure qu’un temps, et les cadavres même exquis toujours finissent par revenir à la surface, à peupler les jours et à hanter les nuits.
Alors nous avons affronté le Minotaure technologique. Ce que nous détestons. Car confidence pour confidence, l’idéal inatteignable de notre publication, ce serait un magazine papier, lourd, épais, concret, réel. On le porterait à bout de bras, et l’on feuillèterait religieusement ce croisement entre le regretté Goldberg, luxueux magazine trilingue consacré uniquement à la musique ancienne et baroque, dont nous chérissons les anciens numéros, mâtiné d’un peu de carnets du CMBV et de Répertoire (autre regrettée publication), et avec un brin d’humour et d’auto-dérision en sus. Bref, nous n’assumons guère d’être une revue en ligne, un « webzine » comme on dit entre branchés du 2.0, et nos fidèles lecteurs ont lentement vus nos efforts contre-nature qui ont conduit à moderniser peu à peu l’apparence de notre revue. Avouons que nous y avons été fortement poussés par plusieurs causes : d’abord la marche vers la respectabilité à compter d’une certaine masse critique et d’une certaine institutionnalisation. La Muse originelle née de soirs solitaires et brumeux de 2002, lancée en 2003, frisait le bidouillage estudiantin, apprenti sorcier du HTML, elle ne pouvait longtemps survivre. Il a fallu se résoudre à l’automatisation morne et technologique : nous avions franchi le cap des 500 pages, puis des 1000, puis enfin des 2000. Nos premiers efforts héroïques de codage manuel, entièrement artisanal, devenaient inutilement chronophages, et limitaient les fonctionnalités dynamiques (dont nous ne raffolons pas). Mais un énorme répertoire avec uniquement des liens statiques à cliquer commençait à ressembler à un bottin.
En 2014, il y eu un coup de tonnerre, suivi d’une éclipse : le coup de tonnerre, après près d’un an et demi de travaux préparatoires, de maquettage, de réflexions, fut avec l’aide d’un webdesigner et graphiste professionnel de passer sur un CMS, un système de gestion de contenu automatisé. Tout heureux de ce saut quantique dans la modernité la plus criarde et la plus effrénée, nous avons accumulé les gadgets : police sur mesure inspirée de celles du XVIIè siècle (mais qui devait se charger en mémoire à chaque visite et ralentissait la navigation), menus déroulants qui se déroulaient vers le bas, même notre statue prit un coup de jeune, floutée à la manière d’une esquisse, tandis que le fond vert se faisait soutenu, dans l’idée de se rappeler les magnifiques teintes de la Renaissance, mais avec un résultat un peu chatoyant. Il y avait déjà le fond de papier vergé crème, pour tout de même redonner l’impression de la lecture… L’aventure se fit marathon, et la mue de la Muse fut passionnante mais longue, et emplie d’embûches. On ne passe pas impunément du Moyen-Age numérique à l’état de l’art. L’éclipse fut celle d’un départ, pour raisons professionnelles, dans de lointaines terres orientales, qui peu à peu plaça la revue dans une semi torpeur, que les cycles de vie des rédacteurs historiques accentuèrent : nombre des plumes de l’équipe initiale, qui rejoignirent le navire alors qu’ils étaient étudiants au CNSM, thésards ou doctorants, sont partis ci-dans des orchestres baroques, là dans d’autres destins mais souvent dans le milieu musical et artistiques. Je profite de cet instant pour les remercier encore pour les innombrables heures et litres d’encre qu’ils dédièrent, gracieusement, à notre Muse, ad majorem Musicorum gloriam.
Enfin nous y voici, et en 2020, après environ six mois de travaux préparatoires, et une migration difficile des contenus (d’ailleurs une partie des anciens articles connaît encore quelques erreurs de mise en page non résolvables automatiquement), la Muse actuelle prit son envol. On ne la décrira pas car vous ne la connaissez que trop bien. Mais qu’y avait-il en haut de page ? Souvenez-vous, fermez les yeux, vous y êtes ? L’Edito à gauche, les Brèves dans une colonne au centre-droit, et enfin le « Marbre » vertical avec les dernières parutions. Tout cela était trop fragmenté, et ne permettait gère de mettre suffisamment en valeur les dernières parutions, d’un coup d’oeil, hors la colonne de marbre. Nous avons tergiversé et hésité : la mode est aux « sliders », ces carrousels défilants, qui furieusement font penser aux publicités vibrionnantes, de celles qui fatiguent les yeux avant même d’avoir le courage de lire ce qui s’affiche l’espace d’un fugace moment. Et puis nous vint l’idée iconoclaste d’un carrousel fixe, méthode peu usuelle, que chacun défilerait à sa guise, comme on feuillète un ouvrage, comme on parcours une notice, comme on effleure un nuancier. Bien sûr, nous n’y mettrons pas nos 2000 pages, mais juste les dix dernières parutions, très sobrement, qui parleront d’elles-mêmes, et étaleront leurs coups de cœur et de gueule au gré des saisons. On l’aurait voulu vertical, plus Art Déco, plus hiératique : c’était sans compter le format carré des jaquettes de CDs qui ne s’y prêtait guère. Alors l’indocile triompha, et les vignettes sont quasi-carrées, presque, dans un subtil et invisible acte de résistance. Voilà. Il ne vous reste plus qu’à prendre la main.
Mais car Muse l’Ancienne survit dans nos coeurs à côté de la Nouvelle Muse, en guise de retour vers le futur, parce que nous n’avons toujours pas achevé de migrer entièrement les articles d’avant 2014, nous vous offrons ici l’intégralité de nos archives depuis 2003, dans leur dernière mise en page manuelle de janvier 2014.
Viet-Linh Nguyen
Dernière modification: 24 mars 2024