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Embrasement

Incendie de l’hôtel de ville, le 13 juin 1862 (L’Illustration, 1862) – Wikimedia Commons

Ils abondent dans nos opéras et tragédies lyriques : conspirations, complots, révoltes, séditions, rebellions. Jamais de révolutions car l’univers métastasien méconnaît ce type de convulsions politiques. Remplaçons un juste injuste usurpateur par un juste monarque, et les peuples aimables et assemblés pourront chanter la gloire d’une paix retrouvée et couronner le bienveillant vainqueur. Dans la Didone, les remparts de Troie sentent la mort et la désolation mais bien vite l’Arcadie reprend ses droits. Dans Giulio Cesare, les vils rebelles interrompent les galanteries de l’Imperator et de Cléopâtre par leurs insurrection crasse. Dans La Clemenza di Tito, les clameurs angoissantes du peuple effrayé ponctuent le crépuscule du Capitole en flamme du fait des feux de l’amour. Chez Lully, la dureté des paroles et du sang qui coule est compensée par l’apanage curial et bien perruqué de sièges et batailles bien rangées dignes d’un défilé du stylé Van der Meulen. Hélas, ils n’étaient pas à la parade, ceux qui embrasèrent le porche de l’ex- nouveau palais archiépiscopal de Bordeaux que Ferdinand Maximilien Mériadec de Rohan-Guéméné fit reconstruire de fond en comble dès 1771 par Joseph Etienne puis Richard-François Bonfin, engageant même sa propre fortune devant les dépenses faramineuses que les revenus de son diocèse ne suffisaient plus à absorber. Il fut déjà la proie des flammes en 1862, qui consumèrent tout le corps central et engloutirent de précieuses archives. Comme un pied de nez au chaos, les vieux vantaux ont encore tenu.

Calcinés, noircis, fragilisés, ouverts à deux battants comme l’entrée d’un gouffre béant et édenté, narguant de leur néoclassiques oves et sobres sculptures soubresauts de l’actuelle fronde, prêts à accueillir le monarque vieillissant de l’ennemi héréditaire. Pendant ce temps, à quelques encablures, lovés dans nos douillettes salles de concert et d’opéra, l’habituelle faune de mélomanes se gave de musicales brioches et peste contre les fermetures des stations de métro après des applaudissements convenus. A l’acte final, IIIè ou Vè, le despote est toujours éclairé, et les passions le cèdent à la raison. Mais parfois il arrive que la magicienne vengeresse détruise le palais enchanté, que le Prince de Lambesc charge, laissant les protagonistes réunis devant un champ de fumantes ruines à danser la reconstruction. A quand le lieto fine

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : Dernière modification: 22 janvier 2024
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