Georg-Frederic HAENDEL (1785-1759)
Julius Caesar (Giulio Cesare in Egitto)
Dramma per musica HWV 17, en trois actes, livret de Nicola Francesco Haym d’après Giacomo Francesco Bussani.
Janet Baker (César), Valerie Masterson (Cléopâtre), Sarah Walker (Cornelie), Della Jones (Sextus), James Bowman (Ptolémée), Tom Emlyn Williams (Nirenus), Brian Casey (Pothinus), John Kitchener (Curion)
English National Opera Orchestra, dir. Charles Mackerras,
Mise en scène : John Copley
Costumes : John Pascoe
Décors : Michael Stennett
1 DVD Arthaus, toutes zones, enr. août 1984
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Après le superbe Giulio Cesare de Glyndebourne 2005 (Opus Arte), nous avions commencé à exhumer d’autres captations video dont l’honorable Hickox (Euro Arts). Quelle ne fut pas notre surprise de voir à plusieurs reprises mentionnée dans nos courriers d’électeurs (de Bavière) cette réalisation historique de l’ENO à laquelle il faut rendre justice, d’un glaive aussi juste que sanglant. Que ceux qui chérissent cette captation de studio détournent dès maintenant les yeux.
Car la production de John Copley, marquante en son temps, a considérablement vieillie à tous points de vue et son seul intérêt ne réside plus aujourd’hui qu’en l’alliance d’un casting de grand luxe stylistiquement inadéquat à une mise en scène honnête où les Romains ont encore vaguement l’apparence de Romains, ce qui a le mérite d’être signalé en nos époques de « malscène ».
Après une ouverture savonneuse, aux cordes hypertrophiées, confortablement vautrées dans la mollesse orientale qu’une odalisque ingresque n’aurait pas dédaignée, les peuples célèbrent le triomphe des légions césariennes, défilant avec leurs nombreux étendards. Et subitement, un détail rédhibitoire fait son apparition au milieu de cette foule en liesse, de ces fleurs et de ces lauriers : l’angloys. Pour mémoire, l’angloys est une langue germanique occidentale qui a subi une influence latino-romane. L’île embrumée ne fut soumise en 43 avant Jésus-Christ par l’Empereur Claude, dont ce fut l’unique et glorieux fait d’armes. Mais pour en revenir à nos légions, et en dépit d’une traduction soignée en rimes, la débâcle est aussi catastrophique que le désastre de Varus (où, encore une fois pour information, les XVII, XVIII et XIXème légions furent anéanties par les tribus germaines justement, ce qui rend l’utilisation de l’anglais encore plus odieuse). L’opera seria, tant bien que mal camouflé en serious opera ne se relèvera pas de cette intime contradiction. Pour une meilleure compréhension du lecteur, et pour consacrer une opposition de principe, les titres des airs continueront d’être cités en italien.
Le plateau vocal aligne de grands noms, dont la grandeur hélas ressortira meurtrie de cette expérience téméraire. James Bowman prête son agilité, sa poésie, et la sûreté de son émission et de ses ornements à Ptolémée. Mais confier au contre-ténor à la voix angélique et diaphane le rôle instable, brutal et immature de Ptolémée relève du contre-emploi absolu. Janet Baker possède la morgue et la puissance nécessaires au conquérant. Mais c’est un général aux aigus tirés, au timbre parfois acide et aux coloratures brouillées qui accoste sur les rivages d’Egypte. Malgré sa présence, la technique de chant trop large, les changements de registres débrayés, les articulations peu scandées accusent de manière criante une totale méconnaissance (ou refus de conformité) des règles propres au répertoire baroque. Ibidem du côté de la Cléopâtre de Valerie Masterson qui enveloppe ses charmes avec tant de soin que le tapis dans lequel elle est censée avoir été livrée à César ne sera jamais déplié. Le « V’adoro pupille » forcé et arrogant (cf. video ci-dessous), la Piangero périlleux, le « Da Tempeste » agile mais sans âme. Le chant est plus ou moins bien amené, la présence et la caractérisation du complexe personnage microscopique. Enfin le Sextus de Della Jones est plus problématique : la conviction et le feu sont bien là, car la chanteuse ne ménage guère ses efforts dans les airs de vengeance où haine, indignation et désespoirs se mêlent. Le chant pourrait être plus fin, les aigus moins jetés, l’ensemble moins brut. Passons sur le reste des chanteurs qui appelle des commentaires désobligeants de la même espèce…[divide]
Valerie Masterson (Cleopatra) : « V’adoro pupille »
L’Orchestre de l’ENO est dirigé de manière léthargique par Sir Charles Mackerras, mozartien averti mais haendélien bredouillant. Les effectifs sont hypertrophiés, les cordes mollassonnes et omniprésentes, un ersatz de clavecin émettant de divertissants cling-cling dans son coin. Les tempi sont ramassés, manquant cruellement de tonus et de dynamisme, réduisant les contrastes entre les sections des airs, écrasant les ambiances si variées de l’intrigue. Peut-être le chef voulait-il suggérer une certaine grandeur hiératique, d’une sublime rigidité. Malheureusement, l’indigence de l’accompagnement orchestral doublée d’une vision produit une ambiance pesante, d’un ennui à peine dissimulé.
La mise en scène de John Copley est unmistakably british, avec un petit air de BBC Shakespeare collection ou de I Claudius qui ravira les amateurs de théâtre. La scène est sobre, les costumes très luxueux de John Pascoe remplissant l’espace. Inspirés par une Antiquité romaine mâtinée de Renaissance et d’Egypte romantique, mélange savant de toges, de chausses bouffantes et de fraises. On regrettera une camera assez scolaire et statique, qui ne sait pas mettre en valeur les déplacements des chanteurs et les grands tableaux. Sinon, voilà un cadre certes très convenu, mais qui colle fort bien aux péripéties du livret.
Pour amateurs et/ou nostalgiques avertis.
Anne-Lise Delaporte
Technique : enregistrement correct pour son âge.
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DVD : Christie 2005 (Opus Arte)
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Étiquettes : Bowman James, DVD, Giulio Cesare, Haendel, Muse : 3, opéra Dernière modification: 11 juillet 2014