
Confidenze
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Adélaïde, op.46 (vers 1795)
Texte de Friedrich von Matthoisson
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Als Luise die Briefe ihres ungetreuen Liebhabers verbrannte, K 520 (1787)
Texte de Gabriele von Baumberg
Abendempfindung an Laura, K 523 (1787)
Texte de Joachim Heinrich Campe (?)
An Chloe, K 524 (1787)
Texte de Johann Georg Jacobi
Joseph Haydn (1732-1809)
Fidelity, Hob.XXVIa : 30 (1794)
The Mermaid’s Song, Hob. XXVIa : 25 (1794)
A Pastoral Song, Hob. XXVIa : 27 (1794)
The Spirit’s Song, Hob XXVIa : 41 (1801 ?)
Wolfgang Amadeus Mozart
Adagio en si mineur, K 540 (1788) for keyboard solo
Dans un bois solitaire, K 308/295b (1777-1778)
Texte de Antoine Houdar de La Motte
Ludwig van Beethoven,
Plaisir d’aimer, WoO 128 (1798-1799)
Que le temps me dure, WoO 116 (1793) fragment
An die Hoffnung, op.94 (1813-1815)
Texte de Christoph August Tiedge
Wolfgang Amadeus Mozart,
Der Zauberer, K 472 (1785)
Texte de Christain Felix Weisse
Joseph Haydn
Sonata n° 61 in ré majeur, Hob. XVI/51 (1794-95)
Ludwig van Beethoven,
Hoffnung, Op. 82 n°1 (vers 1809)
Wolfgang Amadeus Mozart,
Ridente la calma, K 152/210a (1775)
Arrangements de Mozart d’une pièce originale de Josef Myslivecek (1737-1781)
Ludwig van Beethoven
In questa tomba oscura, WoO 133 (1806-1807)
Texte de Giuseppe Carpani
La Partenza, WoO 124 (1795-1796)
Texte de Pietro Metastasio
Nicoló Balducci, contre-ténor
Anna Paradiso, pianoforte
1 CD digipack, BIS, 2025, 72′
Contreténor comme l’indique son site, ou male soprano comme le mentionne avec une connotation italianisante le livret de son nouveau disque ? Nicoló Balducci aurait aussi pu se définir comme sopraniste ou falsettiste, autres termes recouvrant cette fraction des voix masculines dont la hauteur, la souplesse et la malléabilité viennent rivaliser avec leurs consœurs sopranes. Bruno de Sá, Samuel Marino sont ces dernières années à ranger au rang des dessus les plus naturels, catégorie à laquelle il faudrait rattacher des voix surprenantes tels Aris Christofellis, Randall W. Wong, Jacek Laszczkowski, ou encore les débuts de carrières de quelques autres célèbres contreténors, notamment Max Emanuel Cenčić.
C’est un cercle très fermé auquel s’agrège depuis maintenant quelques années Nicoló Balducci, officiant dans un répertoire de sopraniste sur de nombreuses productions, que ce soit dans le Mitridate de Mozart dirigé par Philippe Jaroussky en avril dernier à l’opéra de Montpellier ou dans L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi par les Epopées sous la direction de Stéphane Fuget (compte-rendu de l’enregistrement à retrouver prochainement dans nos pages).
Après deux premiers enregistrements consacrés respectivement au répertoire napolitain pour voix de castrats (Castrapolis, Bis, 2022) et arias pour contretenor (Amore Dolore, Bis, 2023), le voici effectuant un léger pas de côté vers un répertoire plus classique avec ce troisième album, Confidenze, où avec la complicité de la pianiste Anna Paradiso, il s’aventure à la (re)découverte de quelques œuvres pour la plupart pas si souvent données des compositeurs de la trilogie viennoise, Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig van Beethoven constituant l’intégralité du programme de ce disque.
Qui a dit que le récital piano-voix n’était plus à la mode ? Beaucoup de monde en fait, et à juste titre si l’on en croit les programmations des salles, où ce genre roi tend à disparaître, y compris pour les Lieder romantiques, le public lui préférant visiblement l’accompagnement d’ensembles musicaux plus fournis. C’est donc d’une certaine audace dont font preuve Nicoló Balducci et Anna Paradiso avec cette alliance voix de dessus / pianoforte, qui pour être en accord avec les usages de la toute fin du dix-huitième siècle, détonne quelque peu, et avouons-le pour notre plus grande satisfaction, avec les habitudes actuelles. Car s’il est une chose qu’il nous faut d’emblée souligner, c’est le judicieux choix des deux pianofortes utilisés : un instrument facturé par John Broadwood à Londres en 1802 au son précis, subtilement sec et avec peu de réverbération, utilisé pour les accompagnements de la majorité des pièces, offrant une belle présence sonore, et un second instrument signé Mathias Petter Kraft, fabriqué à Stockholm en 1797. La musicienne italienne réserve ce piano carré pour l’interprétation des partitions réclamant un son plus mesuré, plus proche de celui du clavecin, tout en conservant la tonalité des instruments contemporains de la création des œuvres de ce programme.
A la lecture des compositeurs, l’on pourrait penser que nous commettons une incartade pour nous alanguir dans un sentimentalisme viennois quelque peu aguicheur. La chose ne saurait être si simple et nombre des pièces composant cet album se révèlent caractéristiques d’une période de césure entre les époques baroque et classique. Si le dispositif même piano/voix semble résolument faire pencher vers le versant classique, il est à noter que nombre des pièces interprétées par Nicoló Balducci et Anna Paradiso puisent leur origine dans des contrées indéniablement baroque. Et l’occasion de révéler quelques œuvres pour lesquelles nos compositeurs vont chercher livret chez quelques grands maîtres des décennies antérieures, à l’exemple de Mozart et de son Dans un bois solitaire, courte pièce mettant bien en relief toute la souplesse vocale de Nicoló Balducci, allégorie amoureuse où avouons-le, nous nous étonnons quelque peu de retrouver à la plume Antoine Houdar de la Motte, poète fécond de nos jours si peu lu que l’on s’étonne que ses vers aient pu rencontrer Mozart, fut ce lors de son séjour parisien de 1778, et surtout connu comme librettiste de Destouches, de Campra, ou encore de Michel de La Barre.
Autre cas, peut-être encore plus singulier, Beethoven, dont le rare Que le temps me dure, charmante romance, doit son texte à Rousseau. Et inspirer la musique de Beethoven même de manière posthume, est un privilège que n’aurait sans doute pas renié le philosophe, jamais avare, encore moins quand il s’agissait de rappeler une contribution à la musique dont il mirait lui-même la hauteur. Un Beethoven qui avec La Partenza, autre très courte pièce, puise son texte chez Métastase en des temps où ce dernier, depuis longtemps décédé, est déjà passé de mode. Soulignons l’hommage porté par Mozart au trop oublié Josef Myslivecek (1737-1781) qu’il rencontra à Bologne en 1770. Un Myslivecek bien oublié par la postérité (mais plus par le cinéma) et qui eu une influence certaine sur le jeune Mozart.
Si les pièces proposées mêlent allègrement classicisme formel et inspiration chez des auteurs connus pour leur contribution à une musique nettement plus baroque, il n’en reste pas moins de prime abord assez étonnant de retrouver Nicoló Balducci dans un répertoire le plus souvent apanage des voix de soprano, soprano léger de féminines cantatrices. Les grandes voix de contreténor s’éteignant quand la Naples baroque se dissout dans la république parthénopéenne, nous devons bien convenir que quelques carrières se firent dans ce répertoire des tournants entre les dix-huitième et dix-neuvième siècles.
Le jeune falsettiste tient ses promesses et se montre à la hauteur de ses ambitions. D’emblée la voix est claire, le timbre ductile, apte à capter ce répertoire où la finesse des intonations rivalise avec l’expressivité des sentiments. Peut-être n’est-ce jamais aussi vrai que dans chez Haydn. Quatre chansons sur des textes de Anne Hunter (1742-1821)[1] sur lesquelles Nicoló Balducci fait corps avec le piano d’Anna Paradiso, alliant humour et finesse d’interprétation, pour de courtes pièces subtiles, complices et toutes en inflexions savamment réfléchies pour ce qui loin de tout débordement démonstratif, reste parmi les pièces les plus maîtrisées du programme.
Et nous nous tournerons vers l’Adélaïde de Beethoven, pièce plus connue, plus classique des répertoires de récitals, pour sonder à quel point la voix de Nicoló Balducci sait également faire preuve de souplesse, de longueur et de clarté. Limpide, fraîche, apte à se lover dans les méandres complexes des intonations suggérées par le compositeur, la voix du sopraniste s’épanouie avec naturel dans un répertoire qui lui sied à merveille, d’autant que c’est au final chez Mozart que sa souplesse pourra par moment être prise légèrement en défaut, certaines notes un peu forcées, le naturel un brin opaque. Qu’importe, Nicoló Balducci se raccroche alors à la sensibilité, à la nuance de ses inflexions, comme dans l’Abendempfindung an Laura et An Chloé, deux grands moments mozartiens auxquels il faudrait rajouter les coloratures gracieuses dont le jeune interprète nous gratifie sur Als Luise due Briefe ihres ungetreuen Liebhabers verbrannte.
Dans un répertoire trop souvent l’occasion d’affects débordants et de maniérisme exacerbé chanté par d’autres, soulignons que Nicoló Balducci sait se départir de ces travers, conservant un entrain lumineux, une complicité palpable avec Anna Paradiso dont les pièces solistes, que ce soit l’Adagio (K.540) de Mozart ou la Sonate n°61 sont autant de respirations dans un récital aussi équilibré qu’original, dévoilant toute le pertinence et la légitimité de Nicoló Balducci dans un répertoire où l’on ne l’attendait pas forcément.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement équilibré, aucune remarque particulière.
[1] Le compositeur en composa au total quatorze, majoritairement sur des textes de la poétesse anglaise.
Étiquettes : Balducci Nicolo, Beethoven, Haydn, Mozart, Muse : argent, Paradiso Anna, Pierre-Damien Houville Dernière modification: 20 décembre 2025
