Josep Mir i LLUSSÀ (c. 1700 – 1764)
Missa en Re Major, Stabat Mater, Quomodo obscurantum est, Lauda Jerusalem
Lluís Vilamajó, ténor
Choeur La Xantria (dir. Pere Lluís Biosca)
Vespres d’Arnadí
Direction Dani Espasa
58’46, Musièpoca, 2011.
Extrait « Qui Sedes » (Missa a 8 in Re major)
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Juillet-Août 2011. Maître de Chapelle de la Cathédrale de Ségovie puis du renommé Monastère royal de La Encarnaciòn à Madrid, Josep Mir i Llusà fut un compositeur prolifique, sous la plume duquel fusionnent harmonieusement l’esprit galant du baroque tardif, son expressivité lorgnant vers l’opéra dotée d’une aisance mélodique attrayante, avec un substrat polyphonique et un choix des timbres instrumentaux plus traditionnels.
La Messe à 8 voix en ré majeur qui ouvre le disque, dont la partition est conservée à l’Abbaye de Montserrat, est une œuvre bien ancrée dans le siècle des Lumières, puisqu’elle date de 1760. Avec les antiennes en grégorien, elle représente toutefois la brillante illustration d’un style encore baroque, qui n’est pas sans rappeler le Magnificat de CPE Bach, les Grands Motets de Fiocco ou le Te Deum de Teixeira. Un « Kyrie » triomphal et spectaculaire, onctueux et assuré, où les cuivres de Vespres d’Arnadi scandent avec verticalité un climat somptueux soutient un chœur équilibré et généreux, intelligible et lumineux de La Xantria. Les sopranos et altos glissent dans la brise des arabesques violonistiques, tandis que trompettes et timbales rappellent immédiatement à l’auditeur le caractère cérémoniel et fastueux du mouvement. Le « Laudamus Te » se révèle d’une légèreté brillante, où les échappées des solistes (dont une soprano timide et une contralto plus corsée) sont interrompues par un chœur toujours ample et majestueux ; le soin apportée au flûtes traversières ondulantes du « Qui tollis » réminiscent de Mondonville. Parmi les mouvements, nous avouons un faible pour la nostalgie élégiaque et pudique du duo féminin du « Qui sedes », bordé par les interventions poétiques et douces d’une flûte et d’un violon, où la reprise du motif par le chœur attentif et discret donne lieu à un contrepoint de plus en plus complexe issu de cette subtile stratification au dramatisme souriant et douloureux à la fois. Cette même sensibilité se retrouve dans le bref « Et incarnatus » aux chromatismes aériens bien baroques où la déploration chorale laisse parfois entrevoir les larmes d’une harpe, puis dans le « Cruxifixus » bâti dans le même airain. Les cavalcades rutilantes à compter de l’ « Et Resurrexit » renouent enfin avec l’atmosphère curiale du début.
Le Stabat Mater de 1756, accompagné uniquement d’une basse continue, s’avère d’une écriture encore plus archaïque que la Messe. Conçu pour un double chœur, il s’agit en réalité du remaniement étoffé d’une œuvre plus ancienne à 4 voix de José Mártinez de Arce (ca 1660 – 1721) qui frappe par sa sobriété, sa fluidité et sa puissance évocatrice, avec des effectifs allant de l’arioso soliste au quatuor. Là-encore, le chef Dani Espasa a su insuffler une vision aérée, d’un équilibre naturel, d’une sensibilité profonde, où l’attention aux timbres et aux enchaînements tonaux renvoie une image cohérente et globale. Les tempi moyens laissant s’épanouir pleinement la ligne vocale, la lisibilité des inflexions et du continuo, la sensualité blessée des aigus n’appellent que des éloges.
Le Quomodo obscurantum est fait partie de la tradition des Leçons de Ténèbres (plus précisément la seconde du Vendredi Saint) avec ses mélismes sur les lettres hébraïques qui ouvrent les versets. En dépit de l’excellence et de l’expressivité du ténor Lluís Villamajó, le caractère plus moderne et galant de l’écriture, un peu vain et d’une virtuosité gratuite dans les Lettres, avec des effets orchestraux trop opulents (« Adhaesit lingua ») d’un brio superficiel pour nos oreilles peut-être trop habitées par Charpentier ou Couperin. Se distingue tout de même nettement Le « He. Qui vescebantur » avec les délicieuses effusions du hautbois obligé.
Enfin, Vespres d’Arnadi semble moins à l’aise avec le Laude Jerusalem pour double chœur, plus italianisant dès sa ritournelle introductive enlevée, et pour lequel l’orchestre manque un peu de conviction et d’énergie, encore empreint de la contemplation ronde du Stabat précité. On aurait ainsi pu espérer des cordes plus vivaldiennes et percutantes, des entrées plus énergiques, une théâtralité plus franche. L’ensemble devient cependant plus engagé au fur et à mesure, culminant avec un « Sicut erat » particulièrement réussi. Toutefois, ce regret ne saurait ternir un enregistrement du plus haut intérêt, tant du point de vue musicologique que de l’hédonisme sonore, et il serait bien dommage de se priver des beautés parfaitement rendues du monument que constitue la Missa en Re Major.
Viet-Linh Nguyen
Technique : enregistrement naturel et ample.
Étiquettes : Muse : coup de coeur, Muse : mois, musique religieuse, Viet-Linh Nguyen Dernière modification: 25 novembre 2020