Rédigé par 22 h 06 min CDs & DVDs, Critiques

Du Palais des Doges à Topkapi…

Le 29 mai 1453, en fin d’après-midi, vers la Porte Saint-Romain rebaptisée ensuite Porte du Canon (Topkapi en turc), les troupes du jeune sultan Mehmet III envahissent Constantinople après 2 mois de siège. Sainte-Sophie est convertie en mosquée, le Palais de Topkapi érigé sur une éminence dominant le Bosphore. Mais que sait-on aujourd’hui de la musique interprétée au XVIIème dans ces salons magnifiques, couverts de céramiques bleutées ?

La Sérénissime et la Sublime Porte

Musique baroque de Venise à Istanbul

 

Ensembles La Turchesta et Cevher-i Musiki.
Direction artistique : Chimène Seymen.

59’20, Calliope, 2007. 

Extrait : Türkî Sikayet

[clear]Le 29 mai 1453, en fin d’après-midi, vers la Porte Saint-Romain rebaptisée ensuite Porte du Canon (Topkapi en turc), les troupes du jeune sultan Mehmet III envahissent Constantinople après 2 mois de siège. Sainte-Sophie est convertie en mosquée, le Palais de Topkapi érigé sur une éminence dominant le Bosphore. Mais que sait-on aujourd’hui de la musique interprétée au XVIIème dans ces salons magnifiques, couverts de céramiques bleutées ? 

Chimène Seymen, musicologue et soprano, se consacre à l’étude des musiques européennes et ottomanes au XVIIème siècle, à leurs relations et influences réciproques. Ce disque original, qui n’est pas sans rappeler dans son esprit les initiatives de Jean-Christophe Frisch sur les Vêpres à la Vierge à la Cité interdite (K 617), se veut un échantillon des musiques jouées à la Cour de Topkapi. Celles-ci sont entre autres connues grâce au travail d’Ali Ufkî : Remarquable linguiste, familier de la notation musicale européenne, et doté d’une extraordinaire mémoire musicale, ce joueur de psaltérion, musicien de la chambre, compila un recueil d’environ 600 pièces de musique instrumentale et vocale. A une époque où la musique ottomane ne se transmettait que par voie orale, l’initiative d’Ali Ufkî est plus que précieuse. Dans la version préparatoire de cet ouvrage, aujourd’hui conservée à Paris, se trouvent également des pièces européennes diverses qui soulignent le dialogue musical entre les cultures. Le Sultan et ses odalisques ne furent donc pas insensibles de l’art de Landi ou Barbara Strozzi… 

Le programme du disque joue sur cette dualité, et panache allégrement musique ottomane et vénitienne, confiant chaque répertoire à un ensemble différent, intégrant même un santur (sorte de psaltérion) aux pièces vénitiennes, et quelques instruments européens dans les morceaux ottomans. Il doit être noté que la démarche d’interprétation sur instruments authentiques est tout à fait novatrice dans la Turquie actuelle : le groupe Cevher i musiki est ainsi constitué de professeurs du conservatoire national de musique traditionnelle de l’Université d’Egée, dont le département de lutherie a dû spécialement reconstituer les instruments d’époque (sehrud, rebab, santur, tanbur…).

Le résultat s’avère tout à fait passionnant et… homogène. Les musiciens frappent l’auditeur par leur engagement, leur enthousiasme débordant, la verdeur chatoyante et la diversité des timbres. Il nous est malheureusement impossible de nous attarder sur la musique ottomane, au sujet de laquelle nous avouons à la fois notre ravissement et notre incompétence. Cevher i musiki nous livre des airs variés qui vont du mysticisme inspiré (Taksim) à la sensibilité galante du harem (Pesrev) en passant par la brillance militaire (Cangi Harbi). La structure des morceaux adopte souvent la forme simple de rondo ou d’airs strophiques, et n’est pas sans rappeler la musique mauresque du Haut Moyen-Age (cf. enregistrements d’Eduardo Paniagua chez Sony). 

[divide]En parallèle, La Turchesta rapproche insensiblement la lagune vénitienne du Bosphore en adoptant une approche orientalisante qui surprendra les habitués de Kapsberger, Landi ou Barbara Strozzi. En privilégiant les rythmes dansants, en renforçant l’ambiance festive par l’usage quasi permanent de percussions et en accentuant particulièrement la ligne mélodique sur les temps forts, la Turchesta brouille les repères avec panache, même si l’on déplorera parfois un manque de profondeur (Le « Piangono al pianger mio » de Calestani est un peu excessif, son « Damigella tutta bella » virevoltant à souhait). Nous-mêmes avons hésité à l’écoute de la Colascione de Kapsberger à lui attribuer la paternité d’une œuvre qui aurait presque pu provenir d’une plume turque anonyme.

Plus qu’un enregistrement, la Sérénissime et la Sublime Porte est une invitation chatoyante au voyage et au dialogue des cultures. A quand un second volume ?

Viet-Linh Nguyen

Technique : Enregistrement bien équilibré avec des timbres fidèlement restitués et une bonne ampleur sonore

Étiquettes : , , , Dernière modification: 25 novembre 2020
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