Effervescence concertante
Johann Sébastien Bach (1685-1750)
Concerto en do mineur pour hautbois et violon, cordes et basse continue
Georg Philipp Telemann (1681-1767)
Concerto en si bémol majeur pour hautbois, violon, deux traversos et basse continue
Johann Sébastien Bach
Concerto en fa majeur pour clavecin, deux flûtes à bec, cordes et basse continue
Georg Philipp Telemann
Concerto en mi mineur pour flûte à bec, traverso, cordes et basse continue
Ensemble Amarillis :
Héloïse Gaillard, flûte à bec et hautbois baroque
Violaine Cochard, clavecin
Amélie Michel, traverso
Meillane Wilmotte, flûte à bec et traverso
Alice Piérot, violon concertant
David Plantier, violon I
Alix Boivert, violon II et alto
Laurent Muller-Poblocki, alto
Annabelle Luis, violoncelle
Ludovic Coutineau, contrebasse
52′, Evidence Classics, 2017
Doit-on réviser ses classiques ou forcement succomber aux charmes souvent faussement enivrants de la nouveauté ? Faut-il revenir une fois encore à la subtile Barbara ou découvrir Aya Nakamura ? Laissons quelques parlementaires trancher cette dernière et épineuse question et rejoignons l’Ensemble Amarillis qui semble avoir tranché le nœud gordien. Dans un paysage de la musique baroque qui s’emballe parfois dans une frénésie de parutions de nouveautés et de premières mondiales, ressuscitant compositeurs obscurs et œuvres oubliées avec des bonheurs variables (allant decrescendo de l’extase de la découverte du chef d’œuvre inconnu au plaisir émoussé de la simple curiosité composée pour samedi soir de froids châteaux de lointaine province), Héloïse Gaillard et ses acolytes proposent un programme mettant en exergue Bach et Telemann, soit sans trop de controverse possible deux des compositeurs les plus connus et reconnus du baroque germanique.
Un tel classicisme dans la programmation devait-elle pour autant nous conduire à la déconvenue ? A l’évidence non tant la programmation sait se parer d’une belle homogénéité et jamais ne se défaire d’un réel plaisir d’écoute. Proposant depuis maintenant un quart de siècle une discographie s’ancrant dans une interprétation au meilleur sens du terme traditionnelle des œuvres baroques, l’ensemble Amarillis pose avec ce disque réalisé en 2017 un jalon supplémentaire à une collection d’enregistrements qui ne dépareillera pas votre discothèque.
Alors, pourquoi revenir aux si connus Jean-Sébastien Bach et Georg-Philipp Telemann ? Déjà pour nous rappeler si besoin était qu’ils furent non seulement de très bons compositeurs, mais des innovateurs dans leur domaine, se plaisant l’un et l’autre à faire évoluer les styles institués de leur période, se muer en explorateurs de nouvelles formes musicales, bref, si panthéonisés qu’ils puissent nous apparaître, ces deux-là firent bien œuvre de transgression. Mais il est bon de souligner aussi qu’ils furent amis, échangèrent, s’influencèrent, rivalisèrent, créant entre eux une effervescence de composition au bénéfice de l’évolution de leur art, et que le plus renommé à l’époque n’est pas celui qu’on croit.
C’est bien cette effervescence commune que s’attache à mettre en avant ce disque au travers de quatre concertos pour instruments multiples qui se plairont à mettre en avant des combinaisons sonores variées et souvent nouvelles, faisant la part belle non pas seulement au dialogue entre les instruments mais plus largement à la faculté des partitions de les faire communément s’exprimer, de les mettre en valeur, de rechercher des alliances et les sons peu communs parmi les compositions contemporaines de l’époque.
Telemann nous offre d’ailleurs avec son Concerto en mi mineur pour flûte à bec, traverso, cordes et basse continue le seul exemple connu d’une œuvre concertante réunissant flûte à bec et traverso, adoptant une forme en quatre mouvements (Largo-Allegro-Largo-Presto). On remarquera la vivacité des interprètes, très à l’aise dans l’art de restituer dans l’Allegro et le Presto cette virtuosité technique très souvent caractéristique de nombreuses compositions de Telemann. Le premier Allegro est à ce titre très emblématique du compositeur et remarquable par l’imbrication qu’il opère entre les deux instruments, dont les échanges vifs montrent à quel point les deux instruments savent se répondre, le compositeur s’attachant à déployer un large spectre de leurs capacités et de leurs spécificités sonore.
Si le déploiement de virtuosité fut l’un des apanages parfois doucement raillé de Telemann, ses contradicteurs seront bien obligés de reconnaître que les deux Largo de ce concertos sont des sommets d’émotions, dont les cadences savent se faire légères, douces, souvent poétiques, toujours expressives à l’exemple de ce charmant pizzicati de cordes dans le troisième mouvement, venant si harmonieusement soutenir l’ensemble.
L’autre œuvre de Telemann présentée dans ce programme, son Concerto en si bémol pour hautbois, violon, deux traversos et basse continue finira de démontrer que Telemann sait aussi et avant tout être un formidable passeur d’émotions. Adoptant aussi une structure en quatre mouvements (Largo-Allegro-Dolce-Allegro), il relègue le plus souvent le violon et les deux altos à un rôle secondaire d’accompagnement, préférant mettre en exergue le violon et les deux traversos. Après un Largo initial aussi agréable qu’éphémère, soulignons l’exécution absolument irréprochable du second mouvement, d’une belle complexité entre hautbois et traversos et où dans ce déversement volubile mais non babillard de notes, hautbois et violon sauront pour le coup partager quelques belles envolées, traits virtuoses qui feront de l’interprétation de ce mouvement un grand moment du programme présenté dans ce disque.
Jean-Sébastien Bach quant à lui adopte pour son Concerto en do mineur pour hautbois, violon, cordes et basse continue la forme classique initiée par Vivaldi du mouvement lent embrassé par deux mouvements rapides. Nous le savons, le grand Jean-Sébastien Bach fut, comme nombre de compositeurs baroques, un excellent pilleur et recycleur de son propre répertoire et les exégètes auront relevé qu’il existe une version de ce concerto pour deux clavecins (BWV 1060), proche parente du Concerto BWV 1043 pour deux violons. Ne nous formalisons pas de ces détails surtout intéressants pour l’étude propre de la carrière de Bach et contentons-nous de remarquer que tout le talent du compositeur éclate dès l’Allegro d’ouverture, remarquable par son ton enlevé et où aux cordes virevoltantes répond un hautbois plus sage, remarquable de tempérance et de majesté. Il revient d’entrée à l’ensemble Amarillis de savoir rendre palpable pour notre plus grand plaisir toute la gracieuse complexité dansante de cette composition, qui s’épanouit dans le second mouvement, d’une rare poésie, dans lequel les deux lignes mélodiques s’entremêlent pour proposer un mouvement très expressif rappelant à quel point Bach mérite la très haute place acquise parmi les compositeurs baroques, rôle qu’il confortera dans l’Allegro final, dont la partition virtuose pour violons concertants vient faire écho à un hautbois plus apaisé, embrassant mélodiquement le dialogue entamé lors du premier mouvement.
La deuxième œuvre de Bach offerte dans ce programme, son Concerto en fa majeur pour clavecin, deux flûtes à bec, cordes et basse continue (BWV 1057) constitue une retranscription de son quatrième Concerto Brandebourgeois. Mais ici encore, c’est l’art de faire dialoguer plusieurs instruments solistes, et surtout bien plus de deux, qu’il convient de mettre en avant. Les deux flûtes à bec, si présentes et empreintes d’une belle sororité dans la version brandebourgeoise du concerto sont conservées, alors que la partie pour violons concertants est remplacée par le clavecin, offrant le seul exemple chez Bach d’un concerto pour clavecin faisant appel à d’autres instruments concertants.
Le premier mouvement de ce concerto sera l’occasion de souligner la belle complicité de Héloïse Gaillard et Mélanie Wilmotte, parfaitement au diapason d’une partition complexe requérant outre une maîtrise propre une capacité d’entrelacement de leur interprétation à laquelle elles répondent sans sourciller. La partition est surprenante, les accents souvent mutins pour notre plus grand plaisir et c’est encore cette complicité et cette fraîcheur qui se retrouveront dans le troisième mouvement, qui excelle là encore à mettre en avant la synergie des divers instruments pour étonner mais ravir nos oreilles.
Alors concluons en affirmant que oui, il convient souvent de revenir aux classiques et de Bach et Telemann peuvent encore ravir et émouvoir, nous rappelant que dans la horde de leurs contemporains, ils figurent bien au panthéon des compositeurs de l’époque. Garant d’une interprétation traditionnelle, que l’on qualifiera peut être d’un peu sage, mais plus justement de respectueuse, l’Ensemble Amarillis offre avec cet enregistrement un très honnête exemple de l’effervescence concertante des deux maîtres allemands.
Pierre-Damien HOUVILLE
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