Rédigé par 21 h 55 min CDs & DVDs, Critiques

Coule l’été (Haydn, intégrale des trios pour flûte, Les Curiosités Esthétiques, Pinet – En Phases)

Joseph HAYDN (1732 – 1809)
Intégrale des Trio avec flûte

Divertimenti opus 38 Hob. IV : 6-11pour flûte, violon et violoncelle
Trio Hob. XV : 15 pour flûte, violoncelle et piano
Trios Hb.XV : 16 & 17 pour flûte, violoncelle et piano
London Trios Hob.IV : 1-4 pour deux flûtes traversières et violoncelle
Trios arr. Hob.XI : 82, 100, 103, 109, 110, 118 pour flûte traversière, violon et violoncelle

Les Curiosités Esthétiques : 
Jean-Pierre Pinet, flûte traversière
Valérie Balssa, flûte traversière
Cyrielle Eberhardt, violon
Cécile Verolles, violoncelle
Étienne Mangot, violoncelle
Aline Zylberajch, pianoforte

3 disques dans un coffret cartonné avec livret, En Phases EN 108 / Unik Access / Cité musicale de Metz, 70’20 + 64’04 + 65,29′. 

Nous voici poussés dans nos retranchements. Nous n’avons pas même le prétexte d’un monde post-baroque ou préclassique à avancer pour nous y plonger, car avec « Papa Haydn » nous voici en terres pures et étrangères. Heureusement, Les Curiosités esthétiques rassemblent un aéropage bien connu de nos pages, avec Étienne Mangot au violoncelle ou Aline Zylberajch au pianoforte. On avouera avoir jeté un œil distrait à ce sympathique coffret cartonné, dont la couverture d’un jaune éclatant nos rappela les pochettes de la regrettée maison Zig Zag Territoires. C’est que nous avions une pile de transcriptions à deux clavecins qui nos attendait. Alors, avec nonchalance, on s’essaie à ces mignardises, en attendant une galanterie fade, façon « une brioche, Madame la Marquise ? ». Les premières notes du Trio I en ré majeur nous frappent soudain par leur diaphane élégance, leur souffle transparent, un givre pudique. D’autres images surgissent. Celles de ces musiciens en livrée, assis à un carrefour, et qui entonnent le même Adagio cantabile dans un parc alors que passe la silhouette raide du Prince Nicolas Andréiévitch Bolkonski, père d’André et de Marie, vivant retranché dans son domaine de Lyssya Gori. Non, nous ne nous égarons pas, car c’est bien ce même mouvement que Sergueï Bondarchuk plaça dans le premier volume de sa monumentale fresque cinématographique soviétique de Guerre & Paix, comme symbole d’un monde aristocratique, beau, retranché du monde, en vase clos…

La grande réussite de nos Curieux est d’avoir évité l’écueil d’une musique trop décorative, et d’avoir su doser à merveille la lecture entre sincérité naturelle de la flûte de Jean-Pierre Pinet, équilibre lumineux, incroyable suavité. Dans cet océan de douceur, d’une sentimentalité présente mais non insistante, même les Allegros sont mouchetés, et la vivacité pépie sans jamais ni de nervosité, ni de précipitation (même les Prestos). Le fait qu’une partie des pièces omet le soutien harmonique du piano n’est pas pour rien dans cette impression de légèreté éloquente, très poétique, parfois champêtre (Allegro du Trio III), mais qui sait glisser des entrées fuguées d’une lisibilité remarquée (Presto du Trio III). On en vient presque à regretter le piano ductile, perlé et articulé d’Aline Zylberajch, plus terrien, et virtuose, et qui rompt la magie du flottement : l’Allegro moderato du Trio en sol majeur Hob.XV : 15 par exemple ou encore le Trio en ré majeur n°16 fluide et fier. 

Les London Trios dénotent un style un peu différent, très souple, d’une charmante rusticité, conjuguant les deux flûtes entremêlées de Jean-Pierre Pinet et Valérie Balssa en un ballet agile et insouciant, où le violoncelle grainé et espiègle, et les coups d’archets rebondis d’Étienne Mangot établissent un climat chaleureux et tendre (superbe Allegro moderato du trio en do majeur, Andante avec variations du Trio en sol majeur très concentré). Les six Trios arr. Hob.XI prolongent ce plaisir heureux, baigné de confiance, inondé de rayons mordorés, et qui s’accommoderait si bien de la fin de journée romaine d’un toile de Berchem à la mollesse généreuse, à l’ampleur des mouvements initiaux impressionnistes (Adagio du Trio I en ré majeur, Moderato du Trio III en sol majeur). Bien sûr, nous déconseillons l’écoute consécutive des trois disques, et surtout du premier et dernier, du fait d’une unité d’interprétation qui pourrait conduire à la monotonie. Et certains préfèreront des versions plus nerveuses, ou plus dansantes. Mais la beauté reposée, la discrétion subtile, le souffle de printemps dont nous gratifient les Curiosités esthétiques ensorcellent.

 

Viet-Linh NGUYEN

 

Technique : enregistrement aéré et naturel.

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 10 juin 2024
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