Johann Joseph Fux (1660-1741)
Dafne in Lauro,
componimento per camera sur un livret de Pietro Pariati (1665 – 1733),
représenté au Hoftheater de Vienne, le 1er octobre 1714.
Ariana Vendittelli (Dafne), Soprano
Monica Piccinini (Diana), Soprano
Sonia Tedla Chebreab (l’Amour), Soprano
Raffaele Pe (Apollon), Contre-Ténor
Valerio Contaldo (Mercurio), Ténor
Ensemble Zefiro
direction Alfredo Bernardini
2CDs, Arcana, 2021, 118′.
Des Métamorphoses d’Ovide, nous retiendrons que Daphnée, voulant échapper aux sollicitations insistantes d’Apollon fut changée en un buisson de laurier par son père, le dieu fleuve Pénée. Ainsi en était-il du monde avant MeToo ! Les arpenteurs de la Grèce feront eux remarquer que le laurier est encore présent sur les escarpements de la vallée de Tempé dans le défilé que s’est creusé le Pénée entre les monts Olympe et Ossa. Les lieux étaient dévolus au culte d’Apollon, qui selon Pindare serait venu y cueillir quelques rameaux avant de partir à Delphes, et tous les neuf ans, les prêtres du sanctuaire ramassaient les branches qui, tissées, venait orner la tête des vainqueurs des jeux pythiques. La mythologie s’ancre donc dans la géographie de cette vallée du Tempé, porte de la Thessalie qui fit barrage à tant d’envahisseurs, au point d’être contournée par Xerxès, débouchant au nord des Thermopyles.
Mais reconnaissons que ces considérations ne retiennent guère l’attention de Johann Joseph Fux (1660-1741) et de son librettiste Pietro Pariati (1665-1733) qui entre 1714 et 1729 furent les duettistes très officiels de la cour de l’empereur Charles VI à Vienne. Confessons d’emblée que cette collaboration, l’une de leur première, ne brille pas par un débordement d’originalité du livret. Soit l’Amour se vengeant d’Apollon, un brin persifleur sur l’arc de ce dernier. Condamné à s’éprendre de la belle Daphnée, Apollon n’aura de cesse au cours de cette pièce délicieuse et enlevée de poursuivre un amour qui lui échappe avant de se transformer en un buisson bien peu ardent. Pietro Pariati, habitué des adaptations des mythes et figures antiques signe là un livret aux goûts du temps mais qui ne brille ni par sa complexité dramatique ni par son originalité. Notons que poète officiel de la cour de Charles VI jusqu’en 1729, il finit l’âge aidant par être remplacé par le jeune Métastase, alors en pleine grâce.
Reste alors la musique, et sous cet aspect ce Dafne in Lauro se montre autrement attrayant. Nous devons au festival styriarte de Graz, initialement crée sur mesure pour servir d’écrin au travail de Nikolaus Harnoncourt, de fort noblement lui survivre et de proposer chaque été d’enthousiasmantes productions, à l’image de cette volonté affichée depuis 2018 de redécouvrir la production lyrique de Johann Joseph Fux se traduisant par la remise en lumières, au rythme d’une œuvre par an, de six des dix-neuf opéras, en partenariat avec l’Ensemble Zefiro, incontournable défenseur de Zelenka. Nous n’avons pas vu cette production dont les quelques images du livret nous apprennent que la mise en scène fut pour le moins…peroxydée, et succombons plutôt à une partition assez riche en ornementations, ne se lassant pas de multiplier les allusions à la musique de chasse, à l’exemple d’une ouverture aux cors rutilants et d’airs de Diane subtilement soulignés de sons sylvestres. Mais là où cet opéra de chambre attise notre curiosité, c’est assurément dans la capacité du maître autrichien à se jouer des caractéristiques d’un style très français, exposant sa parfaite maîtrise des airs de danse et nous agrémentant de gigues, menuets et autres bourrées, rafraichissantes et servant parfaitement la progression narrative de l’œuvre.
Apollon et Daphné, par Giovanni Battista Tiepolo (1744).
Huile sur toile, 96 x 79 cm. Paris, Musée du Louvre.
Source. Wikimediacommons.
Le dispositif des solistes, resserré et en cela en adéquation avec le livret, trouvait surement sur scène sa cohérence et sa vitalité de par le jeu des interprètes. Confessons que passé à l’enregistrement les voix s’avèrent par trop homogènes, notamment par une importante proximité entre les timbres des trois sopranos Ariana Vendittelli, Monica Piccinini & Sonia Tedla Chebreab, rendant l’ensemble non pas désagréable, mais souvent un peu flou et insuffisamment dramatiquement différencié. Et du fait, ce sont surtout les interprètes masculins que nous retenons, Raffaele Pe en Apollon d’une touchante fragilité, presque adolescent, comme dépassé par les tourments de ses passions, presque étranger à lui-même mais toujours touchant. Valerio Contaldo en Mercure offre par sa prestance une gravité charismatique toute en assurance, toisant un brin distant mais amusé les objets des jeux divins. Le soutien orchestral de l’ensemble Zephiro, riche et coloré, au cordes opulentes, au continuo très présent, s’avère dynamique et sensible, même si l’on aurait goûté davantage de graves et de rugosité dans les airs de fureurs.
Joué avant le dîner du 1er octobre 1714 pour fêter l’anniversaire de l’Empereur Charles VI, mélomane (comme le fut par ailleurs son père Joseph 1er) et grand amateur de chasse, gageons qu’il trouva dans cette œuvre de quoi le ravir, tant celle-ci entremêle ces deux sujets en de multiples références musicales. L’Histoire retiendra pourtant que ce même Charles VI, quelques années plus tard, en 1732, tua accidentellement au cours d’une partie de chasse le Prince Adam-François de Schwarzenberg, qui avait commis l’erreur d’inopinément se placer dans la ligne de tir impériale, entre l’Empereur et le cerf convoité.
Plus de trente ans après l’enregistrement fondateur mais bien terne de René Clémencic (Nueva Era), l’Ensemble Zefiro et Alfredo Bernardini nous offrent avec cet enregistrement « dal vivo » une relecture très honorable de cette œuvre pétillante et entrainante, qui laisse apprécier tout le savoir-faire de Johann Joseph Fux. On hésitera pourtant à le couvrir de lauriers.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Arcana, Contaldo Valerio, Fux, Muse : airain, opéra, Outhere, Pierre-Damien Houville Dernière modification: 25 mars 2024