Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
Oeuvres pour clavecin-luth
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Olivier Baumont, clavecin-luth William Martin, 1991.
Loreley Productions, 2014.
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Dans un renversement des valeurs, on avouera de manière iconoclaste que héros de cet enregistrement n’est pas l’interprète, mais l’instrument. Un instrument hybride et ambigu, hermaphrodite, indéfini. On écoute le Prélude en do mineur, qui tient terriblement du luth ou de la guitare avant que le prélude de la suite en do mineur n’apporte une sorte de théorbe un peu atrophié, aux graves bougons. Mais les trilles comme certains accords trahissent un clavier. Mystère donc que ces cordes pincées qui ne veulent dire leur nom et qu’Olivier Baumont égrène avec un équilibre lumineux et naturel. Fluide et éloquent, plus rêveur qu’à l’ordinaire, très articulé, l’interprète se délecte de la présence de son compagnon, et d’un répertoire qu’on connaissait par la douceur dansante d’Hopkinson Smith (Naïve) ou la précision d’un Lindberg (Bis). Pour autant, certaines registrations demeurent malheureuses comme cette horrible fugue brouillonne qui sonne comme une sorte de clavicorde désaccordé marié à un Dolmetch bruyant, et le jeu est incontestablement celui d’un instrument à clavier en dépit d’un jeu luthé.
On vous en a trop dit, et il faut tout avouer. Olivier Baumont s’amuse sur un Lautenwerk (Lautenclavier, Claviercymbel) recréé en 1991, exhumant ce clavecin-luth aux cordes en boyaux dont on sait par son inventaire après décès que l’illustre Bach en posséda deux et que leur sonorité pouvaient tromper les auditeurs « qui ne connaissaient pas les ornements typiques d’un luth (…) tant qu’ils n’avaient pas vu quelqu’un en jouer » (Jakob Adlung, Anleitung zu der musikalischen Gelarhteit, Erfurt, 1758).
Pour être honnête, on confessera que ce William Martin de 1991 demeure perfectible, et que ces pièces sonnent souvent de manière plus nuancée et intimiste au luth. Mais la balade surprenante, à la manière d’une transcription colorée audacieuse et respectueuse en même temps, le clavier « bien tempéré » d’une pudique éloquence d’Olivier Baumont, parfois un peu trop sévère (Prélude de la BWV 996 justement la seule suite « aufs Lautenwerk » sur la partition autographe), tantôt plus souriant (très beaux préludes, fugue et Allegro BWV 998) d’une hypnotique évidence, d’une élégance presque surannée, rappelant presque par sa résonnante minutie un Eugen M. Dombois, redonne à cet instrument oublié l’intérêt d’une musicalité cristalline qui va au-delà de la curiosité.
Sébastien Holzbauer
Technique : prise claire et proche de l’instrument.
Étiquettes : Baumont Olivier, Jean-Sébastien Bach, Muse : argent, musique de chambre Dernière modification: 23 novembre 2020