En rangeant les carnets de la Muse, nous sommes tombés sur de vieux cartons
perdu dans le grenier. Quelle ne fut pas notre surprise à l'ouverture d'une oblongue
capsule de découvrir cette lettre inédite et éclairante, datée de décembre 1682, au
style maladroit et frisant le pastiche, qui nous conte, outre les amours du
Comte de V***, l'impatience de la cour à découvrir Phaéton de Lully, dont le première
représentation eu lieu dans le Manège de la Grande Ecurie le 6 janvier 1683.
"Madame,
Vous pardonnerez
l'affront de vous tirer de l'étude de vos manuscrits poussiéreux et
d'interrompre ainsi vos périples de bibliothèques en bibliothèques pour vous
livrer quelques nouvelles de la Cour, répondant ainsi à vostre désir si
souvent exprimé de n'en point perdre les intrigues et les complots. Je vous
imagine, perdue dans l'immensité glacée d'un Escorial que l'on dit si
sévère, compulsant le recueil tout de cuir relié où s'alignent une à une les
chansons du siècle dernier qui complurent au dévot Monarque. Pour ma part,
et quoique je n'ose disputer l'excellence de votre Goust et la qualité de
votre Jugement, il faut bien avouer que Versailles ne se soucie plus guère
de ses vieilleries pour bombardes et chalemies, et que la Ville toute
entière ne bruisse que du tragique destin de Phaéton.
Le Florentin,
pardonnez-moy puis qu'il s'agit désormais de Monsieur le Secrétaire du Roy,
charge qui heureusement lui fut fort couteuse - s'est dit-on surpassé dans
la mise en musique du destin accablant de l'Insolent qui voulut conduire le
char du Soleil. Sa Majesté à n'en point douter a choisi le sujet, qui ne
pouvait que lui plaire. On la sait fort avide d'Ovide. Et puisque le
Chasteau n'est qu'un ensemble de décombres et de gravas, d'échafaudages
grandioses et de plâtres gastant les justaucorps, que sa Majesté dompte plus
promptement les Impériaux que les éléments boueux de sa nouvelle demeure,
nous n'avons toujours pas ici ni de lieu convenable pour prier, ni de
Théâtre digne de ce nom. Aussi au galetas lumineux qui sert de chapelle
répondra la scène de la Grande Ecurie qui je le souhaite pourra accueillir
quelques machineries et recevoir en son Manège les audacieux décors de
l'italien Carlo Vigarani. Monsieur Bérain en conçoit les costumes, et l'on
se réjouit d'avance d'imaginer en quelle tenues pourront paraitre les
Prêtres de la Déesse Isis et les troupes d'Indiens ou d'Indiennes &
d'Ethiopiens. On dit de l'argument qu'il est fort bon, et que Monsieur
Quinault l'a façonné avec la noblesse de sentiment et l'agrément de vers
qu'on lui sait, qu'il comprend les Heures du Jour, les Saisons de l'année,
des Pasteurs et Bergères. Toute cette incroyable Antiquité ne sauroit
cependant Madame, me faire oublier que le rôle de déesse de la terre vous
devrait revenir et que je fonderais bien les Pyrénées afin qu'elle ne soye
plus et que je vous puisse retrouver.
Mais assez de musique
et revenons-en à votre voyage: comment sont les crèches au Royaume très
Catholique ? Cela fait bien longtemps que n'y suis point allé; j'ai
toutefois souvenance de ces angelots innombrables encadrant les autels et de
ces Crucifixions aussi sanglantes que sombres. Peut-être les crèches, leurs
étables et leur trio de royauté seront-elles égayer un peu votre Noël et
saluer dans la joie la naissance de notre Sauveur ? Pour ma part celle de
Versailles me semble bien ridicule et feroit presque regretter la naïveté
pittoresque des crèches de nos provinces où les paysans s'imaginent parfois
en rois-mages sans souffrir la lèse-majesté.
Mais Adieu donc Madame,
il faut que je vous abandonne ; j'espère que le courrier sera aussi ailé que
l'angélique Gabriel, puisque je m'en vais accompagner Sa Majesté en sa
promenade et quoyque le climat ne soye plus guère clément et que les
bosquets ayent perdu de leur attrait en cette saison hivernale, que la
Solitude qui m'anime depuis que vous estes partie me frappe de Mélancolie,
c'est là un devoir qu'un courtisan accompli comme je me targue de l'être ne
pourrait pour rien au monde, sauf pour un de vos baisers, manquer.
En implorant votre
retour au pays des lys après la Noël, et en attendant la première
représentation à l'aube de Janvier de ce Phaéton si impatiemment attendu, je
vous embrasse Madame, et suis et reste
Votre très humble,
votre très dévoué et votre très attentionné Serviteur,
Monsieur de V*****
Faict à Versailles, le
4 de Décembre de l'an mil six cent quatre vingt deux."