Bach à Potsdam
D'après la Presse
On
apprend de Potsdam que Monsieur Bach, le célèbre maître de chapelle de
Leipzig, est arrivé à Potsdam même dimanche dernier pour avoir le plaisir
d'y entendre l'excellente musique royale. Le soir, à peu près au moment où
la musique ordinaire de la chambre entre habituellement dans les
appartements royaux, on annonça à Sa Majesté que le maître de chapelle Bach
était arrivé à Potsdam et qu'il se trouvait alors dans son antichambre où il
attendait la très-gracieuse autorisation d'entendre la musique. Sa Majesté
donna immédiatement l'ordre de le faire entrer, se mit aussitôt à
l'instrument nommé
forte et piano et eut la bonté de jouer en
propre personne sans aucune préparation un thème sur lequel le maître de
chapelle Bach dut improviser une fugue. Le dit maître de chapelle y
parvint de manière si heureuse que non seulement Sa Majesté eut la bonté
d'exprimer sa satisfaction, mais encore toutes les personnes présentes
furent plongées dans l'étonnement. Monsieur Bach trouva si dense et si beau
le thème qui lui avait été donné qu'il veut le coucher sur papier en une
véritable fugue et le faire ensuite graver sur cuivre. Le lundi, cet
homme célèbre se fit entendre à l'orgue en l'église du Saint-Esprit de
Potsdam et recueillit l'approbation générale de tous les auditeurs qui se
pouvaient trouver dans la foule. Le soir, Sa Majesté lui proposa encore
l'exécution d'une fugue à six voix, ce qu'il fit avec autant
d'habileté que la première fois, pour le plus grand contentement de Sa
Majesté et l'admiration de tous.
Berlinische
Nachrichten, Berlin, 11 mai1747. BD II/554
Source : Philippe Cantagrel, Bach en son Temps, Fayard, 1997.
D'après la première biographie de Bach par Johann Nikolaus Forkel (1802),
reposant sur le témoignage de Wilhelm Friedemann.
Vers
cette époque, le Roi avait chaque soir un Concert de chambre au cours duquel
il jouait le plus souvent lui-même quelques Concertos de flûte. Un soir,
alors qu'il venait de préparer sa flûte et que les musiciens étaient déjà
réunis, un Officier lui apporta le rapport écrit des étrangers arrivés ce
jour-là [à Potsdam]. La flûte à la main, il parcourait le document quand
soudain, se tournant vers les musiciens de l'Orchestre rassemblés autour de
lui, il dit avec une certaine émotion : "Messieurs, le vieux Bach est arrivé
! "
(...) Il oublia pour ce soir son concert de flûte et envoya chercher le
vieux Bach afin que celui-ci essayât divers Fortepianos de Silbermann que le
Roi avait installés dans plusieurs salles de son Palais. Les Musiciens de
l'Orchestre les suivirent de salle en salle, et Bach dut partout essayer
l'instrument et improviser. Après qu'il eut joué et improvisé quelques
temps, il demanda au Roi un thème de Fugue qu'il développât aussitôt sans la
moindre préparation. Le Roi, impressionné par la manière savante avec
laquelle Son Thème avait ainsi exploité au pied levé, exprima le désir,
vraisemblablement pour voir jusqu'à quel point un tel Art pouvait être
poussé, d'entendre encore une fugue à six voix obligées. Mais comme tous les
thèmes ne sauraient convenir à une polyphonie aussi complexe, Bach dut en
choisir un lui-même et le développa aussitôt, à la plus grande admiration de
toutes les personnes présentes, d'une manière aussi somptueuse et savante
qu'il avait traité le Thème du Roi.