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6 janvier 2014

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La première biographie de Bach

par J. N. Forkel

 

Elias Gottlaub Haussmann, Portrait de Jean-Sébastien Bach, 1748. D.R.

 

La musique de Bach semble avoir été connue par des cercles de connaisseurs après sa mort. Mais, comme de son vivant, elle ne connut pas une grande postérité en dehors de la Saxe et de la Prusse, et les goûts musicaux du temps avaient considérablement évolué. Bach, qui composait déjà de manière archaïque avec son contrepoint poussé à l'époque de l'école de Mannheim et du style galant, était donc considéré plus comme un grand maître savant que comme un compositeur agréable à entendre...

Vers 1774, un jeune homme se passionne pour la vie et l'œuvre de Jean-Sébastien Bach, décédé une vingtaine d'année plus tôt. D'humble extraction, Forkel étudie la musique en autodidacte, sera organiste de l'Université de Göttingen où il fut ses études, dirigea des concerts et donna des cours de solfège et des leçons de musique. Sa prose, imbibée par le romantisme et le nationalisme allemands naissant, nous paraît aujourd'hui excessive et surannée, dogmatique et subjective à la fois. Mais il s'agit de la première biographie consacrée à Bach, et rédigée par un quasi-contemporain qui eut accès à de nombreux documents et aux témoignages de ses fils.

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SUR LA VIE, L'ART

ET LES ŒUVRES DE

JOHANN SEBASTIEN BACH

 

par Johann Nikolaus Forkel

 

pour les patriotes admirateurs de l'art musical authentique

 

 

 

très humblement dédié par l'auteur à Son Excellence le Baron Van Swieten

 

 

 

 

 

LEIPZIG, 1802

 

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PREFACE

Depuis nombre d'années, j'ai l'intention de donner au public une relation exacte de la vie de Johann Sebastian Bach, et d'y joindre quelques recherches et considérations, tant sur son génie que sur ses travaux. Les admirateurs de ce grand homme ne sauraient en effet se contenter de la courte notice biographique que MM. Carl Philipp Emanuel Bach et Agricola, ancien compositeur de la cour de Prusse, ont insérée dans le troisième volume de la Bibliothèque musicale de Mizler. J'aurais du reste mis depuis longtemps mon projet à exécution, si je n'avais voulu terminer auparavant mon Histoire générale de la musique. J'avais réservé pour le dernier volume de cet ouvrage, déjà fort avancé à l'époque dont je parle, les documents recueillis pour la biographie d'un homme qui, plus que tout autre, a fait époque dans l'histoire de l'art. Mais dans l'intervalle, MM. Hoffmeister et Kühnel, éditeurs et marchands de musique à Leipzig, annoncèrent au public leur louable résolution de publier une édition complète et correcte des œuvres de J. S. Bach : cet événement me força de modifier mon projet.

Cette entreprise des éditeurs est du plus haut intérêt pour l'art lui-même, et contribuera plus que toute autre publication du même genre à rehausser la gloire de l'Allemagne. Les œuvres que Bach nous a laissées sont en effet le précieux patrimoine de la nation entière: aucun autre peuple ne possède de trésor qui lui soit comparable. C'est donc rendre un grand service à son pays que d'empêcher l'altération de ces œuvres en en reproduisant le texte dans toute son intégrité ; c'est élever en même temps à l'artiste un monument durable, et toute personne à laquelle est cher l'honneur du nom allemand doit être prête à aider et à seconder de tout son pouvoir un projet aussi patriotique. J'estime qu'il est de mon devoir de rappeler au public une semblable obligation et de réveiller ainsi un noble enthousiasme dans la poitrine de tout véritable Allemand ; c'est aussi la raison qui me fait publier par anticipation les pages qui vont suivre: elles me donneront naturellement le moyen de m'adresser à un plus grand nombre de mes compatriotes. Le chapitre, en effet, qui, dans mon Histoire de la musique, traite de Bach, ne sera guère lu, je le suppose, que par un cercle assez restreint de gens ayant déjà quelque instruction musicale, ce qui ne remplit point le but que je me propose ici; car je ne puis me lasser de répéter que l'art n'est point seul intéressé à préserver de l'oubli la mémoire d'un si grand homme. Cette question est une de celles qui engagent l'honneur de la nation entière.

Un moyen des plus efficaces pour conserver d'une façon durable les compositions musicales consiste assurément dam leur exécution publique devant un nombreux auditoire: c'est ainsi que présentement encore un grand nombre d'œuvres de mérite continuent de se répandre dans le monde. Le public les entend avec plaisir, soit à l'église, soit au théâtre ou au concert : il se souvient plus tard de cette agréable impression, et souvent achète l'ouvrage dès qu'il est édité, sans cependant être à même dans bien des cas d'en pouvoir faire usage. il est malheureusement fort difficile, à notre époque, d'entendre les ouvrages J.S. Bach, car le nombre de personnes capables de les exécuter convenablement est au moins aussi restreint que par le passé. Tout autre serait la situation si Bach avait voyagé pour exécuter ses œuvres en public ; il n'en eut malheureusement ni le goût ni le temps. Mais plusieurs de ses élèves le firent à sa place, et, malgré l'infériorité de leur exécution si on la compare à celle du maître, l'étonnement et l'admiration qu'ils excitèrent dans leur auditoire prouvent avec évidence la grandeur des conceptions artistiques de l'auteur de ces œuvres. Parmi les auditeurs s'en trouvaient aussi quelques-uns qui s'empressèrent de redire sur leur instrument les morceaux que le virtuose avait le mieux rendus, et qui leur avaient par cela même donné le plus de plaisir. La tâche leur était du reste singulièrement facilitée par l'indication exacte qu'ils venaient de recevoir du style approprié à ces œuvres.

Il ne faut point espérer voir avant longtemps une résurrection des grandes œuvres de musique, si tout d'abord nous ne formons point de meilleurs maîtres dans cet art. L'absence de bons maîtres ! Voici à proprement parler la source de tout mal musical. Le professeur sans instruction et sans talent doit nécessairement donner à ses élèves une détestable opinion des bons ouvrages: cette manière d'agir est utile à son propre crédit, il courrait autrement le risque de se voir prier par l'élève de jouer quelques-unes de ces compositions. C'est ainsi que l'enfant, après avoir dépensé son temps, sa peine et son argent à d'inutiles bagatelles, se trouve au bout d'une demi-douzaine d’années aussi ignorant en musique qu'il l'était dès le début, tandis qu'un autre enseignement, en lui épargnant la moitié de ce temps, de cet argent et de ce travail, l'aurait lancé dans une voie où il serait allé en progressant pendant toute sa vie. L'avenir seul nous apprendra si ce mal peut être enrayé à la fois par la mise en vente, dans tous les magasins de musique, des œuvres de Bach, et par la fondation d'une association de dilettantes et d'admirateurs de ce gram génie, association destinée à mettre en évidence le mérite de ses œuvres et à en recommander l'étude. Si l'art doit rester l'art et ne veut point descendre à un niveau tel qu'il n'est plus alors qu'une simple distraction de gens désœuvrés, il est nécessaire de recourir aux ouvrages classiques plus souvent qu'on ne l'a fait ces dernières années. Bach, en sa qualité de prince des classiques passés et futurs, rendra à cet égard  d'immenses services. La personne qui, pendant un certain temps, aura étudié ses compositions, saura distinguer de suite une bagatelle d'une œuvre réellement musicale, et montrera toujours une valeur artistique et une instruction supérieures, quels que soient la branche et l'art qu'il lui plaira plus tard de choisir. Ajoutons à cela que l'étude d'un aussi éminent classique, qui a étendu dans toutes les directions le domaine de la musique, est bien faite pour nous préserver de ce savoir superficiel et borné qui constitue le goût dominant chaque jour. En un mot, il serait tout aussi nuisible à l'art musique d'abandonner l'étude des classiques, qu'il serait fatal à la culture des lettres de bannir de nos écoles les auteurs grecs et latins. Les tendances de notre temps sont tout naturellement portées vers les futilités qui nous peuvent procurer une distraction immédiate et passagère ; ces tendances s'éloignent des grandes et belles choses, lesquelles ne sauraient être atteintes sans effort et sans peine. N'en est-on pas venu au point de proposer sérieusement de bannir de nos écoles les Grecs et les Romains ? Un courant tout aussi malsain traverse l'art musical, entrainant avec lui nos meilleurs classiques. Pour mon compte, ces faits ne me font éprouver nul étonnement, car l'esprit moderne est doué d'une pauvreté et d'une frivolité telles qu'il a honte d'être comparé aux auteurs qu'il voudrait proscrire, à notre Bach surtout, dont l'inspiration est exubérante de fantaisie et de science.

Comment décrire dignement et selon ses mérites le sublime génie de ce prince de tous les artistes allemands ou étrangers ? Après l'honneur d'avoir été un aussi grand homme, dominant comme lui tous les musiciens de la hauteur de son étonnante supériorité, il n'y a pas, je crois, de plus grande gloire à envier que celle d'apprécier dignement son art merveilleux et d'en parler en parfaite connaissance. L'intelligence capable d'un pareil effort a quelque parenté avec l'âme de l'artiste lui-même: elle peut tout au moins invoquer en sa faveur cette flatteuse probabilité qu'elle aurait pu déployer l'effort de génie du premier, si des causes extérieures semblables l'avaient de même lancée dans la carrière. Je n'ai point assez de présomption pour croire que j'atteindrai jamais à un pareil honneur. Je suis tout au contraire pleinement convaincu de ce fait, qu'il n'existe point au monde de langue assez riche pour exprimer tout ce qu'il serait nécessaire de dire sur l'étonnante étendue d'un pareil génie. Plus nous le pénétrons intimement, plus aussi croît notre admiration. J'estime que nos louanges aussi bien que les manifestations oratoires ou littéraires de notre respect et de notre culte pour lui ne sont qu'un bienveillant babillage, et rien de plus. Cette affirmation ne paraîtra point exagérée aux personnes qui auront eu l'occasion de comparer ensemble les œuvres d'an de plusieurs siècles; elles seront plutôt de cet avis que tout homme auquel les ouvrages de Bach sont familiers ne peut parler qu'avec admiration de la plupart, et même avec une sainte vénération de quelques-uns d'entre eux. Nous arrivons à concevoir et à expliquer parfaitement l'admirable emploi qu'il faisait des ressources internes de l'art; mais ce qu'on admirera toujours sans le pouvoir comprendre, c'est la manière dont il réussit à insuffler, dans cette mécanique de l'art (qu'il poussa à une si merveilleuse perfection), cette vie puissante et ce charme qui nous émeuvent même dans ses ouvrages de moindre importance.

Je n'ai jamais eu la fantaisie de comparer Bach à aucun autre artiste. Les personnes qui désireraient lire un parallèle des qualités respectives de Bach et de Haendel, trouveront à cet égard une esquisse de mérite écrite par un homme compétent en ces matières, et publiée dans le premier numéro du quatre-vingt unième volume de la Bibliothèque allemande universelle (AIlgem. deutsche Bibi., pp. 295-303).

Les détails qui, dans mon récit, s'écartent du court essai dont j'ai parlé ci-dessus, et qui énuméré dans la Bibliothèque de Miz1er, m'ont été fournis par les feux fils aînés de J. S. Bach. J' ai personnellement été lié d'amitié, et je suis resté pendant nombre d'années en correspondance avec tous deux, principalement avec C. Ph. Emanuel. Le monde n'ignore point qu'ils furent de grands artistes, mais il ne sait pas peut-être que jusqu'à leur dernier soupir, ils ne cessèrent de parler avec enthousiasme et admiration du génie de leur père. Moi aussi, dès mon enfance, j'avais senti mon âme pénétrée de respect pour ce génie; c'était donc là un thème fréquent de discussions entre nous, soit dans nos conversations, soit dans notre correspondance. Je suis ainsi devenu peu à peu tellement familier avec chaque détail relatif à la vie, au génie et aux œuvres de J. S. Bach, que je désire communiquer présentement au public quelques-uns de ces détails et aussi quelques réflexions utiles sur ce sujet. En le faisant, je n'ai d'autre but que d'appeler l'attention du public sur une entreprise destinée à élever à l'art allemand un puissant monument à fournir au véritable artiste une collection de modèles des plus parfaits, à ouvrir enfin aux amateurs de musique une source inépuisable de jouissances sublimes.

 

 

Source : Philippe Cantagrel, Bach en son Temps, Fayard, 1997.

 

 

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