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mise à jour 20 janvier 2014
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Genre : opéra Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764) Castor et Pollux (version de 1754) Tragédie lyrique en quatre actes sur un livret de Pierre-Joseph Bernard créée à l'Académie royale de Musique le 24 octobre 1737. Anna Maria Panzarella (Télaïre), Véronique Gens (Phébé), Henk Neven (Pollux), Finnur Bjarnason (Castor), Anders J. Dahlin (Mercure), Nicolas Testé (Jupiter), Judith van Wanroij (Cléone). Chœurs de l'Opéra national des Pays-Bas. Chef de chœur : Martin Wright Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction.
Mise en scène : Pierre Audi Décors et costumes : Patrick Kinmouth Lumières : Jean Kalman Chorégraphie : Amir Hosseinpour
155’, documentaire bonus sur la production et la préparation scénique et musicale avec les chanteurs et l'équipe (16’).
2 DVDs, sous-titres EN, FR, DE, ES, IT, NL, image 16:9, son Dolby Digital 2.0 St / Dolby Digital 5.1 / Dts, toutes zones. (ALL/ANY), Opus Arte, 2008.
Pâles flambeaux
Revenons donc un court instant sur ce C & P façon 1754, concentré des évolutions du Siècle des Lumières. En effet, si la version de 1737, magnifiquement enregistrée par William Christie (Harmonia Mundi) demeurait très fidèle au moule post-lullyste de la tragédie lyrique avec son opulent prologue à la gloire du Roi, ses cinq actes scandés de nombreux divertissements, et une froide noblesse des protagonistes, la version recréée en juin 1754 représente bien plus qu’une reprise. En effet, Rameau s’y livre révise en profondeur la partition, élague, épure, bouleversant radicalement l’optique et la structure de l’œuvre : exit le prologue de commande, émergence d’un premier acte nouveau, fusion-condensation des III et IVèmes actes. L’opéra s’humanise, se recentrant sur les ressorts psychologiques et l’émotion. Le premier acte permet désormais de s’appesantir plus sur les noces de Télaïre et Pollux, le renoncement de ce dernier au profit de son frère, et la mort de ce dernier. Mieux amenée, la mort de Castor en devient beaucoup plus poignante, passant de l’illustration mythologique au drame personnel. Et en dépit des divertissements qui subsistent, l’intrigue ramassée donne à l’opéra une urgence et une cohésion dramatiques accrues. A l’heure de la mode des interminables "director’s cut", voici l’éclatante preuve que le rythme prime sur la durée. On retiendra 2 choses de ce Castor & Pollux : une direction musicale attentive et charmeuse, et une mise en scène décevante de platitude. Commençons par une pilule non dorée : la mise en scène de ces représentations bataves a hélas été confiée à Pierre Audi dont de méchantes langues pourraient dire que l’inspiration est à l’image de ce vaste plateau vide, sur lequel surnagent des chanteurs naufragés. Que dire en effet de cette immensité violacée ou grisâtre où traîne en guise de mobilier ce qui ressemble à des cubes ajourés et dont le fond reproduit un terminal d’aéroport futuriste dégingandé ? Nous savons M. Audi fort amateur de géométrie - et ses réalisations monteverdiennes l’ont amplement prouvé – mais à l’inverse de celles-ci, il ne se dégage de cette désolante sobriété qu’une sensation de banalité facile, bien loin d’un symbolisme mystérieux. Sur cette banquise, les chanteurs, arborant les costumes de Patrick Kinmouth dignes des feuilletons de science-fiction de votre enfance (comprenez d’un style austère et japonisant) sont visiblement laissés à eux-mêmes, se contentant de traverser ou retraverser une étendue sans repères, immense de solitude, réceptacle disproportionné par rapport à cette œuvre terriblement humaine. Les chorégraphies d’Amir Hosseinpour, abstraites et nerveuses, parachèvent ce spectacle peu agréable à l’œil, monolithique dans sa lassante continuité que renforcent les fondus de lumières de Jean Kalman. Il manque cruellement du rêve, des contrastes et une tension dramatique à tout ce salmigaudi… Heureusement, Christophe Rousset est dans la fosse (dans laquelle "on" a par ailleurs confiné les chœurs qui avaient toute leur place sur scène). Familier de Rameau, duquel il nous avait livré précédemment un Zoroastre visuellement superbe (toujours chez Opus Arte), le chef imprime une direction élégante et raffinée, où prime la lisibilité des timbres et des parties. Les Talens Lyriques se délectent de l'ouverture et des nombreuses danses dont l'œuvre est emplie, même dans la version 1754 déjà "dégraissée". Les cordes sont soyeuses et pleines, les flûtes très transparentes, les cuivres moyennement rutilants ("éclatez fière trompette" n'éclate pas), les percussions martiales. Les Talens se régalent des "bruits de guerre", menuets, "marche fière", gavottes et autres rigaudons avec fierté et truculence (notez les bassons bourdonnants et "jazzy"). Le continuo s'avère vif, attentif et inventif, ce qui est essentiel pour soutenir avec fermeté les récitatifs et garder le cap du drame.
Côté chanteurs, on commencera par l'unique énoooorme problème de la distribution, monumentale erreur de casting. Pourquoi réduire à un bref second-rôle Anders Dahlin qui avait livré une interprétation dithyrambique de Castor sous la baguette de Sir John (Eliott Gardiner) l'année dernière pour confier ce rôle au faiblard Finnur Bjamason ? La ligne de chant est chaotique et imprécise, d'une justesse toute personnelle, l'émission constamment tremblante et peu dirigée, le timbre brouillé, les aigus poussifs, l'intelligence du texte invisible. Ne nous étendons pas plus sur la contre-performance totale de ce ténor de plus peu habitué à ce répertoire. Il y a là un choix de casting éminemment discutable, qui confine au gâchis. Et cela est d'autant plus déplorable que le reste du plateau est d'un très bon niveau. On y distingue la tendre Télaïre d'Anna Maria Panzarella (dont on sait les affinités ramistes depuis le bel Hippolite & Aricie avec Christie notamment), à la voix claire et noble, déclamatoire et sensible. Par rapport à il y a une dizaine d'années, la soprano n'hésite désormais plus à vivre le personnage plutôt que de le jouer, de passer de la statue de marbre énigmatique au personnage de chair et de sang, un peu à la manière des Déesses outragées d'Agnès Mellon (Alpha). Le plus que fameux "Tristes apprêts" avec ses retards, ses soupirs et ses sanglots, ses quelques notes presque criées, et son ornementation un peu trop abondante illustre ce parti-pris. Nous lui préférons personnellement la prestation grave et tragique de Jennifer Smith sur le tempo plus ample de Farncombe dans le premier enregistrement sur instruments d'époque de ce C & P 1754 (Erato), mais cette lecture vivante, proche de l'auditeur n'est pas sans mérite. Le Pollux de Henk Neven ne manque pas d'allure, même si la prosodie est parfois prise en défaut, et que la voix est plus celle d'un baryton léger - aux graves peu présents et à la stabilité cyclique - que d'un monarque imposant. Véronique Gens fait valoir sa diction très articulée, son timbre riche, ses aigus stables. Mais sa Phébé est d'une froideur distante, inaccessible ou peu impliquée ("Mon coeur n'est point jaloux"). A ses côtés, Judith van Wanroij fait une confidente d'une fraîcheur sucrée, à la voix pure. Enfin, on citera les trop furtives apparitions de Nicolas Testé et Anders Dahlin, parfaitement dans le style. Les Chœurs de l'Opéra national des Pays-Bas, vigoureux mais relativement compacts savent varier les climats, assénant avec une ostentation joyeuse le "Chantons l'éclatante victoire", déplorant avec un désespoir d'un noir d'encre la disparition de Castor dans le "Que tout gémisse". On reprochera tout de même une certaine imprécision entre les pupitres, et des parties d'alto mal équilibrées. En définitive, le Castor & Pollux de 1754 attend toujours sa version de référence : l'essai de Farncombe très dramatique souffrait de solistes fort inégaux (Erato), la lecture terne de Mallon (Naxos) en fait un pavot de premier ordre... Rousset constitue donc pour le moment la meilleure alternative, en attendant que les bandes de France Musique du merveilleux concert dirigé par Sir John Eliott Gardiner à Pleyel en février 2007 avec Anders Dahlin, Laurent Naouri et Sophie Daneman soient un jour éditées.
Technique : captation fluide en haute définition.
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Affichage minimum recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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