Vous avez sans doute dans votre
entourage quelques amis fort adeptes de ce qui fait l’objet principal de ces
pages : la musique baroque. Ils ont tellement de disques qu’il devient
impossible de leur en offrir : comment être sûr qu’ils ne l’auront pas déjà ?
Tout simplement en changeant de répertoire. Ne risquerait-on pas de tomber sur
quelque chose qui ne leur plaise pas ? Bah, tout choix de cadeau comporte une
part de risque. Et puis dites-vous que rien ne vaut la découverte.
Néanmoins, mieux vaut garder une
certaine prudence. Une idée serait de les introduire dans le monde merveilleux
de la musique romantique par le biais des instruments d’époque. Au XIXème, la
facture instrumentale n’est pas encore contemporaine, certes, mais presque, mais
le plus important est ailleurs : c’est la disposition de l’orchestre et les
techniques de jeu qui font la différence. L’objet de ces lignes n’est pas de
développer la technique romantique, mais de vous proposer quelques disques qui
peuvent servir d’initiation.
Loïc Chahine.

Pour
les baroqueux purs et durs, mieux vaut peut-être commencer doucement par le
classicisme. Les enregistrements ne manquent pas. Notons cependant que si les
concertos de Mozart ont trouvé un interprète remarquable en Jos Van Immerseel,
l’intégrale des symphonies du même auteur par Hogwood semblera vite monotone.
Côté musique vocale, la performance la plus aboutie à l’heure actuelle me semble
être le récent Don Giovanni dirigé par René Jacobs : avec une
théâtralité qui ne gêne pas la musique et un sens du phrasé et de la texture
orchestrale plus que séduisant, une distribution excellente (je ne dis pas
idéale, mais il faut du moins admettre qu’elle est singulière), c’est assurément
une référence désormais incontournable.
Arrivons tout de même au gros du programme : le
XIXème siècle.
Et
commençons par Beethoven. L’intégrale des symphonies dirigée par John
Eliot Gardiner n’est pas sans défaut, elle n’en est pas négligeable pour
autant et demeure une bonne introduction. Notons aussi une excellente
Missa solemnis dirigée par Philippe Herreweghe.
Pour
quelque chose de plus modéré et de plus doux, on ne saurait trop conseiller
Mendelssohn, « le plus classique des romantiques ». Un enregistrement s’impose
largement devant tous – et peut-être même devant tous les autres de la période –
et c’est le Songe d’une nuit d’été dirigé par Herreweghe. Quelle
féerie ! Quelle beauté du son ! Quelle harmonie ! Quelle douceur !
La
musique symphonique de Schumann est également très séduisante, parce que
moins tonitruante que celle de Beethoven, et extrêmement touchante (à condition
de ne pas être insensible à un certain lyrisme). L’enregistrement des 1ère
et 3ème symphonies par Herreweghe est très poétique ; l’intégrale
de Gardiner offre moins d’engagement, mais un son peut-être plus
charmeur.
Offrons-nous le luxe d’une parenthèse pour dire que dans
l’ensemble, les enregistrement de Philippe Herreweghe et de l’Orchestre des
Champs-Élysées sont excellents. Le son de l’orchestre est – comme toujours avec
Herreweghe – très lisse, mais ne manque pas de chair, et la direction est
toujours subtile ; parfois un peu sèche, mais souvent très poétique, de cette
poésie douce qui penche la tête sur le côté sans se livrer à de grands élans
tragico-romantiques. Parenthèse refermée.
Schubert a été moins bien servi, mais il faut dire que son point fort est sa
musique vocale, ses Lieder et que les grands mélodistes sont toujours très peu
nombreux. On écoutera avec intérêt les symphonies dirigées par Jos Van
Immerseel, où Anima Eterna, charnue et emportée, fait nos délices.
Mais le meilleur enregistrement, à mon avis, de ce chef avec cet orchestre est
son enregistrement russe alliant à la magnifique Shéhérazade de
Rimski-Korsakov les Danses polovstiennes du Prince Igor de Borodine.
L’expression y est aussi juste que le tempo et le choix d’effectifs d’époque
mettent en valeur les talents d’orchestrateurs de Rimski.
Pour
ouvrir sur le XXème siècle, on choisira Bruckner, dont deux symphonies
ont été enregistrées par Herreweghe (toujours lui ? oui, et c’est tant
mieux) : la 7ème d’abord, puis la 4ème ; cette 4ème
semble à préférer : Herreweghe y est sans doute plus à l’aise, et l’orchestre y
forme plus une bonne patte orchestre que dans le premier enregistrement.
Signalons enfin un enregistrement singulier : Offenbach romantique
dirigé par Minkowski. On peut y entendre un concerto pour violoncelle qui
mérite de figurer parmi les plus belles œuvres du répertoire – et les plus
virtuoses. À écouter absolument.
Côté
musique vocale, il y a moins à faire. Les trois Offenbach dirigés par
Minkowski (Orphée aux Enfers, La Belle Hélène et La
Grande-Duchesse de Gérolstein) offrent de belles pages, mais surtout de
bons moments comiques – mieux vaut les voir en DVD. Reste, surtout, les deux
récents récitals belcantistes : celui de Cecilia Bartoli et celui de
Natalie Dessay. Tous deux, bien que relevant de démarches fort différentes,
sont excellents, très aboutis vocalement, avec des accompagnements qui rendent
enfin justice aux compositeurs – surtout à Bellini.
Toutes les œuvres ici citées ont aussi été merveilleusement
interprétées sur instruments modernes, par des chefs inspirés, et d’autre ne
l’ont été que de cette manière. Il faut souhaiter que les lecteurs de cette page
et futurs auditeurs d’enregistrements sur instruments d’époque n’hésiterons pas
à se diriger vers des enregistrements sur instruments modernes de qualité toute
aussi extraordinaire : ils pourront y entendre quelques uns des plus grands
génies du XXème siècle.