Rechercher
- Newsletter
-
Qui sommes-nous ?
-
Espace Presse - FAQ
-
Contacts -
Liens
- |
mise à jour 20 janvier 2014
| Genre : opéra Georg-Frederic HAENDEL (1785-1759) Hercules Drame musical en trois actes HWV 60, livret de Thomas Broughton d'après Sophocle. William Shimell (Hercules), Joyce DiDonato (Déjanire), Toby Spence (Hyllus), Ingela Bohlin (Iole), Malena Ernman (Lichas), Simon Kirkbride (Prêtre de Jupiter) Mise en scène : Luc Bondy, décors : Richard Peduzzi, costumes : Rudy Sabounghi, éclairages : Dominique Bruguière Les Arts Florissants Direction William Christie 2 DVDs, 190 mn, Bel Air Classiques, enr. Palais Garnier 22 décembre 2004
Noirceur et flamboyance
L'opéra débute dans le palais de Trachis, où Déjanire attend le retour d'Hercule. Son fils Hyllus fait part d'une sombre prophétie, où Hercule périt dans les flammes du mont Oeta. Arrive Lychas, héraut, qui annonce le retour d'Hercule. Celui-ci revient vainqueur, après avoir tué le roi Eurytos et ses fils, et en ramenant la princesse Iole. Déjanire va rapidement se révéler jalouse d'Iole, dont Hyllus tombe de son côté amoureux. Afin de reconquérir son époux, Déjanire ordonne à Lichas de remettre à Hercule la tunique imbibée du sang de Nessus. Le poison pénètre aussitôt dans le corps d'Hercule, qui ne parvient pas à arracher la tunique collée à ses chairs. Sous la douleur, il demande à son fils Hyllus de le transporter au sommet du mont Oeta, afin de le brûler. Lorsqu'elle réalise qu'elle a été le jouet de la vengeance de Nessus, Déjanire sombre dans une douleur folle. Le prêtre de Jupiter annonce que la part immortelle d'Hercle a été emportée vers l'Olympe par l'aigle de Jupiter, et que le destin d'Iole est d'épouser Hyllus : "happy end" donc pour cette tragédie à base de jalousie conjugale ! Sous la baguette de William Christie, l'orchestre des Arts Florissants nous livre un Hercules flamboyant. Dès l'ouverture, le tempo est rapide, imprimant à l'œuvre un certain foisonnement. L’orchestre donne toute sa mesure dans les parties purement orchestrales - qui sont nombreuses avec les ritournelles des airs et les courtes symphonies ouvrant chacun des actes – scandant avec une magnificence toute baroque les moments forts tels la marche triomphale accompagnant le retour d'Hercule, ou le chœur final du premier acte "Crown with festal pomp the day". Mais les Arts Flo savent aussi s'attarder pour laisser s'exprimer les sentiments, comme par exemple la douleur jalouse de Déjanire ("Cease, ruler of the day to rise") au deuxième acte. Reflétant son inspiration de la tragédie grecque et les talents de son compositeur pour les oratorios, Hercules consacre une place de choix aux chœurs. Ceux-ci, malgré la force des ensembles, s'avèrent d'une grande précision. La mise en scène de Luc Bondy rompt pour sa part avec le classicisme de l'œuvre. Décors minimalistes de béton, costumes guerriers des personnages (en treillis et rangers !) et tenues contemporaines des chœurs sont aux antipodes de la verve baroque des Arts Florissants. Ce parti pris a été abondamment critiqué lors des représentations. Il faut toutefois lui reconnaître une certaine force tragique, le mérite d'avoir transposé le mythe dans un univers intemporel (pourquoi faudrait-il à tout prix des habits XVIIIème plutôt que des toges à l'antique ou de modernes ensembles ?) et une indéniable cohérence tout au long de l'œuvre. Pour le reste, on aime ou on n'aime pas, c'est affaire de goût. Et pour ma part, je n'ai pas aimé cette vision froide, sombre, refusant volontairement tout esthétisme. La sobriété austère du décor unique, modulable finit par lasser et l’on se dit que l’on aurait bien aimé en voir plus que quelques palissades, du sable et une statue brisée. S'agissant des interprètes, Joyce DiDonato s'impose comme le personnage-clé de l'œuvre. Dotée d’une voix puissante et nuancée, le mezzo dresse le portrait complexe de la malheureuse Déjanire, à la fois excessif et doux, d’une expressivité à fleur de peau. Si elle s’engage un peu rapidement dans son second air ("Begone my fears"), la mezzo délivre avec prestance les airs de fureur ("Resign thy club and lion's spoils") et dépeint avec conviction les affres de la jalousie ("Cease, ruler of the day, to rise"). Son air de folie au troisième acte, lorsqu'elle reconnaît son erreur ("Where shall I fly ? Where hide this guilty head ?") se révèle proprement époustouflant. Son accentuation des contrastes et des incertitudes du personnage reflète par ailleurs avec succès le parti pris musical de la direction.
Dejanira (Joyce DiDonato) : "Where shall I fly" Sa rivale Iole se révèle très différente : Ingela Bohlin joue une Iole apaisante, un peu effacée face à Déjanire, qui offre toutefois de beaux moments d'émotion : "My father ! Ah ! methink I see" au premier acte ; "How blest the maid", "Ah think what ills", et le magnifique "Bannish love from thy breast" au second ; "My breast with tender pity swells" empli de compassion au troisième acte après la folie de Déjanire. Si sa voix n'a pas la puissance de celle de Joyce DiDonato, son timbre est agréable, et ses ornementations délicates. Le rôle de Lichas avait été écrit initialement pour un ténor. Il ne comportait alors que des récitatifs. Suite à une modification de la distribution en vue de la création de l'œuvre, Haendel l'enrichit de nombreux airs pour le confier à la contralto Susanna Cibber. La présente version restitue la plupart des airs de la partition originale. D'emblée, Malena Ernman fait montre d’un timbre suffisamment androgyne qui lui permet de chanter de manière crédible un rôle masculin. Le chant est investi et d’une bonne tenue : l'air du premier acte "The smiling hours" montre son sens du legato, "As stars that rise and disappear" et "Joys of freedom, joys of power" sont interprétés avec justesse et brio. Enfin, c’est à elle que revient la description de la fin d'Hercule ("As the hero stood") au troisième acte rapportée avec noirceur. William Shimell campe un Hercule superficiel, imbu de lui-même et de ses conquêtes, exprimant sa fatuité dès son retour à Trachis : "The god of battle quits the bloody field", conforme aux paroles du livret. Au plan vocal, le baryton est… tout aussi léger. On aimerait en effet davantage de profondeur, d’assise, de puissance d’élocution. Les ornementations sont bien senties, les reprises pleines d'aisance comme dans l'air du second acte "Alcide name in latest story. Voici donc un casting pertinent où les insuffisances du chanteurs vont de pair avec celles de con personnage héros. Toby Spence est indéniablement avantagé par son physique de jeune premier pour chanter Hyllus. Ce n'est toutefois pas sa seule qualité : enflammé dans le duo avec Iole au second acte, il nous livre ensuite un "From celestial seats descending" grave, ému, de sa riche voix de ténor. Mais son morceau de bravoure est évidemment l'air fameux du troisième acte -lors de la mort d'Hercule- "Let not fame the tiding spreads", dont les délicats ornements contrastent avec l'énergie foisonnante de l'orchestre. Une comparaison avec l'excellente version audio de Minkowki (Archiv) permet de mettre aussitôt en relief les divergences d'interprétation qui séparent les deux chefs : là où Minkowski et ses chanteurs nous offrent un oratorio d'une beauté vocale et musicale éthérée, Christie et ses interprètes s'attachent à faire revivre le drame lyrique devant nos yeux. Les deux lectures sont musicalement et historiquement cohérentes : Hercules est inconstestablement un opéra conçu pour une représentation scénique lors de sa création (au King's Theatre de Londres), mais son style musical, l'abondance de ses chœurs, évoquent irrésistiblement l'oratorio, genre dans lequel Haendel s'est également illustré. Du même coup, toute comparaison entre les interprêtes serait faussée : Anne-Sofie von Otter paraîtrait fade dans la version Christie, tandis que Joyce DiDonato serait incongrue d'excès sous la baguette de Minkowski ! Globalement, les voix des chanteurs sont peut-être plus soigneusement accordées ensemble dans la version de Minkowski, et l'Hercule de Richard Croft possède davantage de profondeur que celui de William Shimmel. Et j'ai pour ma part un faible pour la voix claire et posée du contre-ténor David Daniels, avec ses airs ciselés, dans le rôle de Lichas, sans que cela retire quoi que soit ce soit à la performance de Maena Ernman chez Christie. Voilà donc un Hercules dramatique à souhait, gorgé d’un drame sanglant, dominé par la figure folle et attachante d’une Joyce DiDonato dans l’un de ses rôles les plus inspirés et dont tout haendélien ne saurait se passer, en dépit de la mise en scène de Luc Bondy.
Technique : live de bonne qualité. Pas de remarques particulières.
|
Affichage minimum recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
|