Genre :
récital
Cancionero de el
Escorial
El Marqués de
Santillana en la corte de Alfonso El Magnánimo
(Chansons de l'Escorial,
le Marquis de Santillana à la cour d'Alphonse le Magnanime [1394-1458])
Aymè sospirij, non
truovo pace
C'est a gran tort
Depuis le doloreux partir
Quant vendra jornee
Ne vous plaides de mes yeulx
Hora may che fora son
Ha dure mort, je viens vers toi
Vostre exclave de galee
J'aime quan que par y commence
Amours, amours, vostre service
Triumpho de le done, o chiara luce
L'aultre jour oy disputer
Señora qual soy venido
Ben poy de toe belleze altiera stare
Je meurs veant ma garrison
O char tesoro, o gratioso aspeto
Je mercie d'amours le dieux
Una vecchia sempiternosa
Carlos Mena (contre-ténor)
Ensemble Speculum : Rami
Alqhai, Alfredo Barrales, José Manuel Hernández, vihuela sde arco ; Juan
Carlos de Mulder, vihuela de mano ; David Mayoral, santur y percusión ;
Ernesto Schmied, flautas y dirección
76'22, Open Music, 2008

Beau, agréable mais... ennuyeux
On
pourrait s’attendre, à la lecture du titre principal "Chansons de
l’Escorial", à un répertoire avec lequel nous ont familiarisé Jordi Savall
et son équipe, un répertoire proprement espagnol. Pourtant, la liste des
pistes nous laisse entrevoir des titres en italien, en français et seulement
un en espagnol, qui semble d’ailleurs justifier le sous-titre : le texte est
du Marquis de Santillane, poète espagnol du XVe siècle. Nous cherchons donc
l’explication dans le livret, où les titres des pistes sont suivis des
foliotations dans un manuscrit "Escorial B", daté d’environ 1450. Voilà donc
l’explication d’un programme à première vue si disparate. Au passage, on
saluera la qualité éditoriale du livret agréablement illustré d’extraits
musicaux et enluminés du manuscrit, bien que les textes chantés ne soient
pas traduits, ce qui est pour le moins regrettable.
Le chant de Carlos Mena est fort beau, accompagnée de manière
sensible et rêveuse par des timbres instrumentaux qui le sont aussi en
général. Cependant, cet enregistrement souffre de deux déceptions.
D’une part, la voix égale, agile et ciselé de Mena ne s’investit pas
suffisamment afin d’illustrer le texte sous-jacent. Cette distance
nonchalante entraîne une certaine mollesse, qui rend l’approche
contemplative, n’avançant pas suffisamment, à de rares exceptions près
telles "J'aime quan que par y commence". D’autre part, la compréhension et la lisibilité de la polyphonie
est rendue difficile par la superposition de la voix soliste et des
instruments ; l’un est l’autre interagissant peu car l’Ensemble Speculum
semble seulement accompagner une voix quelque peu … seule.
Certains choix musicologiques demeurent inachevés ou mystérieux dans leur
cohérence. Ainsi en est-il, par exemple, quand on tente de comprendre,
livret en main, la piste 7, dont voici le début des paroles :
"Ha dure mort, je viens vers toi
Pour sçavoir la cane par quoy
Tu me fays oultre mon veul vivre.
Ne saray je jamais de livre ?
Vivray je tousjours maulgré moy ?
Fais cesser mon dolant martire."
Il s’agit visiblement d’un appel à la mort ; mais ce "de livre" au 4e vers
ne serait-il pas un "délivré" ? Évidemment, la rime avec "vivre" serait
perdue. Le choix de la voix soliste a été dicté par l’absence de paroles
dans les parties autres que celles du superius, les interprètes en ayant
déduit que ces parties, souvent au nombre de deux, étaient un
accompagnement. Le peu d’attention portée aux paroles dans le manuscrit même
ne semble pas étayer cette hypothèse, mais mettrait l’accent plutôt sur la
polyphonie. En effet, dans la polyphonie médiévale, les paroles ont si peu
d’importances que souvent deux voix chantent deux textes différents.
On pourrait donc se demander : pourquoi mettre une voix soliste ? Les pièces
du manuscrit "Escorial B" sont écrite dans une polyphonie à trois voix,
données séparées, comme l’usage en demeure jusqu’au début du XVIIe siècle ;
seule la « première » des ses parties, le superius, se voit dotée de
paroles. Les interprètes en ont déduit que le superius était chantant, les
autres parties, instrumentales. Ce choix, nous l’avons dit, rend la
polyphonie d’une intelligibilité difficile, et ne semble pas se justifier.
Cela n’empêche pas quelques moments d’être particulièrement réussis ; comme
ce "Ha dure mort" déjà cité, accompagné à
la vihuela de mano, sorte d’ancêtre, vraisemblablement, de la guitare. La
polyphonie semble aussi prendre un peu de consistance, se réaliser
effectivement dans "Je mercie d’amours le dieux". Certains passages
laissent admirer des timbres colorés ("Señora qual soy venido").
En définitive, et en dépit de l’impeccable technique de Carlos Mena et de
son chant naturel et bien timbré, l’écoute de ce disque peut s’avérer plutôt
monotone. Certes, agréable, mais parfois ennuyeuse.
Technique
: captation claire et naturelle.