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20 janvier 2014

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Genre : musique religieuse

Carl Philipp Emanuel Bach (1614-1788)

Matthäus-Passion, 1769

(La Passion selon Saint-Mathieu)

 

Jörg Dürmüller (Evangéliste, ténor), Deborah York (soprano), Klaus Mertens (Jésus, basse), Franziska Gottwald (alto), Orlanda Vekez Isidro (soprano), René Steur (basse).

 

Amsterdam Baroque Orchestra & Choir

Direction Ton Koopman

 

55’26 + 46’31, 2 CDs, ORF, 2002.

La Passion porte ses fruits

C’est une excellente découverte en première mondiale que cache ce coffret austère. Nous ne résisterons pas à conter les péripéties de sa redécouverte dignes d'un grand film d'aventure. Tout comme pour le Motezuma de Vivaldi (qui a bénéficié de la même résurrection), cette partition a été longtemps considérée comme perdue dans les ruines du IIIème Reich et de la Berlin Sing-Akademie réduite en cendres par les bombardements de 1943. Mais c'était sans compter sur la prévoyance de Goebbels qui avait discrètement fait transférer, 3 mois plus tôt, 560 collections du patrimoine allemand vers des lieux reculés à travers le pays. Les 5000 documents (manuscrits, sources imprimées, matériels, lettres, documents, programmes, livrets, livres et revues) de l'Akademie sont parqués dans 14 caisses et expédiées dans le château d'Ullersdorf, en Silésie. L'Armée Rouge triomphante découvre le pot au rose en 1945, et s'approprie, toujours en secret, les fonds qu'elle envoie à Kiev. Pour l'Ouest, et malgré l'enregistrement suspect d'un concerto pour flûte de WF Bach en 1969 (dont la seule copie appartenait au fond berlinois), les prestigieuses archives de la Berlin Sing-Akademie ont péri au champ d'honneur. Ce n'est qu'en 1999 que des chercheurs parviendront à briser le mystère. 2 ans plus tard, les documents sont rapatriés à Berlin. Ce qui nous vaut aujourd'hui cette Passion de 1769.

Première Passion que CPE Bach composa en qualité de Directeur de la musique de Hambourg, cette "SMP" a longtemps été décriée par les musicologues et les artistes. Ce dédain s’explique par une œuvre composite, dans laquelle CPE Bach a fait largement appel au procédé de parodie commun à l’époque, reprenant les chorals et chœurs des Passions de son père en les réorchestrant parfois, adaptant son propre Magnificat de 1749 pour le "Christus, der uns selig macht", s'inspirant de son contemporain Graun pour un duo. Juxtaposition de chœurs contrapuntiques, de récitatifs "à l'ancienne" et d'airs galants dans le style préclassique, cette Passion n'a évidemment pas l'impact et la force de celle du père. Plus humaine et plus directe, elle ne constitue cependant pas une œuvre médiocre de circonstance et frappe l'auditeur par sa relative cohésion et son langage encore profondément ancré dans la rhétorique baroque.

Alors, oui, cette Passion-ci est un peu pressée. Elle l'est parce que les chorals et récitatifs durent souvent à peine 1 minute à 1 minute 30, avec 41 numéros trop brefs qui s'empilent, entrent presque en collision. Comme si le compositeur avait la manie du "zapping" ou de la bande-annonce, refusant de développer les morceaux, d'approfondir les sentiments, de fixer un climat ou une couleur. L'Amsterdam Baroque Choir, rompu aux chœurs de Bach puisqu'il a enregistré l'intégrale des cantates, a opté pour une vision plus ronde et plus mélodique que dans ses autres enregistrements, tirant insensiblement l'écriture contrapuntique du Père vers la mélodie précieuse du fils. Les solistes s'investissement aussi jusqu'au cou dans cette dégustation, où l'on ne peut jamais vraiment consommer le met. Les arioso sont beaux, les récitatifs très traditionnels.

Il y a heureusement soudain, au sein de cet océan de frustration, de rares airs galants, hyper-développés et opératiques, qui rompent le rythme, arrêtent la machine à crucifier. Georg Dürmüller se montre déclamatoire et dramatique, le timbre assuré, profond et brillant dans un superbe arioso "Du, dem sich Engel neigen" et surtout dans l'air-phare "Wende dich zu meinem Schmerze" : 8'02 minutes de rêve mélodique, ample, puissant, qui emporte dans sa détresse l'auditeur bouleversé. Il y a aussi le duo de sopranos "Muster der Geduld und Liebe" où Déborah York et Orlanda Vekez Isidro rivalisent d'angélisme, fusionnant leurs voix troublantes assez similaires et caressantes. Les autres chanteurs - dont le Jésus pétri de bonté de Klaus Mertens - ont moins la place de s'exprimer puisque le compositeur ne leur a pas ménagé d'airs à effets. Enfin l'Amsterdam Baroque Orchestra demeure solide et discret, là encore en raison de l'écriture ramassée et économe de CPE Bach, qui fait toutefois sporadiquement appel au cor ou aux bois afin de colorer son discours. Ton Koopman livre une vision feutrée et douce, suggestive et pleine d'espérance d'une œuvre digne d'intérêt mais au souffle court, qui emporte tout de même nos suffrages pour quelques moments tout bonnement magiques. Pour amateurs avertis. 

Sébastien Holzbauer

Technique : enregistrement précis mais froid.

 

 

 

Affichage minimum recommandé : 1280 x 800

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