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20 janvier 2014

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Genre : musique de chambre
François COUPERIN dit Le
Grand (1668-1733)
Les Nations
Comparaison entre les versions

Wilbert Hazelnet, Philippe Suzanne, Reinhardt Goebel, Hajo Bäss, Jaap
ter Linden, Henk Bouman. Musica Antiqua Köln,
dir. Reinhardt Goebel, Archiv, enr. 1984

Monica
Huggett, Chiara Bianchini, Jordi Savall, Ton Koopman, Hopkinson Smith,
Stephen Preston, Michel Henry, Claude Wassmer, Ku Ebbinge. Hesperion XX, dir.
Jordi Savall, Astrée, enr. 1986
Mélancolie contre fraîcheur
Savall contre Goebel. Un choc frontal entre l'Espagne alanguie et la froidure
germanique, sur fond de musique française. Mais français, le sont-ils vraiment
ces "4 ordres" composés de suites de danses, chacune précédée d'une sonate ? D'autant
plus qu'ils se nomment la Françoise, l'Espagnole, l'Impériale et la Piémontoise...
Et puisque Couperin se lance dans des goûts réunis (titre de l'un de ses
recueils), la voie est libre pour l'inspiration vagabonde des interprètes.
A ma gauche,
Reinhardt Goebel et son petit groupe d'instrumentistes. Pas de
théorbe, pas de hautbois (pour des raisons musicologiques douteuses). Les
attaques sont incisives voire brutales, le coup d'archet impressionnant de
vigueur, les violons aigus et un zeste grinçant, les tempi très vifs. Ce Couperin-ci n'est pas le dépressif habituel qu'on
croit mais un compositeur de cour, aimant la virtuosité et la prise de risque. Pernucio l'Italien en somme, le pseudonyme sous lequel il publia l'une de ses
premières sonates. Décapées, gonflées à bloc, les Nations n'ont jamais été si
dansantes et si joyeuses. Loin des mignardises pionnières du Quadro Amsterdam (Teldec), ces suites font
irrémédiablement penser au premier opus de Corelli, avec un côté mélodique
frenchy en sus. Point de place ici pour l'intériorité ou le doute. Et il n'y
a pas que l'Impériale qui l'est, tant Goebel pousse Musica Antica Köln à
la pointe de la baguette, avec une urgence sévère, avec un clavecin
ferrailleur très présent. "En avant,
vorwärt !!!" semblent s'écrier nos teutons à l'unisson !
A ma droite,
Jordi Savall s'interroge. Pensif et rêveur, sa phalange nourrie double
les cordes, varie les combinaisons de timbres, laisse tour à tour s'épancher
hautbois, flûtes et violons pour les dessus, aménage de soudaines
clairières où quelques notes de théorbe s'égrènent. Son approche d'une douceur
moelleuse et caressante élimine toutes les aspérités de cette musique, l'élève au rang d'un
long sommeil, d'une méditation poétique. Pourtant, les tempi sont contrastés,
les danses demeurent dansables. Mais ce Couperin hésitant, sans cesse sur le fil
du rasoir, presque métaphysique, est bien plus proche de celui des Ordres de
Clavecin. La mélodie est grandiose, affirmée avec lyrisme, le souffle long. La
Sarabande de La Françoise se retrouve habillée de tristesse, suspendue à
des cordes soyeuses et désespérées, la Passacaille de l'Espagnole avec
ses effectifs fournis et ses doublures de hautbois étale une morgue
altière, explore sa richesse orchestrale raidie par une basse continue
bien calée. Cette même opposition entre une basse continue hiératique et
structurante et des instruments mélodiques plus spontanés se retrouve
dans la "Sonade" (sic) de l'Impériale où les violons de Monica
Huggett et Chiara Banchini se séduisent en fusionnant leurs
sonorités chaleureuses. Savall maîtrise à merveille l'art de la tension
et du relâchement, ménageant avec discrétion une dynamique sonore qui
éveille les sens à la fois par de subtils décalages, recombinaisons de
timbres et accélérations soudaines. En introduisant avec candeur ses
ruptures amenées avec naturel et sans rupture, le chef parvient à la
fois à apporter des contrastes et à rendre hommage à la variété des
climats. Jamais le génie mélodique, la complexité noble de Couperin
n'ont été aussi flagrants. Il était donc naturel qu'Hespérion XX
se mue en le Concert des Nations... Un enregistrement indispensable et
mythique, qu'Astrée a heureusement réédité.
A noter : Nous n'avons pas oublié la première version du Quadro Amsterdam
en 1969, nom obscur d'un ensemble fondé en 1962 par Jaap Schröder avec...
Gustav Leonhardt, Frans Brüggen et Anner Bylsma (Teldec). Les instruments
n'étaient pas encore tous d'époque, et l'approche d'une sécheresse rigoureuse en
dépit de la flûte à bec cursive de Frans Brüggen. Cet enregistrement vaut donc
avant tout pour son caractère historique, mais l'interprétation hachée et
métronomique a hélas très fortement vieilli. A l'inverse, l'excellente version
du Kuijken Ensemble (Accent) aurait bien mérité un 5. Avec moins de
couleurs et d'ampleur que Savall, optant résolument pour une approche chambriste
et douce, c'est un Couperin discret et élégant, moins poétique, que la phalange
hollandaise dessine avec les archets lumineux de Sigiswald Kuijken et
François Fernandez.
Technique
: Son plus plein et plus rond chez Savall. Très bonne séparation des
timbres chez Goebel. Evidemment, les enregistrements datent quand même d'il y a
20 ans et des débuts du DDD.
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