L'hésitation contre la vigueur
1988. On
retrouvera dans ces deux enregistrements du regretté Scott Ross la même modestie
et le même talent : nulle part le claveciniste canadien ne se met en avant, même
lorsque la virtuosité technique est requise. La musique, et la musique avant
tout. Les 2 disques sont assez différents : la version de studio de 1988 joue
sur le cycle, avec une impression hermétique de progression lancinante. Dès
l'Aria, les ornements, le style brisé, rappellent Couperin (dont Scott Ross a
enregistré l'intégrale des pièces de clavecin). L'artiste hésite. Certes, les
tempi sont contrastés mais l'impression générale est celle d'une belle et
mélancolique méditation. Les variations se suivent avec aisance et grâce,
avec une déconcertante fluidité. Les tempi sont peu contrastés, l'intimité
avec l'artiste est palpable en raison d'une prise de son trop proche qui a
capté les bruits mécaniques. L'instrument dénote une sonorité métallique un
peu dure, que le toucher millimétré de Ross renforce.
1985. 3 ans plus tôt, le toucher est plus franc, joyeux, direct,
parfois même exubérant. Certaines variations sont jouées à un tempo plus rapide,
le côté dansant est plus appuyé, les attaques très vigoureuses. On y perd un peu
de poésie et d'intellect, même si l'ensemble est bien plus spontané et
décontracté. Il faut toutefois noter que l'accord du clavecin aboutit
exceptionnellement à quelques sonorités étranges, presque dissonantes. Comme il
est hors de question que Scott Ross joue faux, le clavecin doit être blâmé, et
non la femme de César. Les Goldberg deviennent plus légères, plus easy
listening (ne me lapidez pas !), sans être purement décoratives. L'Aria
paraît plus pressée, un peu bousculée même, le trille galant. La Variation 1
claudique avec opulence grâce à un clavecin sonore, ample et majestueux, la
Variation 2 s'amuse, la 8 presque visuelle dépeint un petit bonhomme qui gravit
une colline en courant dans un cliquetis argentin, la 23 des gouttes de pluie
perlant sur un rocher... Les Variations plus introspectives perdent un peu en
profondeur. Il en va ainsi d'une Variation 15 presque démantibulée, au
contrepoint difficile à suivre, où mains gauche et droite, comme indépendantes
jouent leurs parties avec la même force. De la triste 25, au sourire forcé, un
peu bancale entre la poésie de l'Adagio et l'ironie de l'interprète qui rend les
tempi erratiques. Il y a de la prise de risque, et de l'expérimentation dans
cette version en live, certes nettement plus imparfaite mais à la respiration
surprenante sans compter un instrument (de facture inconnue ?) qui bénéficie
d'un timbre moiré.