Une année sans soleil
Le
concert s’annonçait mal dès l’entrée : le programme, habituellement soigné,
arborait dès la couverture une énorme coquille et titrait "Les Quatres
Saisons". À notre entrée dans la salle du concert, salle bien connue des
festivaliers, il faisait une chaleur à la limite du supportable – imaginez
ce que ce put être à l’entracte. Du coup, dès les premières notes du
Printemps, les instruments ont sonné faux, et ce problème de justesse,
récurrent pendant toute la soirée, nous a sans cesse gâché notre plaisir.
Dans les Quatre Saisons, Sara Kuijken s'est révélée non
seulement trop haute par rapport à ses accompagnateurs de La Petite Bande,
mais, de plus, la technique de la violoniste semblait parfois insuffisante
pour surmonter toutes les difficultés du cycle vivaldien, probablement en
raison du trac lié à son instrument désaccordé. Et cette chaleur qui
n’améliorait rien, ni au trac, ni à l’accord...
Quand on parvenait à se concentrer sur
la musique, on n’en ressentait que plus tristement la déception : cette
lecture promettait d’être délicate et subtile, sans doute poétique, sans la
violence à laquelle les amateurs de Vivaldi ont été habitués par l’ensemble
Matheus et autres consorts fougueux. On aurait pu entendre un Vivaldi
chantant, et non pas frappant. En contrepartie, on s'attendait à une
interprétation un peu terne, qui sentait son Nord. Mais ce soir-là, la
lecture fut inégale et quelque peu énigmatique. Pour prendre un exemple
précis, dans l’Hiver, au mouvement lent, la pluie était
magnifiquement rendue (Mentre la pioggio fuor bagna ben cento,
« Pendant que la pluie en mouille bien cent dehors »). Mais où diantre était
passé le sentiment de « Passer des jours tranquilles et heureux auprès du
feux » (Passar al foco i di quieti e contenti) du vers précédent (cf.
le sonnet correspondant au concerto) ? De même, pourquoi avoir transformé
tel mouvement lent bien connu, plein de dissonances aux cordes, en solo de
clavecin ?
La deuxième partie du concert s’est
avérée plus intéressante. Sara Kuijken s’est vue relayée au premier violon
par Makoto Akatsu qui nous a donné dans La Follia un peu trop
de ce qui manquait aux Quatre Saisons : du démonstratif. Que
d’ornements ! Et quel brillant ! Il faut noter aussi que le musicien avait
récemment été victime d’un problème de violon, qui l'avait obligé à
reprendre un instrument moderne pour le monter avec des cordes en boyau.
Malgré tout, cette Follia avait largement de quoi séduire. Le cas du
concerto Il Gardellino (Le Chardonneret) fut tout à fait typique de
cette soirée : d’un côté, un flûtiste virtuose nous a fait réellement
entendre ce charmant petit oiseau. De l’autre la Petite Bande, assez
empesée, manquait cruellement de légèreté.
Le concerto suivant était fort attendu,
puisque l'on y entendrait plus le fameux violoncello da spalla
(violoncelle d'épaule) dont Sigiswald Kuijken nous avait parlé après
l’entracte. Un peu plus, mais point trop hélas, l’acoustique de la salle
n’aidant guère cet instrument au son hybride, entre l’alto et le violoncelle
traditionnel au son agréable et chaud et dont la technique paraissait plus à
même à satisfaire les exigences de Vivaldi que celle du jeu "normal" à la
verticale. Cette adéquation entre l'instrument et la partition avait déjà
été remarquée dans les basses continues que notre spalliste pionnier avait
magnifiquement jouées avec son complice Benjamin Alard au clavecin.
La dernière pièce, un concerto pour
flautino, a été la plus remarquable. L’orchestre répondait admirablement
à la sonorité émouvante de cette minuscule flûte à bec et s'abandonnait
enfin au lyrisme. Certes, quelques aigus furent quelque peu douteux, mais le
faible que le journaliste éprouve pour ce flautino le conduisit facilement à
oublier ces anicroches. Et de toute manière, il faut garder à l'esprit que
les doigts de Peter Van Heyghen devaient glisser en raison de
l'abominable chaleur.
En définitive, le concert ne fut pas à
la hauteur des attentes qu'il avait suscité. Peut-être était-ce dû à la
température trop élevée qui rendait extrêmement ardu le jeu de la Petite
Bande dans un répertoire qu'elle affectionne pourtant depuis bien longtemps
(cf. les enregistrements Sony Séon des concertos pour violon et flûte de
Vivaldi). Dans sa brève présentation du violoncello da spalla,
Sigiswald Kuijken a fait de nombreuses allusions à J. S. Bach et à son
entourage. Si l'on nous permet un avis tout personnel, c’est peut-être dans
ce répertoire que La Petite Bande donne le meilleur d’elle-même, et il
suffira de réécouter l’un des récents disques de cantates du Cantor pour
s’en convaincre.