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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Vinci, Artaserse

Concerto Köln, dir. Diego Fasolis

Mise en scène Silviu Purcärete

© Opéra national de Lorraine
 

Leonardo VINCI (1696 – 1730)

 

ARTASERSE

Opéra seria en trois actes sur un livret de Métastase, créé à Rome en 1730

 

Philippe Jaroussky (Artaserse),

Max-Emanuel Cencic (Mandane),

Juan Sancho (Artabano),

Franco Fagioli (Arsace),

Valer Barna Sabadus (Semira),

Yuriy Mynenko (Megabise)

 

Mise en scène : Silviu Purcärete

Décors, costumes, lumières : Helmut Stürmer

Lumières : Jerry Stelton

Coiffes : Cécile Kretschmar

Chorégraphie : Natalie van Parys

 

Orchestre Concerto Köln 

Continuo :

Violoncelle : Jan Kunkel, Leonhard Bartussek

Théorbe : Simon Martyn-Ellis

Basson (fagotto) : Lorenzo Alpert

Clavecin : Gianluca Capuano, Diego Fasolis

Direction : Diego Fasolis

 

Représentation du 4 novembre 2012 à l’Opéra national de Lorraine (Nancy)

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Les cinq contre-ténors du roi Stanislas

Rassembler sur un même plateau cinq contre-ténors (sur six rôles au total dans l’opéra de Vinci) semblait relever au mieux de la gageure, au pire du pari insensé.de quelque baroqueux en quête de ressusciter un opéra presqu’exclusivement confié à des castrats. A l’examen, il s’agissait simplement de redonner vie à la distribution originale de l’opéra de Vinci, créé à Rome, et soumis rigoureusement à l’ordonnance pontificale qui interdisait aux femmes de se produire sur scène. En conséquence, les rôles féminins étaient également assurés par des hommes, ce qui dans le principe n’est guère plus choquant que de confier des rôles masculins à des altos féminins, pratique courante dans les opéras baroques à l’époque de leur création comme dans les productions contemporaines…

La principale difficulté consistait plutôt à réunir une distribution qui soit à la hauteur de l’œuvre d’un maître de l’école napolitaine, réputée pour son goût immodéré des airs virtuoses. Fort heureusement le renouveau du répertoire baroque depuis maintenant plusieurs décennies a suscité les vocations de contre-ténors de talent. Et disons-le d’emblée, c’est un plateau de rêve, une vraie « dream team » que nous a offert cet après-midi là l’opéra de Nancy, à l’ombre bienveillante de la statue du roi Stanislas qui ressuyait péniblement du déluge de la veille. Outre Philippe Jaroussky et Max-Emanuel Cencic, tous deux à la réputation bien établie, la distribution réunissait également trois autres contre-ténors moins familiers des scènes lyriques françaises : l’Argentin Franco Fagioli, le Roumain Valer Barna Sabadus, et l’Ukrainien Yuriy Mynenko.

© Opéra national de Lorraine

Rappelons en quelques lignes l’argument. Le Préfet Artaban vient d’assassiner le roi de  Perse Xerxès Ier ; il projette de tuer également son fils et successeur Artaserse, afin d’installer sur le trône son propre fils, Arbace. Celui-ci avait été banni par Xerxès à cause de son amour pour Mandane, sœur d’Artaserse. Mais Arbace, ami d’enfance d’Artaserse, refuse de se joindre au complot. Artaban persuade Artaserse d’ordonner la mort de son frère Darius, au motif qu’il serait coupable de la mort de leur père. Mais l’erreur est bientôt révélée, et Arbace est accusé d’être l’assassin. Ne pouvant se défendre sans dénoncer son père, il se tait et est condamné à mort.

Au second acte, le chef de la garde royale Mégabise pousse Artaban à aller au bout de la conjuration, en lui promettant son appui. En récompense, Artaban lui promet la main de sa fille Sémira, qui aime secrètement Artaserse. Elle se soumet cependant aux ordres de son père. Face à Mandane, elle proclame qu’elle veut sauver son frère Arbace, tandis que Mandane, bien qu’elle  aime toujours Arbace, réclame sa tête pour venger la mort de son père. Habilement, Artaserse remet alors le sort d’Arbace au jugement de son père, qui décide de le condamner à mort.

Au troisième acte, Artaserse, qui n’est pas convaincu de la culpabilité d’Arbace, l’aide à s’évader. Artabain, venu le libérer à la tête de ses partisans, trouve le cachot vide. Mégabise lui rappelle qu’il doit se débarrasser d’Artaserse. Avant de quitter le pays, Arbace vient revoir Mandane. De son côté Artaserse prépare son sacre, au cours duquel il doit boire une coupe sacrée dans laquelle Artaban a versé un poison. Il est interrompu par l’arrivée de Sémira, qui annonce que la palais est encerclé par des rebelles. Mais Arbace a réussi à les apaiser, il a tué Mégabise, instigateur de la rébellion. Lorsque le roi lui demande de s’expliquer, Arbace propose de boire la coupe sacrée pour prouver son innocence. Artaban intervient alors pour l’en empêcher, et il révèle son double forfait. Artaserse le condamne à mort, mais Arbace demande sa grâce : Artaban sera banni. Arbace va pouvoir épouser Mandane, et Artaserse Sémira : happy end final !

© Opéra national de Lorraine

Sous la baguette du maestro Fasolis, le Concerto Köln aborde l’ouverture avec brio. Après un premier mouvement aérien, où les cordes ouatées contrastent avec des percussions bien rythmées et des cuivres sonnants, les cordes s’étirent avec volupté dans le mouvement lent, ponctuées d’un théorbe bien présent, avant que n’éclate le troisième mouvement, triomphal. La veine aérienne et inspirée de l’orchestre ne se démentira pas tout au long de la représentation, tissant un canevas bien rythmé sur lequel s’enchaînent avec bonheur airs et récitatifs, en complicité totale avec les chanteurs.

Philippe Jaroussky campe avec finesse et expressivité le personnage d’Artaserse, quelque peu empêtré dans ses fidélités aux différents protagonistes, mais finalement suffisamment clairvoyant et ferme pour reconnaître ses vrais amis et châtier les traîtres. Au plan vocal le contre-ténor n’a rien perdu de son onctueuse fluidité dans les aigus : avec des ornements soignés, son premier air (la supplique « Per pietà, bell’idol mio ») est un moment de grâce suspendue, et le long arioso agité (« Morì Semira ») met en valeur son talent dramatique autant que son aisance vocale, récompensés par de solides applaudissements. Bouleversé par le soupçon d’une amitié de jeunesse trahie auquel il n’ose croire, il se fait impérieux au début du second acte (« Rendimi il moi caro amico »), imposant sans peine sa projection au milieu d’un orchestre dense de ses trompettes et de ses percussions. Relevons encore sa prestation dans le bel air du troisième acte « Le nuage qui passe devant le soleil », fort justement applaudie.

Franco Fagioli se taille pour sa part un beau succès dans le rôle d’Arbace. Sa voix est mise à l’épreuve dès le départ avec le redoutable air de fureur « Fra cento affanni », dont il dévale les ornements avec aisance, au prix parfois d’un manque de stabilité. Surtout il triomphe avec l’héroïque air final du premier acte « Vo solcando un mar crudele », dans lequel ses amples déplacements n’entament pas un phrasé irréprochable. Si les passages les plus difficiles occasionnent quelques sauts de registre tout à fait intempestifs, ils sont vite gommés dans ce numéro d’artiste complet qui laisse le spectateur sans voix, puis le pousse à applaudir à tout rompre ! On retrouvera ce même phrasé fluide et charmeur, cette ingénuité un peu outrée mais tellement savoureuse du jeu d’acteur (et aussi hélas les mêmes variations inopportunes du timbre…) dans l’air du second acte « Mi scacci sdegnato ». Les airs lents réconcilient pleinement le jeu d’acteur et la qualité du timbre (« Per quel paterno amplesso » au second acte, « Perché tard…la morte » au troisième, bien relayé par les accents dramatiques des cordes), mettant en valeur une diction irréprochable. Signalons encore le magnifique duo avec Cencic (« Tu vuoi ch’io viva o cara »), moment de parfaite complicité entre les deux contre-ténors.

© Opéra national de Lorraine

Dans le rôle d’Artaban, Juan Sancho nous a un peu déçus. Certes la voix a une belle épaisseur et sait imposer sa projection face à l’orchestre, mais le timbre affiche dans les passages les plus difficiles un vibrato très gênant. Ce défaut est particulièrement évident au final du morceau de bravoure « Non ti son padre », pourtant bien servi par les imprécations des cordes, ainsi que dans l’air du second acte « Amalo a se », face à un orchestre rutilant de tous ses cuivres. Et c’est bien à la peine qu’il conclu le second acte, parmi les éclairs et le roulement du tonnerre (« Così stupisce e cade »).

Mégabise, personnage secondaire de l’action, est peu présent dans la partition, mais la difficulté vocale du rôle est bien réelle. Doté d’une belle épaisseur qui en accentue l’expressivité, appuyée sur un timbre bien stable, la voix de Yuriy Mynenko parvient à s’imposer avec conviction face à un orchestre foisonnant dans la parabole guerrière (« Sogna il guerrier »), même si on eût aimé une projection plus affirmée pour cette première apparition. Le timbre se fait plus ensuite plus impérieux pour délivrer l’exhortation du second acte (« Non temer ch’io mai ti dica »),  tandis la projection se hausse enfin au dernier air (« Ardito ti renda ») mettant brillamment en valeur les ornements pyrotechniques.

Du côté des rôles féminins, tant Max-Emanuel Cencic (Mandane) que Valer Barna Sabadus (Semira) donnent habilement le change au plan physique, presque méconnaissables avec leur visage copieusement blanchi sous une épaisse couche de poudre, se mouvant avec grâce dans des robes à décolletés, et rehaussés d’invraisemblables coiffes à plumes … Les spectateurs nancéens avaient certes pu apprécier il y a quelques mois sur cette même scène l’ingénuité mise par Max-Emanuel Cencic à incarner un rôle féminin (en l’occurrence, celui du Prince Orlofsky dans la Chauve-Souris de Johann Strauss), mais le résultat est ici particulièrement confondant ! Le « Conservati fedele » déborde d’une grâce enjouée, dont les mélismes s’enchaînent avec bonheur. Les moments forts de la prestation du contre-ténor, tous deux longuement et fort justement applaudis, demeurent toutefois les ornements filés, touchants de délicatesse, du « Se d’un amor tiranno », et dans un tout autre registre les imprécations de fureur du « Va’ tra le selve ircane » qui témoignent d’un bel abattage. Ajoutons aussi que Max-Emanuel Cencic, dont on connaît le penchant notoire à chanter aux côtés d’autres contre-ténors (voir encore son récent enregistrement des Duetti avec Philippe Jaroussky), semble largement à l’origine du projet de cette distribution ambitieuse, dont il nous avait d’ailleurs fait part dans l’entretien qu’il avait accordé à la Muse Baroque en juin 2011 ; qu’il soit ici loué pour cette heureuse initiative

© Opéra national de Lorraine

Dans le rôle de Semira, Valer Barna Sabadus fait une entrée remarquée sur la scène lyrique française. Il surmonte sans peine son travestissement, et son jeu d’acteur est tout à fait convaincant. S’il conserve un timbre nettement plus cuivré que Cencic, qui nuit un peu à sa crédibilité vocale, il joue avec bonheur d’un phrasé enjôleur (en particulier dans l’air « Torna innocente e poi », au premier acte, sur un bel accompagnement de guitare), et sa projection s’impose sans peine face à l’orchestre. Les deux airs du second acte ravissent les spectateurs, avec les attaques incisives du  « Se del fiume altera l’onda » qui suivent un récitatif très soigné, et l’exquis désespoir du « Per quell’affetto », qui déclencheront de justes applaudissements.

Ajoutons que la mise en scène de Silviu Purcärete offre un écrin sombre et dépouillé aux costumes fastueux d’Helmut Stürmer, renouvelés à presque chaque apparition des chanteurs : sol et murs noirs, avec un plateau tournant au centre de la scène qui anime astucieusement les chorégraphies, et des loges de maquillage sur les côtés, clin d’œil au spectacle qui nous est offert. Autre allusion facétieuse, la reproduction du dessin de l’Homme par Vinci (l’autre Léonard) orne le fond de la scène. Les lumières discrètes jouent sur les clairs-obscurs, dans un souci légitime de restitution de l’atmosphère d’une représentation de l’époque. Saluons aussi les coiffes somptueuses de Cécile Kretschmar, qui puisent tour à tour leur inspiration entre une antiquité perse revisitée et des perruques du plus pur baroque.

Malheureusement les représentations prévues en tournée à Vienne, Lausanne, Paris (théâtre des Champs-Elysées) et Cologne au cours des prochains mois seront privées de ce délicat decorum, car elles sont programmées en version de concert. Enfin, pour ceux qui n’auront pu assister à cette production mémorable, un enregistrement avec la même distribution (sauf le rôle de Mégabise, confié à Daniel Behle) vient de paraître chez Virgin Classics.

 

Bruno Maury

 

Le site officiel de l'Opéra de Lorraine : www.opera-national-lorraine.fr

 

 

 

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